Intervention de Éric Coquerel

Séance en hémicycle du lundi 19 juin 2023 à 16h00
Donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Coquerel, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

La censure par le Conseil constitutionnel des dispositions de l'article 60 du code des douanes nécessite évidemment un retour devant le Parlement afin de permettre l'action de nos douaniers. Ce texte propose également des dispositions censées garantir l'efficacité de la douane française, mais aboutissant à créer un nouveau cadre d'action de cette administration, ce qui à ce stade m'interroge. Il nous faut en effet garantir à la fois la modernisation de la douane et le respect des libertés individuelles, sachant qu'il est indispensable de donner aux douaniers les moyens nécessaires à l'exercice de leurs fonctions.

Or, si nous voulons une douane plus efficace, certains choix me semblent contestables. Il ne s'agit pas, à mon sens, d'étendre ses prérogatives – volonté de la part de certains d'entre vous que j'ai pu constater en consultant différents amendements – ni ses missions en la mobilisant sur le contrôle à la personne plutôt que sur les marchandises. Au contraire, nous lui devons un encadrement judiciaire du droit de visite afin d'apporter à la fois une garantie et une sécurisation aux agents, mais aussi aux personnes contrôlées. Il s'agit de recentrer la douane sur ses véritables missions : la lutte contre le trafic de marchandises et donc les trafiquants, ainsi que la lutte contre la fraude fiscale, et non l'interdiction de l'entrée sur le territoire en agissant en tant que supplétifs des politiques migratoires. Ce n'est pas son rôle.

Nous devons également à la douane des moyens humains. Je vous ai attentivement écouté en commission, monsieur le ministre délégué, et je n'ai pas été convaincu sur ce point, notamment s'agissant de la réserve. Depuis la création du marché unique et la suppression des barrières physiques, l'administration douanière a été durement touchée par différentes réorganisations ayant entraîné des suppressions d'effectifs : elle en a été durablement affaiblie, puisque le nombre d'agents a diminué de 20 % pour passer de 21 000 à 17 000 actuellement selon un rapport du Sénat. En comparaison, l'Allemagne dispose de plus de 41 000 douaniers, soit environ 2,4 fois plus qu'en France. Je reconnais, vous l'avez souligné en commission, que la comparaison n'est pas parfaite : certes, l'Allemagne importe deux fois plus que la France, mais notre territoire est plus étendu et nos frontières terrestres plus longues ; certes, les missions de la douane allemande sont plus nombreuses, puisqu'elle est notamment compétente en matière de lutte contre le travail illégal, mais si vous ajoutez aux douaniers français les 1 500 inspecteurs de l'Urssaf, cela ne permet toujours pas d'atteindre un effectif comparable. Il me semble donc que cette comparaison, à défaut d'être précise, demeure éclairante.

En outre, le niveau d'activité a fortement augmenté : d'une part, le périmètre des missions de la douane et les espaces contrôlés se sont considérablement élargis – lutte contre les trafics, protection du consommateur et des patrimoines culturels et naturels, perception de recettes fiscales – ; d'autre part, la fraude douanière atteint des niveaux inédits, comme le montrent l'augmentation des saisies de stupéfiants et du montant des avoirs saisis ou identifiés, soit + 40 % par rapport à 2021, ou encore le nombre d'articles retirés du marché – + 27 % –, mais vous avez eu l'honnêteté de reconnaître que ces chiffres sont surtout dus à l'augmentation des flux et, même si cela montre aussi évidemment l'efficacité des douaniers, il existe donc un réel besoin de recrutement que la création d'une réserve opérationnelle ne pourra satisfaire.

Vous affirmez d'ailleurs que ce ne sera pas son objectif, puisqu'elle aura uniquement pour but d'apporter un soutien aux douaniers. J'observe à cet égard que la création d'autres réserves opérationnelles s'est accompagnée de recrutements massifs dans la gendarmerie et dans la police. On peut donc s'interroger sur le caractère réellement supplétif du soutien que la réserve pourra apporter. Alors que le besoin en moyens humains est manifeste, vous pouvez difficilement soutenir que recourir à une réserve opérationnelle sans augmenter les effectifs ne revêt pas un caractère budgétaire. Dès lors que l'emploi de la réserve ne se différencie pas de celui des agents, y avoir recours pour un besoin permanent ne peut s'expliquer que par une mauvaise raison : un coût d'emploi bien inférieur. Les réservistes constituent en effet une force d'intervention particulièrement souple et mobilisable à moindre coût. Le Gouvernement ne s'en cache pas puisque, selon l'étude d'impact du projet de loi, l'objectif de cette réserve est de renforcer les douanes tout en respectant le schéma d'emplois prévu pour 2022-2025 – et vous avez dit vous-même en commission qu'il faudrait attendre 2025 pour envisager un renforcement des effectifs.

La question n'est pas d'être pour ou contre la réserve, mais de reconnaître que celle-ci ne peut venir en renfort que si les douaniers sont en nombre suffisant, ce qui n'est pas le cas actuellement. Voilà qui pose évidemment problème. Ce ne sont pourtant pas les candidats qui manquent, la profession attire, mais les postes ouverts ne permettent de recruter qu'à peine 2 % des inscrits au concours de contrôleur ; ouvrons donc de nouvelles places qui garantiront le maintien d'un haut niveau de qualification sur le terrain.

Pour faire face aux nouvelles menaces et pour nous protéger, la prochaine programmation devra être à la hauteur des enjeux : doublons les effectifs de la douane, réaffirmons son rôle de police de la marchandise, renforçons les moyens humains et techniques de l'administration fiscale dans la lutte contre la fraude – à laquelle vous dites vouloir vous attaquer –, réaffirmons la mission de contrôle des importations de la douane pour lutter contre les trafics, instaurons des droits de douane sur des critères écologiques et protégeons comme il se doit les économies locales, toutes actions qui nécessiteraient évidemment un renforcement de la douane. Il me semble que c'est ainsi que nous pourrons moderniser le cadre d'action de notre administration douanière.

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