Je souhaiterais simplement rappeler la raison pour laquelle nous voulons soumettre au vote de l'Assemblée nationale dans son ensemble les dispositions qui étaient contenues dans l'article 7 du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023 : tout simplement parce que ce serait la première fois qu'elle pourrait le faire.
Ces dispositions, qui ont été présentées comme le texte essentiel de cette législature, n'ont pas été votées par notre Assemblée. Ne pas lui permettre de se prononcer à ce sujet, c'est l'affaiblir dans les faits, puisque seul le Sénat aura pu voter ces dispositions – et encore, dans des conditions rendues particulières par l'usage du vote bloqué par le Gouvernement. Il existe des arguments pour soutenir le recul de l'âge légal de départ à la retraite, et il en existe aussi beaucoup d'autres pour s'y opposer. Nous les avons largement en tête. Il est désormais temps pour l'Assemblée de voter en séance publique sur ce recul de l'âge légal et sur l'accélération de la majoration de la durée d'assurance requise pour bénéficier du taux plein.
Inversement, l'empêcher de se prononcer spécifiquement sur ces mesures revient à acter la marginalisation institutionnelle de notre Assemblée et à accélérer la tendance actuelle qui en fait une chambre d'enregistrement des 49, alinéa 3, et des initiatives parlementaires qui ne vont pas à leur terme.
Je répondrai à un certain nombre d'arguments sur le fond.
Certains amendements souhaitent supprimer l'article 1er au motif que, faute de réforme des retraites, les pensions vont baisser. C'est effectivement ce qu'anticipe le COR, même si ses prévisions portent uniquement sur la comparaison avec les actifs. Le niveau de vie des retraités rapporté à celui de l'ensemble de la population serait ainsi compris entre 75,5 % et 87,2 % en 2070, contre 101,5 % en 2019. Mais à quoi est-ce dû ? À l'indexation des pensions sur l'évolution des prix et non plus sur celle des salaires, comme c'était le cas jusqu'à la fin des années 1980. Le recul de l'âge de la retraite n'a rien à voir avec cette baisse du niveau de vie, si ce n'est un léger effet mélioratif du montant des pensions pour les personnes contraintes de partir plus tard. Mais même cet effet est contrebalancé par la diminution du nombre de personnes qui bénéficient d'une surcote. Ce n'est donc pas la réforme des retraites de 2023 qui va empêcher l'appauvrissement relatif des retraités par rapport aux actifs.
L'amendement du groupe Démocrate cite une note du haut-commissaire au plan qui dénonçait une forme de déficit caché de 30 milliards d'euros du système des retraites, en raison de la compensation par l'État des régimes de la fonction publique. Il est vrai que ces derniers font face à un déficit massif, mais qui est dû à leur situation démographique. Dans la fonction publique de l'État, on compte actuellement 0,9 cotisant pour 1 pensionné, contre 1,5 cotisant dans le régime général de base, 2 cotisants dans le régime complémentaire des salariés et 1,7 cotisant dans l'ensemble des régimes. Mais la précédente réforme des retraites ne fait rien contre ce problème. Donc supprimer ces mesures d'âge ne change rien non plus à cette question.
Certains amendements comparent la situation française de l'âge de départ à la retraite à celle de nos voisins européens, souvent en confondant les choux et les carottes. En l'occurrence, les âges qui sont mis en avant, comme 67 ans en l'Allemagne, sont plutôt des âges d'annulation de la décote – également fixé à 67 ans en France. La véritable mesure pertinente concerne l'âge effectif de départ à la retraite, qui est autour de 63 ans et 6 mois en France, contre 65 ans en Allemagne. Avec la montée en charge du calendrier dit « Touraine », l'âge effectif de départ à la retraite en France devrait atteindre les 64 ans à compter de 2030, sans qu'il soit besoin de reculer l'âge de départ.
Certains amendements enfin estiment le coût de la proposition de loi à 15 milliards d'euros. Cet élément de langage est issu des estimations du Gouvernement, qui évaluait que le relèvement de l'âge légal et l'accélération de la durée de cotisation rapporteraient 17,7 milliards au système de retraite à horizon de 2030.
Il faut néanmoins signaler plusieurs choses.
La proposition abroge les dispositions liées à l'âge, mais propose immédiatement une conférence de financement pour trouver les moyens de rétablir l'équilibre des comptes sociaux. Comme Paul Christophe l'a relevé, les partenaires sociaux – et non l'État – ont mis en œuvre des mesures courageuses pour redresser les comptes du régime Agirc-Arrco. Pourquoi ne seraient-ils pas capables de le faire de manière aussi courageuse et équilibrée pour d'autres régimes ? Refuser cette conférence de financement revient à nier la responsabilité des partenaires sociaux.
Or, pour cette année, si l'on en croit l'étude d'impact sur le PLFRSS 2023, la mesure d'âge devait permettre de diminuer les dépenses de 270 millions d'euros en brut. Sachant que, selon la Drees, 332 milliards ont été versés au titre des pensions de vieillesse et de réversion au cours de l'année 2022, cela représente un mille-trois-centième de ce qui est normalement versé sur une année. Dit autrement : environ un quart d'une journée de versement des pensions de retraite.
Et ce coût est encore ramené à 180 millions si l'on ne considère que le champ des lois de financement de la sécurité sociale, c'est-à-dire les régimes obligatoires de base.
L'argument du coût à l'horizon de 2030 n'est donc pas sérieux. S'il est vrai que le système des retraites devrait connaître une phase déficitaire au cours des prochaines années, le but de cette proposition de loi est précisément d'examiner les moyens de rétablir les comptes durablement et d'une manière consensuelle, sans faire peser le déficit sur les seuls actifs actuels.
Pour justifier l'abrogation de la mesure de recul de l'âge légal de départ à la retraite, je rappellerai par ailleurs qu'elle constitue la disposition la plus anti-redistributive qui puisse être utilisée pour réformer les retraites. Là encore, ce n'est pas moi qui le dis, mais le CSR dans son dernier avis de septembre 2022. En s'appuyant sur les données de la Drees relatives à la comparaison des réformes de 2010 et de 2014, le comité estime que le recul de l'âge légal a plus d'effets sur les personnes qui sont éloignées de l'emploi, celles qui perçoivent les salaires les plus bas et, en moyenne, les femmes. C'est pourquoi nous proposons de supprimer cette disposition et d'en revenir à une réflexion commune et rapide sur les pistes alternatives qui pourraient être poursuivies.
Avis défavorable à ces amendements de suppression.