Avant l'examen de cette proposition de loi, je souhaite rendre un hommage sincère à l'engagement des structures et des personnes mobilisées dans la prévention et la lutte contre les incendies de forêt. Elles sont déjà confrontées, dans certains territoires – dans les Pyrénées-Orientales, les Alpes-Maritimes et en Corse –, aux premiers feux de cette année. Au nom du Gouvernement, je veux remercier une nouvelle fois tous les acteurs – sapeurs-pompiers, personnels de la sécurité civile, sapeurs-sauveteurs, forestiers-sapeurs, forestiers, bref, toutes les personnes qui s'engagent pour la sauvegarde de nos forêts – pour l'excellent travail qu'elles effectuent au quotidien et pour leur engagement.
Les incendies ont toujours existé dans le sud de la France et une politique volontariste de défense des forêts contre l'incendie (DFCI) a été mise en place dès les années 1980. Elle a produit de très bons résultats, puisque l'étendue des surfaces incendiées a depuis été divisée par deux, voire par trois. Toutefois, le climat change et les incendies hors norme de l'été 2022, provoqués par un concours de sécheresse et de températures particulièrement élevées, ont constitué une preuve éclatante et douloureuse des effets à attendre du changement climatique sur les feux de forêt. Ils laissent entrevoir une intensification du risque dans les régions historiquement concernées du Sud-Est, du Sud-Ouest et de la Corse, mais aussi, et surtout, une extension du risque dans des régions jusqu'ici préservées – je pense notamment aux régions de l'Ouest, de l'Est et du Centre de la France, territoires dans lesquels nous n'avions jamais vu d'incendie de cette ampleur. Plus de 72 000 hectares d'espaces naturels ont été détruits en France l'année dernière, mais cette catastrophe touche l'ensemble des territoires européens : à titre d'exemple, plus de 300 000 hectares sont partis en fumée en Espagne en 2022.
Face à l'amplification du risque et à son extension à davantage de nos territoires, notre politique de prévention et de lutte contre les incendies doit être renforcée et actualisée. Je souhaite à cet égard saluer le travail du Parlement : le Sénat s'est rapidement saisi de l'enjeu en proposant ce texte qu'il a adopté le 4 avril dernier. Le Gouvernement a décidé de s'appuyer sur cet important travail en inscrivant cette proposition de loi très rapidement à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Nos concitoyens attendent en effet des réponses rapides et concrètes à leurs inquiétudes face aux incendies parcourant de si grandes superficies de forêts dans les quatre coins de la France. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé d'engager la procédure accélérée sur ce texte.
Cette proposition de loi montre la diversité des politiques à conduire pour assurer la défense des forêts contre l'incendie. Ma présence devant vous aujourd'hui, pour représenter le Gouvernement, traduit le caractère multidimensionnel de ce sujet qui mobilise les compétences de trois ministères : le ministère de l'intérieur et des outre-mer, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, et le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Le Gouvernement partage les objectifs poursuivis par cette proposition de loi. Le Président de la République a annoncé, en octobre dernier, plusieurs mesures visant à renforcer notre politique nationale de défense des forêts contre l'incendie.
Tout d'abord, la prévention demeure essentielle. Notre stratégie est d'éviter le départ de feux et d'être en mesure d'attaquer les feux naissants pour éviter leur propagation. Des moyens supplémentaires ont ainsi été accordés cette année par mon collègue Marc Fesneau à l'Office national des forêts (ONF) pour lui permettre de renforcer ses missions de surveillance et de première intervention, et de les étendre aux territoires nouvellement concernés par ce risque. Des moyens supplémentaires ont également été apportés à l'association régionale de défense des forets contre les incendies des Landes de Gascogne, massif riche d'une organisation impliquant les propriétaires forestiers. Ce renfort de moyens se poursuivra en 2024.
Il va falloir agir plus sur l'origine des feux. Lorsqu'on sait que 90 % des départs de feux de forêt sont liés à une activité humaine, notre priorité est d'agir sur les interfaces entre forêt et habitation. Soyons clairs : les obligations légales de débroussaillement (OLD), fixées dans le code forestier – qui, selon les estimations, ne sont mises en œuvre qu'à hauteur de 30 % –, doivent être mieux respectées. Leur efficacité n'est plus à démontrer. Avec Gérald Darmanin, Marc Fesneau et Christophe Béchu, nous avons ainsi engagé des actions, au niveau national et local, pour sensibiliser le public concerné, accompagner les élus locaux, mais aussi sanctionner les négligences volontaires.
La proposition de loi examinée ce jour va permettre d'aller encore plus loin, en apportant des éléments utiles et attendus de clarification, de simplification et de responsabilisation. Nos moyens de lutte doivent en effet être renforcés pour limiter la propagation des feux, protéger nos concitoyens et sécuriser nos infrastructures. Nous allons beaucoup évoquer aujourd'hui la prévention. Elle est essentielle mais, malheureusement, pas suffisante. Malgré toutes les mesures de prévention, le feu arrivera inévitablement. La lutte contre les incendies doit donc, elle aussi, être mieux organisée. Pour renforcer son efficacité, le Président de la République a décidé de renforcer les moyens terrestres et aériens cette année. Je tiens d'ailleurs à saluer l'adoption par le Sénat d'un amendement du Gouvernement visant à reconnaître le caractère dangereux du métier et des missions exercés par les personnels navigants de la sécurité civile, comme la loi le fait déjà pour les sapeurs-pompiers professionnels depuis 2004. Cette reconnaissance symbolique était nécessaire, alors que l'ampleur de leur tâche ne cesse de grandir.
La proposition de loi qui vous est soumise présente des évolutions plus que bienvenues. Elle tend en premier lieu à inscrire dans la loi une stratégie nationale et interministérielle de défense des forêts contre l'incendie, qui permettra de mobiliser pleinement et largement l'ensemble des acteurs concernés – publics et privés. La task force interministérielle, déjà créée par le Gouvernement, sera missionnée pour l'élaborer et organiser les concertations.
Pour nous rendre plus réactifs face aux évolutions causées par le changement climatique, le texte propose de faire évoluer la liste des territoires réputés particulièrement exposés aux risques d'incendie, dans lesquels il s'agit de déployer nos moyens de prévention et de lutte. Le texte suggère également d'améliorer l'articulation des mesures de défense des forêts contre l'incendie avec les autres politiques publiques. Nous serons collectivement plus à même de répondre au devoir de lisibilité pour les administrés si nous coordonnons correctement ces actions avec les politiques relatives aux sites classés ou à la protection de l'environnement.
S'agissant de la politique de l'urbanisme, je salue les propositions visant à améliorer l'information et à sensibiliser le grand public, les élus locaux et les futurs acheteurs au danger prévisible des feux de forêt et de végétation. Le monde agricole a, lui aussi, des solutions à apporter – notamment les coupures agricoles, pourvu qu'elles soient astucieusement positionnées ; à nous de les reconnaître et de les accompagner.
Par ailleurs, la mise en œuvre des obligations légales de débroussaillement est essentielle. Le texte prévoit des clarifications et des simplifications utiles et attendues, qui l'amélioreront nettement. Je citerai deux exemples issus de vos travaux en commission. Je salue la mesure de simplification, proposée par les rapporteurs, consistant à ne faire appliquer les OLD au droit de la propriété que dans les cas où les responsabilités entre voisins se superposent et entraînent l'inaction. Le texte adopté par les commissions propose également d'étendre les possibilités de création des associations syndicales autorisées, les fameuses ASA, qui font la preuve de leur utilité et de leur efficacité dans les Landes de Gascogne. Elles pourraient devenir un modèle d'organisation pour les massifs forestiers privés situés dans d'autres territoires.
Je salue aussi la reprise dans cette proposition de loi de deux propositions issues de réflexions tenues dans le cadre des assises de la forêt et du bois : l'abaissement à 20 hectares de l'obligation de disposer d'un plan simple de gestion (PSG) et la systématisation de la télédéclaration. La création d'un document de gestion durable est en effet la première étape permettant à un propriétaire de connaître et de maîtriser les risques pour sa forêt.
Enfin, il est proposé d'inscrire dans la loi une journée nationale de la résilience, qui facilitera l'acculturation face à tous les risques – naturels, technologiques ou sanitaires –, en particulier à ceux liés aux effets du changement climatique. La préparation de l'ensemble de la population, notamment par l'apprentissage des gestes de sauvegarde, permettra d'accroître encore l'efficacité de notre sécurité civile et de préserver des vies humaines. Nos actions de prévention gagneront ainsi en efficacité.
Je tiens à préciser un point crucial : pour le Gouvernement, cette proposition de loi ne doit traiter que de la prévention et de la lutte contre les incendies. Il ne s'agit pas d'un texte relatif à la gestion forestière, qui est un sujet bien plus vaste que la simple prévention des feux de forêt puisqu'il intègre la multifonctionnalité des forêts.
Les forêts nous rendent en effet des services précieux : des services économiques – fourniture de bois-matériau et de bois-énergie ; des services environnementaux – biodiversité et stockage de carbone ; des services sociétaux– loisirs et paysages. Elles sont donc un atout économique, environnemental et social pour nos territoires ruraux. Elles sont également, pour ceux-ci, une réponse à l'objectif de neutralité carbone que nous nous fixons pour 2050. La forêt est en effet le deuxième puits de carbone, après les océans, et elle produit des matériaux renouvelables qui nous permettront de décarboner notre industrie. Pour tous ces services qu'elles nous rendent, et dont nous aurons encore plus besoin demain, les forêts doivent être défendues face aux événements extérieurs, notamment aux effets du changement climatique. C'est là l'objet strict de cette proposition de loi. Les enjeux environnementaux et économiques de la gestion forestière, ainsi que tous ceux qui touchent plus généralement à l'adaptation des forêts au changement climatique, ne devront être abordés au cours de l'examen du texte que s'il existe un lien direct et clair avec la prévention des feux de forêt. Autrement, nous dénaturerions l'objet de la proposition loi et la demande des citoyens qui l'attendent. Je le dis donc fermement : cette proposition de loi, dont les enjeux sont ceux de la sécurité des biens et des personnes ainsi que de la prévention et de la lutte contre les incendies de forêt, ne doit pas devenir un prétexte pour servir les ambitions de certains en matière de politique de gestion forestière. Ce ne serait pas respectueux des femmes et des hommes qui travaillent sur le terrain, en ce moment, pour juguler les incendies de forêt.