Nos travaux ont ceci de difficile qu'ils portent à la fois sur des faits particuliers impliquant deux détenus à la trajectoire particulière, et sur la gestion administrative et politique de celle-ci, au moment de l'acte et avant celui-ci. Nous devons répondre, de la façon la plus transparente possible, à la forte demande de justice et de vérité et aux hypothèses et questionnements qu'elle suscite.
Nous savons déjà, par nos précédentes auditions, qu'il y a eu des fautes systémiques. S'agissant du renseignement, on nous a dit que, depuis 2017, il y a une doctrine, une communauté nationale du renseignement au sein de laquelle les échanges sont plus fluides, le parcours de l'individu est individualisé et suivi depuis son entrée jusqu'à sa sortie du milieu carcéral, selon des procédures très précises – par l'échange d'informations entre le renseignement extérieur, le renseignement intérieur, le parquet national antiterroriste (PNAT) et le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) ; par des fiches, à la sortie, en cas de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas). À cela s'ajoutent les groupes d'évaluation départementaux (GED), qui repassent les fiches individualisées à la moulinette.
Celle de Franck Elong Abé, avait été examinée sept fois en deux ans et demi par le GED des Bouches-du-Rhône, en plus des renseignements transmis par la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) au parquet, qui devait les communiquer au service de renseignement pénitentiaire – c'est dire s'il s'agissait d'une préparation de sortie obsessionnelle. De surcroît, avec seulement 127 détenus, dont quatre terroristes islamistes, la centrale était un village.
Tous ces éléments, qui auraient dû permettre de gérer un individu classé haut du spectre, explosent en vol à la lumière de cet acte commis avec préméditation, cet assassinat, qui n'aurait jamais dû se produire – encore moins dans cet établissement qu'ailleurs, eu regard de la loi des petits nombres, de la proximité – compte tenu de ces différents process. Nous nous interrogeons donc déjà beaucoup sur les structures.
Mais, du point de vue systémique, quand le délégué local au renseignement pénitentiaire (DLRP) d'Arles nous explique que le dossier de Franck Elong Abé ne lui a pas été transmis par la DGSI mais par le parquet national antiterroriste, nous ne pouvons que constater le manque de fluidité dans la communication entre les renseignements, qui contredit tout ce qui nous a été dit auparavant. De la même manière, comment comprendre l'écart entre des propos qui établissent la dangerosité de ce détenu – aguerri aux armes, ayant attaqué plusieurs fois les forces de la coalition et figurant parmi les individus les plus violents de la liste des 500 terroristes islamistes français –, et ceux du chef de la mission d'inspection de l'IGJ qui ne comprend pas comment cet individu pouvait être employé comme auxiliaire ? Sans parler du fait qu'il s'agissait de deux DPS, ce qui commandait à tout le moins une surveillance accrue et l'observation d'instructions très précises via le logiciel Genesis. Ce sont là des éléments que nous devons traiter comme des fautes systémiques, auxquelles viennent s'ajouter des éléments troublants.
Durant votre passage à la Chancellerie, quelles étaient les relations structurelles entre la direction de l'administration pénitentiaire et le parquet national antiterroriste ? Les jugiez-vous fluides ? Concouraient-elles à une gestion efficace de la montée en puissance du terrorisme islamiste, ainsi qu'à celle du cas spécifique des prisonniers basques et corses ?