Intervention de Éric Poulliat

Réunion du mercredi 5 avril 2023 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Poulliat, rapporteur :

Cette pétition, qui a recueilli près de 16 000 signatures, propose la création d'un référendum d'initiative citoyenne pour réviser la Constitution. Il faudrait donc modifier l'article 89 de la Constitution, relatif à la procédure de révision.

La proposition de révision constitutionnelle d'initiative citoyenne serait d'abord soumise à un contrôle de recevabilité assuré par un tribunal judiciaire. Si elle était recevable et soutenue par 700 000 citoyens, elle serait obligatoirement soumise à référendum.

La pétition demande également la suppression de l'alinéa 3 de l'article 89 de la Constitution, afin que les révisions constitutionnelles à l'initiative du Président de la République ne puissent plus être approuvées par le Parlement réuni en Congrès, mais seulement par la voie du référendum.

Actuellement, en application de l'article 89 de la Constitution, l'initiative d'une révision constitutionnelle appartient au Président de la République, sur proposition du Premier ministre, et aux membres du Parlement. Après le vote du projet de révision par les deux chambres, en termes identiques, le Président peut décider de le soumettre soit au référendum, soit au Parlement réuni en Congrès. Dans ce dernier cas, le projet est approuvé s'il réunit les trois cinquièmes des suffrages exprimés.

Je vous rappelle que la Constitution de la Ve République a été révisée vingt-quatre fois, dont deux par référendum. En 1962, il a été décidé de cette façon que le Président de la République serait désormais élu au suffrage universel. L'article 11 de la Constitution avait alors été utilisé pour organiser directement un référendum sans saisir d'abord les assemblées, ce qui a été contesté notamment par de nombreux juristes, cet article ne traitant pas de la révision. En 2000, c'est aussi par référendum qu'a été décidée la réduction de sept à cinq ans de la durée du mandat présidentiel, cette fois selon la procédure prévue par l'article 89, c'est-à-dire après l'adoption du texte de la révision par les deux assemblées.

La révision de l'article 89 proposée par la pétition est présentée comme une façon de revigorer la prise de décision en associant davantage les citoyens, mais elle pose plusieurs problèmes sérieux.

Tout d'abord, le référendum d'initiative citoyenne est conçu comme un outil de contestation de la représentation nationale, jugée par principe défaillante pour représenter le peuple alors même que les membres de l'Assemblée nationale sont élus au suffrage universel direct. Cette approche revient à contester le résultat d'élections démocratiques. Le Parlement serait entièrement exclu du processus, puisque la proposition de révision constitutionnelle émanant des citoyens serait ensuite approuvée directement par eux seuls. Par ailleurs, en cas de révision constitutionnelle d'initiative présidentielle, la révision devrait obligatoirement être soumise à référendum, alors que la Constitution actuelle laisse ouverte la voie d'une adoption par le Congrès – et nous savons bien que cette souplesse peut être utile, notamment pour conduire des révisions très ciblées ou techniques. Dans les deux cas, l'exclusion du Parlement pourrait affaiblir notre démocratie représentative et alimenter l'antiparlementarisme.

Une telle mesure pourrait limiter à un choix binaire des réponses à des questions d'une grande complexité qui nécessitent des débats dépassionnés. La circulation de fausses informations peut également avoir une influence sur le choix du citoyen et constituer un véritable danger pour la démocratie. Des garde-fous solides sont donc nécessaires pour toute révision de la Constitution.

L'actuelle procédure remplit cette condition, puisqu'elle permet d'éviter une trop grande instabilité du texte constitutionnel et comporte des garanties institutionnelles essentielles pour notre démocratie.

Mais ce n'est pas le seul problème que poserait ce projet de réécriture de l'article 89 de la Constitution, loin de là. En effet, cette pétition, sans aucun argument, supprimerait les principes fondamentaux prévus aux alinéas 4 et 5 de l'article 89, qui prévoient qu'aucune révision constitutionnelle ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire et que la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision. Vous le reconnaîtrez avec moi, ce n'est pas un détail.

On le voit bien, toute modification de la norme suprême de notre ordre juridique requiert mesure et réflexion.

En outre, ce référendum d'initiative citoyenne ne présenterait pas suffisamment de garanties procédurales. Le contrôle de la recevabilité du projet de révision serait confié à un tribunal judiciaire, en méconnaissance de la compétence du Conseil constitutionnel, garant du respect de la Constitution, qui exerce cette compétence par exemple à l'occasion des référendums d'initiative partagée.

Enfin, nous nous sommes déjà prononcés récemment, à deux reprises, sur des propositions de loi visant à instaurer des référendums d'initiative citoyenne, notamment pour prévoir la possibilité de demander par référendum la convocation d'une assemblée constituante. Ces deux propositions de loi ont été rejetées.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de classer cette pétition.

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