Intervention de Éric Poulliat

Réunion du mercredi 5 avril 2023 à 14h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Poulliat, rapporteur :

Les articles 147 à 151 de notre règlement permettent à nos concitoyens d'appeler l'attention du Parlement, par une pétition, sur une évolution souhaitable du droit ou sur un sujet particulier.

Comme vous venez de le rappeler, monsieur le président, une nouvelle procédure d'examen des pétitions est entrée en vigueur le 1er septembre 2019. Elle prévoit notamment le renvoi direct des pétitions, suivant leur objet, à chaque commission compétente, qui peut décider de les classer ou de les examiner. Auparavant, pour mémoire, la commission des lois centralisait l'ensemble des pétitions et décidait de les examiner, de les classer ou de les renvoyer à la commission compétente.

Le bureau de la commission des lois a décidé, le 5 juillet 2022, que notre commission se saisirait des seules pétitions ayant recueilli plus de 5 000 signatures en l'espace de six mois, et que les pétitions qui n'auraient pas atteint ce seuil dans ce délai seraient classées d'office.

Parmi les 366 pétitions enregistrées à l'Assemblée depuis le début de la législature, 123 relèvent de notre commission ; 41 d'entre elles ont été classées d'office, faute d'avoir atteint ce seuil de 5 000 signataires en six mois.

Trois pétitions ont franchi ce seuil ; les deux premières concernent la Brav-M, la troisième le référendum d'initiative citoyenne (RIC) en matière constitutionnelle. Je présenterai donc ces trois pétitions, avant de vous faire part de mes propositions de réponse, en commençant par les deux qui concernent la Brav-M.

La pétition n° 1319, qui date du 23 mars, demande la dissolution de la brigade de répression de l'action violente motocycliste mieux connue sous le sigle Brav-M.

L'auteur de la pétition estime que ces brigades sont responsables d'exactions violentes, brutales et nombreuses, dans le cadre d'un emploi disproportionné et arbitraire de la force. Il reproche aux Brav-M, qui seraient le « symbol[e] de la violence policière », de tendre le climat social et de porter atteinte à la liberté de manifester par des méthodes contraires au schéma national du maintien de l'ordre. Il compare les Brav-M aux « voltigeurs », ces unités motorisées créées après les événements de Mai 68, puis dissoutes en 1986 après la mort de Malik Oussekine en marge d'une manifestation étudiante. Il appelle à dissoudre la Brav-M et conclut son texte par ces mots : « Stoppons le massacre. »

La pétition n° 1373, qui date du 29 mars, se présente, à l'inverse, comme favorable au maintien de la Brav-M ; elle demande que les forces de l'ordre soient soutenues face aux « hordes de fous furieux qui ne jurent que par les pavés et les cocktails Molotov ».

On voit que les propos sont tout à fait nuancés…

Ces deux pétitions traitant du même sujet, je vous ferai part de mon analyse conjointe.

Les Brav-M ont été créées en mars 2019, dans le contexte des manifestations des gilets jaunes. Ce sont des unités de police mobiles constituées de binômes à moto, intervenant lors de manifestations particulièrement susceptibles de troubler l'ordre public. Opérant à Paris et dans la petite couronne, elles font partie des compagnies d'intervention de la direction de l'ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris, comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur ce matin. Des unités mobiles du même type ont été introduites dans d'autres villes de France, sous le nom de dispositifs mixtes de protection et d'interpellation (DMPI), ainsi que dans la gendarmerie : les pelotons motorisés d'interception et d'interpellation (PM2I).

Chaque unité de Brav-M est composée d'un policier motocycliste – le conducteur – et d'un membre d'une compagnie d'intervention formé au maintien de l'ordre – l'opérateur –, muni d'une matraque et d'un lanceur de balles de défense (LBD).

Contrairement aux pelotons de voltigeurs motorisés créés en 1969, auxquels elles sont parfois comparées, les Brav-M ne peuvent procéder ni à des interpellations, ni à des charges, ni à des tirs depuis leur véhicule. Ce n'est que pour se déplacer le plus vite et le plus efficacement possible face à des attroupements très mobiles que ces unités sont motorisées.

Peu présentes lors des premières manifestations intersyndicales contre la réforme des retraites, les Brav-M ont retrouvé un rôle important depuis le 16 mars dernier en raison de la multiplication à Paris de manifestations non déclarées, trop souvent accompagnées de violences et d'incendies.

Lors de la seule journée du 23 mars, 140 départs de feu ont eu lieu à Paris, qu'il s'agisse d'incendies de poubelles ou de barricades, avec tous les risques que cela comporte. Le 21 mars, 85 interventions de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris ont eu lieu, et un immeuble a même dû être évacué, à cause de la propagation d'un feu de poubelles, dans le troisième arrondissement. Entre le jeudi 23 et le samedi 25, 425 personnes ont été arrêtées et placées en garde à vue ; 42 d'entre elles ont été déférées devant la justice. Enfin, selon les chiffres du ministère de l'intérieur, 861 policiers et gendarmes ont été blessés entre le 16 et le 27 mars.

Ces dernières semaines, des interventions violentes de plusieurs policiers des Brav-M – parfois filmées et largement diffusées dans les médias – ont entraîné l'ouverture d'enquêtes judiciaires et administratives confiées à l'Inspection générale de la police nationale (IGPN).

Dans ce contexte tendu, le rôle et les méthodes des Brav-M sont débattus. Leur existence même est contestée par certains de nos concitoyens, comme en témoigne le nombre de signataires de la pétition n° 1319, qui s'élève à plus de 260 000. La pétition n° 1373, qui a recueilli plus de 5 200 signatures, mais est un peu plus récente, exprime toutefois le point de vue inverse.

Il faut convenir que le portrait des Brav-M que dresse la pétition n° 1319 apparaît caricatural à plusieurs titres.

En premier lieu, on ne peut pas contester que des unités mobiles soient un complément utile aux traditionnelles brigades de maintien de l'ordre, dont les déplacements sont plus lents, en particulier lors de manifestations non déclarées, soudaines, éparses et violentes. C'est encore plus vrai dans une ville aussi dense que Paris, où la circulation peut être difficile.

Les travaux menés, sous la précédente législature, par Mme George Pau-Langevin et M. Jérôme Lambert, rapporteurs de la commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre, présidée par M. Jean-Michel Fauvergue, mettent d'ailleurs en avant le rôle essentiel de ces unités.

En second lieu, il faut rappeler que les Brav-M n'ont ni pour objet ni pour effet de restreindre la liberté de manifestation des citoyens, mais seulement d'intervenir lorsque des violences et des dégradations matérielles d'une particulière gravité se produisent en marge des manifestations, afin que les auteurs des faits puissent être rapidement interpellés et empêchés de poursuivre leurs actions violentes.

Je tiens à le souligner : en toutes circonstances, la plus grande attention doit être accordée au respect par les forces de l'ordre de la déontologie et des règles du maintien de l'ordre. Aucun dérapage ne doit ni ne peut être accepté, et les agissements fautifs de quelques agents appellent bien évidemment des sanctions fermes. Dix-sept enquêtes judiciaires liées à des manifestations ont d'ailleurs été confiées à l'IGPN à la date du 3 avril ; elles permettront d'établir les faits et d'aboutir aux sanctions nécessaires.

Cependant, le comportement fautif de quelques agents ne peut pas conduire à remettre en cause l'utilité des Brav-M dans leur ensemble lorsque l'ordre public est gravement menacé par des violences, des dégradations et des incendies.

Pour toutes ces raisons, je vous propose de classer la pétition n° 1319 demandant la dissolution des Brav-M.

De son côté, la pétition n° 1373 défend le maintien de la Brav-M « en soutien [aux] forces de l'ordre ». Or les pétitions ont pour finalité de proposer des réformes ou d'appeler l'attention des parlementaires sur un problème particulier. Elles n'ont pas vocation à défendre l'état actuel du droit, comme le fait celle-ci. Pour cette raison, je vous propose de classer également cette pétition.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion