Intervention de Aurélien Taché

Réunion du mercredi 29 mars 2023 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Taché, rapporteur :

Monsieur Paris, ce n'est pas moi qui le dis mais les services chargés de cette question à l'étranger – nous n'avons pas la chance, en France, de disposer d'une étude sur le sujet –, la menace terroriste d'extrême droite est la première des menaces au sein de plusieurs pays occidentaux. Ce n'est pas encore le cas en France où la menace djihadiste reste prédominante. Il convient évidemment de poursuivre la lutte implacable contre le terrorisme djihadiste ; mais faut-il attendre des attentats sur notre territoire pour comprendre la différence fondamentale, que nombre d'orateurs n'ont pas faite, entre, d'une part, un activisme d'ultragauche pouvant aboutir à des destructions de biens et à des violences et, de l'autre, un activisme d'ultradroite dont le but est de tuer ?

Si vous aviez assisté à l'audition de la DGSI hier, vous l'auriez entendue me dire que le risque était incomparable. Il n'existe pas, aujourd'hui, de risque terroriste d'extrême gauche en France. Certains essaient de tout mettre sur le même plan mais les services de renseignement font état d'un activisme violent de la part de l'extrême gauche, rapportant une tentative d'attentat déjoué pour ce qui la concerne, contre onze pour l'ultradroite ; et les six informations judiciaires en cours concernent la menace terroriste d'extrême droite. Nous devons absolument faire la part des choses : l'activisme violent – il est utile que nous nous y intéressions par le biais de la mission d'information – et le risque terroriste sont deux choses différentes. Je suis inquiet quand j'entends certains groupes relativiser et parler d'instrumentalisation politicienne alors qu'il est question de morts.

Les membres de la commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en France avaient déploré les limites auxquelles ils avaient été confrontés dans leurs travaux, faute d'avoir accès aux services de renseignement. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est nécessaire de s'adresser au Gouvernement. Lui seul est en mesure de rassembler des données précises et exhaustives qui nous permettront ensuite de mieux légiférer. Je ne demanderais pas mieux que de prendre des mesures pour endiguer la menace terroriste d'extrême droite, mais nous ne disposons pas des éléments nécessaires pour le faire en dépit des travaux parlementaires qui ont été menés. Seul le Gouvernement peut nous les fournir et, ce faisant, nous aider à définir une stratégie pour faire face à une menace grandissante qui a fait des milliers de victimes dans le monde ces dernières années – nous ne pouvons pas en dire autant de l'ultragauche que vous essayez de mettre sur le même plan.

Je m'étonne de constater une certaine proximité entre les remarques de la majorité et celles du Rassemblement national. Monsieur Jacobelli, il n'y a pas de coup de communication lorsqu'il est question d'attentats. Oui, des manifestations violentes ont eu lieu ces dernières semaines et des actes de violence ont été commis à Sainte-Soline ce week-end, où j'étais présent – et je ne le regrette pas.

Ce n'est pas parce qu'une doctrine de maintien de l'ordre très dure interdit des manifestations de manière préventive que nous devons nous en satisfaire. Ce n'est pas parce qu'il a été décidé, plutôt que d'exfiltrer les éléments violents, de rester statique et de s'exposer au risque de confrontation avec les éléments violents, que des élus de la République ne doivent pas manifester pour défendre une cause juste : celle de la préservation du bien commun qu'est l'eau.

En outre, ma présence m'a permis de constater plusieurs dysfonctionnements graves. Des enquêtes ont d'ailleurs été ouvertes, notamment sur les conditions d'intervention des secours. Nous avons dû évacuer nous-mêmes des blessés, malgré nos appels réitérés aux services de secours ; on nous répondait qu'une intervention était impossible – j'en suis témoin.

Monsieur Schellenberger, ma proposition de loi est certainement imparfaite. J'aurais néanmoins souhaité que nous travaillions de manière constructive pour l'améliorer, mais encore faudrait-il que la menace terroriste d'extrême droite soit prise au sérieux, et non mise sur le même plan que d'autres phénomènes qui, pour être tout à fait regrettables pour la société, ne mettent pas en danger la vie de milliers de Français, ciblés en raison de leur origine, de leur confession ou de leur orientation sexuelle. Si elle était démagogique, ma proposition de loi ne viserait pas à demander au Gouvernement une étude sérieuse pour aider la représentation nationale à définir une stratégie.

Je le dis solennellement, le fait de résumer ma démarche à une instrumentalisation politicienne est indigne pour les victimes du terrorisme d'extrême droite. Je ne pensais pas que le groupe Les Républicains s'engagerait dans cette voie. Je le regrette profondément.

Thomas Portes, qui a mené des travaux précieux sur la radicalité d'extrême droite dans d'autres cadres, tels que l'Observatoire national de l'extrême droite, propose, pour enrichir la proposition de loi, plusieurs amendements auxquels je serai favorable. L'un d'eux, tout à fait bienvenu, concerne les liens avec des groupuscules d'extrême droite à l'étranger. On peut s'interroger aussi sur les financements, les éventuels liens avec des formations politiques et des médias afin de mieux cerner la nébuleuse idéologique qui sert un discours violent et intolérant. Ce discours, toutes les personnes auditionnées nous l'ont dit, contribue à la libération de la violence. Quand la théorie du grand remplacement sur laquelle s'est appuyé l'auteur de l'attentat de Christchurch est reprise par de nombreux responsables politiques et éditorialistes français, il y a de quoi se poser des questions.

L'intervention de Mme Faucillon s'inscrit dans la philosophie de la proposition de loi : oui, il y a une vraie différence entre le risque terroriste, confirmé par les services de renseignement, et l'activisme parfois violent qui, s'il peut être condamnable, n'est pas du même ordre. Ce n'est pas une différence de degré mais de nature. 1500 individus issus de la nébuleuse d'extrême droite sont aujourd'hui susceptibles de passer à l'acte terroriste. Selon la DGSI, le risque terroriste venant de l'extrême droite n'a jamais été aussi grand dans notre pays.

Monsieur Saulignac, il est vrai que nous demandons trop de rapports au Gouvernement ; mais, sur le sujet qui nous intéresse, ce serait vraiment précieux car c'est le seul moyen d'obtenir des informations de la part des services de renseignement. Dans d'autres démocraties, le Parlement est destinataire de rapports sur le risque terroriste. Je vous rejoins sur celui qui vient des mouvances masculinistes, homophobes, etc. Si vous aviez déposé un amendement sur le sujet, je l'aurai accepté.

M. Lemaire a regretté le choix d'une proposition de loi. Sachez que le groupe Écologiste-NUPES, craignant, à juste raison, semble-t-il, le rejet du texte, a demandé un débat sur le risque terroriste d'extrême droite lors de la semaine de contrôle. Dès la semaine prochaine, je vous invite à assister aux auditions menées dans ce cadre. Nous entendrons le chercheur Erwan Lecœur, la Ligue des droits de l'homme, Raphaël Arnault – auquel je veux rendre hommage pour le travail de veille qu'il effectue sur la violence d'extrême droite – ainsi que les services de l'État et le Gouvernement. Le groupe est décidé à ne pas lâcher le Gouvernement sur le sujet de ce risque terroriste croissant, et je comprends que les autres groupes de la NUPES soutiennent la démarche.

La menace djihadiste reste prédominante, mais elle fait l'objet d'une stratégie de lutte bien établie. Je demande qu'il en aille de même pour le terrorisme d'extrême droite avant que nous ayons à déplorer des morts, comme c'est malheureusement le cas dans la plupart des grandes démocraties.

L'adoption de la proposition de loi serait un premier pas en ce sens, en ce qu'elle permettrait au Gouvernement de dresser un état des lieux exhaustif de la menace. Quel que soit le sort qui lui sera réservé, le texte aura permis de dévoiler la position des uns et des autres et de graver nos échanges dans le marbre en vue de débats démocratiques ultérieurs.

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