Le présent texte ne propose pas d'évolution normative de notre droit : il ambitionne de nourrir notre réflexion afin de mieux nous outiller pour protéger notre société contre un phénomène éminemment dangereux et en constante progression. Son objectif est donc simple : obtenir de la part du Gouvernement un rapport circonstancié et documenté qui nous permette ensuite de disposer des connaissances nécessaires pour mieux légiférer sur la menace terroriste d'extrême droite.
Permettez-moi tout d'abord d'anticiper les échanges à venir en répondant directement à une question : pourquoi se concentrer sur les groupuscules d'extrême droite et non sur ceux de l'ultragauche ?
La réponse à cette interrogation a déjà été apportée par notre ancienne collègue Muriel Ressiguier, sous la précédente législature, dans le cadre de la commission d'enquête sur la lutte contre les groupuscules d'extrême droite en France, qui a rendu ses conclusions en juin 2019, et elle tient en une phrase : la violence d'extrême droite tue. Elle est en effet responsable de l'essentiel des morts violentes dans notre pays par des groupuscules extrémistes politiques. L'activisme de l'ultragauche, quant à lui, peut détruire ou chercher la confrontation violente avec la police – ce qui est condamnable et que je condamne – mais il ne repose pas sur une idéologie ou sur un projet de société dont le but est d'éliminer des groupes ou des individus en raison de ce qu'ils sont.
Les groupuscules qui composent cette nébuleuse ont un mode de fonctionnement simple : la violence physique et symbolique ; un moteur : l'intolérance ; un but : la consécration de leur corpus idéologique, qui repose sur la haine de l'autre, notamment, de l'immigré, du Juif, de la personne LGBT.
Le milieu universitaire est formel : il n'existe pas de passerelle entre les groupuscules d'extrême droite et les groupuscules d'extrême gauche. Vous comprendrez donc que, sur cette base, je m'opposerai à l'ensemble des amendements visant à étendre le champ du rapport que nous sollicitons de la part du Gouvernement. Du reste, je vous renvoie aux travaux en cours, dirigés par nos collègues Jérémie Iordanoff et Éric Poulliat, sur l'activisme violent : leur mission d'information, qui a débuté ses travaux il y a quelques semaines, rendra des conclusions très attendues dans les prochains mois.
Permettez-moi également d'anticiper une seconde interrogation, tout à fait légitime : pourquoi demander un rapport au Gouvernement alors que le Parlement peut déjà s'emparer de ce sujet, comme il l'a d'ailleurs fait en 2019, que des travaux académiques existent et explorent déjà cette vaste thématique et qu'une mission d'information est donc en cours sur un sujet assez voisin ?
Qu'il s'agisse du milieu académique ou de la commission d'enquête de 2019, la conclusion est identique : lorsqu'il s'agit de mesurer l'implantation géographique et l'activité des groupuscules d'extrême droite, nous ne disposons que d'estimations et de projections, mais pas assez d'éléments objectivables, malgré les prérogatives étendues dont bénéficient les commissions d'enquête. Je ne doute pas que nos collègues chargés de la mission d'information sur l'activisme violent parviennent d'ailleurs à une conclusion proche de celle-ci. À l'inverse, le Gouvernement dispose des services de l'administration, en particulier, des services de renseignement – que j'ai d'ailleurs entendus – et semble ainsi le seul à même d'obtenir et de consolider l'ensemble des éléments permettant d'objectiver la présence et les actions de ces groupuscules. C'est pourquoi, dans le cadre d'un travail de co-construction et dans une logique de complémentarité avec les travaux parlementaires déjà réalisés et en cours, il importe de solliciter une étude exhaustive auprès du Gouvernement.
La proposition de loi n'est pas soumise à nos débats dans un contexte anodin. Les agressions violentes, voire les risques d'attentats commis par des membres de groupuscules d'extrême droite se sont multipliés ces dernières années, faisant peser la menace toujours plus lourde d'un emballement de la violence, dopée par la libération d'un discours public intolérant et le caractère viral de la circulation de l'information en ligne.
Les faits divers sordides s'accumulent. Pour n'en citer que quelques-uns : invasion des locaux de SOS Méditerranée à Marseille et agressions physiques des salariés, six femmes et un homme qui, je cite, ont cru « qu'il s'agissait d'un attentat » ; attentat de la mosquée de Bayonne en 2019 ; attaques récentes des centres du planning familial à Bordeaux ; attaque violente ayant failli tourner au meurtre, il y a quelques semaines, au domicile du maire de Saint-Brevin-les-Pins, qui accueille sur sa commune un centre pour réfugiés ; agressions dans les manifestations féministes ou les universités ; milices qui font régner la terreur dans les rues de Lyon… Agrégés les uns aux autres, ces faits tissent une réalité : les associations sont harcelées, en ligne et dans le monde « réel » ; leurs actions sont menacées, voire parfois annulées ; un poids singulier et anormal pèse sur les salariés, les bénévoles et, parfois, les élus, qui craignent pour leur propre intégrité physique. Une démocratie comme la nôtre ne devrait pas connaître ce genre d'incidents, surtout à l'encontre de personnes qui se battent pour une existence et un monde plus dignes.
S'agissant plus particulièrement du terrorisme, nous avons tous en tête les terribles tueries d'Utøya en Norvège, de Christchurch en Nouvelle-Zélande, où le terroriste disait d'ailleurs s'être inspiré de la théorie du grand remplacement développée par l'idéologue français Renaud Camus – laquelle, depuis qu'elle a été reprise par de nombreux responsables à droite de l'échiquier politique, pollue notre débat public – ou les nombreux attentats revendiqués par des groupes suprémacistes aux États-Unis, en Allemagne et dans tout l'Occident, qui ont déjà fait des milliers de victimes.
S'agissant de la France, les chiffres transmis par Europol dans son dernier rapport sur l'état de la menace dans l'Union européenne sont édifiants : en 2021, notre pays comptabilise 45 % de l'ensemble des arrestations réalisées au sein de l'Union européenne en lien avec des affaires de terrorisme d'extrême droite, contre 33 % il y a trois ans. Dans le détail, vingt-neuf personnes ont été arrêtées pour ce motif en 2021, contre cinq en 2020 et sept en 2019.
Ces chiffres traduisent un constat : le poids de l'extrême droite dans l'ensemble des arrestations opérées en France devient de plus en plus significatif et l'ensemble des collectifs ou victimes concernés que j'ai pu auditionner sont formels : le discours public de certains responsables politiques ou éditorialistes – ils passent parfois d'ailleurs de l'un à l'autre – visant à stigmatiser les personnes immigrées ou perçues comme tels, les personnes LGBTQI+ et les associations qui leur viennent en aide, favorise et encourage même la libération de cette violence.
Une vingtaine d'amendements a été déposée par des députés membres de plusieurs groupes parlementaires, et je les en remercie. J'espère qu'un certain nombre d'entre eux seront adoptés : je pense en particulier aux amendements complétant le périmètre du rapport demandé au Gouvernement, dont ceux de notre collègue Thomas Portes, visant à élargir le champ d'études aux relations des groupuscules français avec les structures analogues présentes à l'étranger, ainsi qu'aux soutiens financiers perçus par les médias partageant et promouvant l'idéologie d'extrême droite. Je pense aussi à l'amendement de notre collègue Andrée Taurinya proposant d'étudier la présence de l'idéologie d'extrême droite au sein des services spécialisés en charge de la détection et de l'analyse de cette menace.
Dans la continuité de l'audition de l'association SOS Méditerranée, j'ai également souhaité déposer un amendement visant à préciser, voire à compléter le cadre juridique protégeant les humanitaires en mission. Les pressions et intimidations constantes qu'ils subissent sont insupportables et l'État doit y répondre fermement.
Parce que les données collectées ne sont utiles que sur le temps long, leur actualisation régulière est absolument nécessaire. Je défendrai donc également l'amendement de notre collègue Andrée Taurinya visant à renouveler cet exercice tous les six mois à compter de la promulgation de la loi.
Je sais que les préoccupations qui sont les miennes et celles de mon groupe politique sont partagées par nombre d'entre nous sur ces bancs. Nous aurions tout à gagner à adopter ce texte, qui n'a pas d'autre but que de nous éclairer pour mieux légiférer.