Acquaviva . Merci beaucoup, maîtres, pour vos exposés liminaires. Vos propos sur le statut de DPS me semblent assez convergents avec ceux des syndicats de magistrats entendus hier. Il en est ressorti notamment que la dimension politique est prégnante sur la question de ce statut, pour certains détenus du moins, et qu'il fallait, d'après certains syndicats, aller vers une judiciarisation de ce statut. Il s'agit là d'une forme de reconnaissance de cette histoire douloureuse pour les trois détenus.
Notre commission a permis de recueillir les propos d'anciens gardes des Sceaux qui disent qu'il n'y a pas eu de gestion politique, mais une gestion particulière, des détenus basques et corses, ou les propos du directeur de l'administration pénitentiaire lui-même, qui convient que les critères de l'instruction ministérielle relative aux DPS sont suffisamment larges – vous avez employé le terme « vagues » – pour ne pas permettre la levée du statut, malgré le bon comportement remarqué d'Yvan Colonna en prison. Il s'agit là d'un début de reconnaissance, certes timide, du caractère large de ces critères, ce qui n'était pas le cas jusqu'à une date récente.
Nous avons également entendu d'autres acteurs, tels que les juges d'application des peines antiterroristes, qui sont venus justifier, sans sourciller, le maintien d'Yvan Colonna sous statut de DPS par la cavale, la situation pénale initiale, la relation supposée avec une organisation terroriste, ou l'existence d'un comité de soutien susceptible de constituer un risque d'évasion. Il y a là la preuve d'un excès de raisonnement qui dénote une réflexion politique qui va au-delà du parcours de l'individu. Jean Castex lui-même promeut désormais la réforme du statut de DPS pour l'avenir.
Pour revenir sur ce que Mme Davideau a rappelé concernant les détenus Alessandri et Ferrandi, l'ancien Premier ministre a affirmé, lors de son audition, avoir pris la décision en décembre 2020 de maintenir Pierre Alessandri sous statut de DPS sur la base de l'avis d'une commission locale favorable à ce maintien. Sur ce point, je me suis permis de le contredire en indiquant que la commission locale de Poissy était défavorable au maintien sous statut de DPS. L'ancien Premier ministre a d'abord contesté, avant d'affirmer ne plus se souvenir. Il conclut en affirmant que, de toute façon, le PNAT était très défavorable à cette levée. Vous avez ajouté un autre élément : lors de l'année civile 2021, la commission locale DPS n'a pas été réunie ; la même commission locale de Poissy, qui avait donné auparavant deux avis favorables et un neutre, se trouve être réunie en dehors de l'année civile en 2022 pour, cette fois-ci, donner un avis défavorable, avis que l'ancien Premier ministre était censé suivre mais qu'il n'a pas suivi du fait de la survenue du drame qui a entraîné un changement de position.
C'est bien la preuve par neuf qu'il s'agit d'une gestion politique. La commission d'enquête a donc eu ce mérite, mais aussi celui de revenir sur le contentieux Toulon-Marseille-Conseil d'État. Le tribunal administratif de Toulon subodore bien, en des termes clairs, la réunion d'une « supposée » commission locale de Toulon, le 13 décembre 2011, concernant Yvan Colonna. Or le Conseil d'État ne conteste pas ce fait. Il dit simplement que la loi prévoit que le pouvoir politique et réglementaire prend la décision. La décision est donc bien conforme à la loi puisque le garde des Sceaux et le Premier ministre ne sont pas liés par les commissions locales. Il s'agit donc indirectement d'un aveu clair qu'il y a bien eu une intention de nuire avec une commission locale montée de toutes pièces pour donner un avis négatif à ce moment-là. Ce contentieux aura au moins permis de mettre en exergue de manière factuelle cet élément.
Nous sommes bien d'accord que les critères immuables, figés, ont fondé une approche rigoriste, de portée politique selon moi, alors qu'ils sont mis en confrontation avec une réalité factuelle, qui a été rappelée devant cette commission : risque d'évasion faible, parcours correct, voire très correct. Le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) a même évoqué le projet de bande dessinée relatif aux unités de vie familiale sur lequel travaillait Yvan Colonna avant le drame, projet dont j'ignorais l'existence et révélateur de la personnalité de celui-ci selon les propos mêmes du directeur pénitentiaire d'insertion et de probation. Ce grand écart a été démontré devant cette commission, ainsi que le grand écart en miroir concernant le parcours de Franck Elong Abé. Cela relève aujourd'hui de l'évidence.
Quand on aborde cette histoire sous l'angle de la reconnaissance de ce qui s'est passé – et, de ce point de vue, j'ai été agréablement surpris du débat que nous avons eu avec les représentants des syndicats de magistrats –, nous faisons également la démonstration que si Yvan Colonna avait été traité différemment, si son transfert avait eu lieu, il serait aujourd'hui encore vivant. Telle est aussi la conséquence du maintien à tout prix du statut de DPS. Il s'agit là d'une réalité importante, du point de vue politique et moral. Divers acteurs ont été questionnés devant cette commission. L'instruction ministérielle de 2012 ne fait plus état d'une commission nationale DPS. En 2007, la procédure faisait intervenir une commission locale, une commission nationale, puis une décision du garde des Sceaux. Or, devant cette commission, divers acteurs ont affirmé que postérieurement à 2012, une commission nationale DPS continuait à se réunir.
Lorsque Jean Castex nous précise que le PNAT était défavorable à la levée du statut, il avoue que certains acteurs sont intervenus avant sa décision – en tout cas c'est ainsi que j'interprète ce propos. Selon votre expérience, pensez-vous que cette pratique, avec un filtre politique préparatoire à la décision, est restée usuelle, comme semblent l'indiquer un certain nombre d'acteurs devant cette commission ? En substance, la commission nationale n'existe plus dans les textes depuis 2012, mais des acteurs – ceux qui participaient à la commission nationale, mais peut-être d'autres – continueraient à se réunir pour préparer la décision du ministre, qu'il s'agisse du garde des Sceaux ou du Premier ministre. Je fais écho également aux propos de Mme Belloubet qui indiquait que les décisions relatives aux détenus basques faisaient l'objet d'une préparation particulière. Vous paraît-il crédible que ces acteurs continuent à se réunir pour préparer la décision, par exemple, d'un Premier ministre qui ne suit pas l'avis favorable de la commission locale de Poissy ?