Ce débat sur la judiciarisation ou la non-judiciarisation – et donc la prégnance des points de vue administratif et politique – dans le maintien ou la levée du statut de DPS est effectivement intéressant, mais il se pose parce que nous sommes face à une affaire particulière. En effet, les deux détenus concernés relevaient du statut de DPS, mais l'un d'eux avait formulé des demandes de rapprochement familial, qui étaient relayées par la société, les élus et la famille. Ce qui était en jeu dans le cas d'Yvan Colonna était moins le statut de DPS en lui-même que le fait qu'il empêchait le rapprochement familial, que le pouvoir politique le savait et que les critères justifiant le maintien n'avaient plus rien à voir avec son parcours carcéral, qui était jugé très correct, sans incident. Il y avait pourtant un refus de levée du statut malgré cette implication relative au rapprochement familial. Cette situation a fait dire à un certain nombre d'acteurs que le traumatisme lié à l'assassinat du préfet Érignac, et donc la dimension politique de l'acte, étaient venus se nicher au sein des critères larges relatifs à ce statut, qui se référaient uniquement à la situation pénale ou au supposé lien avec une mouvance terroriste dans le temps, ainsi qu'au supposé risque d'évasion, jugé comme très faible par les praticiens du parcours carcéral, comme ils l'ont rappelé ici.
Tout en disant qu'il n'y avait pas de gestion politique des détenus, Mme Belloubet a reconnu qu'il existait tout de même une ingénierie particulière pour les détenus basques et corses. Il ne me semble pas que vous niez cette possible existence d'une analyse politique contextuelle concernant des individus qui permettait de parvenir à ce genre de décisions. Il me semble qu'il y a une convergence des propos : dans les critères des instructions ministérielles de 2007, 2012 et 2022, et comme Laurent Ridel l'a indiqué, le caractère large des critères au sens réglementaire permettait d'avoir cette gestion politique, avec une décision politique.
Le garde des Sceaux n'est en effet pas lié par les commissions locales DPS, qui formulent des avis. Pour preuve, et c'était l'objet du débat contradictoire avec Jean Castex, la commission locale de Poissy avait, pour la troisième fois, émis un avis favorable à la levée du statut dans le cadre du rapprochement familial. Un mois plus tard, Jean Castex prend une décision contraire, donc politique, non fondée sur l'avis, pour maintenir le statut.
Sur la question des recours devant le tribunal administratif, un des éléments de l'histoire des demandes de maintien ou de levée de statut de DPS d'Yvan Colonna correspond à la mise en exergue d'un excès de pouvoir par le tribunal administratif de Toulon en 2011 avec la réunion d'une fausse commission locale DPS. Si la cour administrative d'appel de Marseille a donné raison au tribunal, le Conseil d'État a donné raison à la Chancellerie, en se référant au simple fait que les avis de la commission ne liaient pas le ministre et que, quels que soient ces avis, le choix incombait à celui-ci. Cependant, cela n'enlève pas l'intention de nuire qui a été fomentée et qui a été identifiée par le tribunal administratif de Toulon. En effet, une fausse réunion anonyme s'est tenue en 2011, avec de faux documents donnés par la DAP de l'époque. J'entends la difficulté de trancher ce débat pour l'avenir, mais il existe aussi un besoin de reconnaissance de ce qui s'est passé. Comment fait-on ? MM. Colonna et Elong Abé étaient tous les deux soumis au statut de DPS, ils étaient dans une maison centrale comptant seulement 127 détenus, 15 DPS et 4 TIS, qui n'était pas en situation de surpopulation carcérale – même si des problèmes de moyens et d'absentéisme se posent. Comment cela a-t-il pu se passer, alors que la seule conséquence du statut de DPS est la surveillance accrue ?
Je vous remercie sincèrement d'avoir nourri les travaux de notre commission avec beaucoup de détails, de sincérité et de clarté. Même si vous n'avez pas donné de position sur les avis, vous avez joué franchement le jeu de la commission, ce qui n'a pas été le cas de toutes les personnes auditionnées. Je vous remercie enfin pour le débat contradictoire qui a eu lieu et qui contribue à enrichir nos travaux.