« Une proposition de loi brutale », « un recul sans précédent du droit au logement » aboutissant à « un accroissement considérable du nombre de personnes sans domicile » : tels sont les termes employés par soixante-neuf associations et syndicats, particulièrement inquiets du contenu du texte que nous examinons.
Dans un contexte de difficultés accrues pour les Français, qui subissent inflation et crise du logement, cette proposition de loi semble déconnectée des réalités du terrain. Atténuée par le Sénat, elle constitue néanmoins une épée de Damoclès pour des milliers de personnes en situation de précarité et handicape les associations qui œuvrent, jour et nuit, pour leur venir en aide.
J'aimerais à ce titre saluer le travail remarquable des acteurs associatifs et des bénévoles qui font face, très concrètement, à la misère et la contiennent autant que faire se peut. Le temps n'est pas venu d'alourdir leur fardeau. Or cette proposition de loi fait peser une charge supplémentaire sur les épaules d'acteurs fatigués par l'accroissement de la pauvreté dans nos rues, par le creusement des inégalités, par la persistance de la précarité. Il faut, plus que jamais, prendre soin de ce réseau associatif d'experts et de volontaires qui assurent un maillage précieux de notre territoire.
Comme je l'ai souligné en défendant la motion de rejet préalable, l'urgence est d'agir en amont pour éviter les situations d'impayés menant à l'expulsion des logements et les squats de structures qui sont, rappelons-le, en majorité vacantes et loin d'offrir le moindre confort. Moins simple, plus onéreuse, cette solution serait en cohérence avec les priorités affichées par le Gouvernement : votre Plan quinquennal pour le logement d'abord et la lutte contre le sans-abrisme ne fait-il pas de « l'accès direct au logement une priorité pour la réinsertion des personnes sans domicile » ? Cette proposition de loi va à l'encontre de cet objectif mis en avant par votre majorité depuis 2017.
Elle renforce en effet brutalement les sanctions contre les squats et les impayés de loyers en introduisant quatre nouvelles infractions dans le code pénal, dont deux criminalisent les individus connaissant de grandes difficultés financières. Ces derniers se verront ainsi grevés d'une nouvelle dette et les squatteurs seront passibles de plusieurs mois de prison. La réalité, c'est que ces mesures constituent un obstacle supplémentaire pour ceux qui essaient de sortir de la misère. Une telle sévérité à l'encontre de personnes qui, dans la majorité des cas, ne sont pas délinquantes est disproportionnée.
Que deviennent les personnes une fois expulsées ? D'après une enquête publiée par la fondation Abbé-Pierre en mars 2022 : un à trois ans plus tard, 32 % des ménages ne retrouvent pas de logement et vivent à l'hôtel, chez un tiers, dans d'autres formes de non-logement ou à la rue. Ceux qui se sont relogés ont mis en moyenne onze mois pour retrouver un toit. Parmi les personnes interrogées pour l'enquête, 29 % des expulsés n'ont pu poursuivre leur activité professionnelle. À cela s'ajoutent les conséquences sur la scolarité des enfants, ainsi que sur la santé physique et psychologique des personnes concernées.
Votre texte va aussi à l'encontre de vos propres ambitions en matière d'insertion et de plein emploi ! La création d'un nouveau délit de propagande ou de publicité en faveur de méthodes incitant ou facilitant l'occupation de logements est une menace pour les associations. La CNCDH a rappelé que cette disposition « pourrait pénaliser les activités associatives d'information et d'accompagnement à l'accès aux droits des personnes occupant des lieux de vie informels, voire entraver la liberté d'expression et la liberté de la presse lorsque les conditions de vie des personnes en cause font l'objet de récits ou de reportages par les associations ou les médias ».
D'autres conséquences indirectes pourraient résulter de l'application de ce texte : pensons aux baux verbaux portant sur un logement à usage d'habitation principale ou au droit de grève susceptible d'être gravement mis à mal par l'extension de l'infraction d'occupation aux locaux à usage économique. C'est un mauvais signal en ces temps particulièrement durs pour les Français qui se mobilisent pour leurs droits.
Si nous ne pouvons pas nier l'existence des difficultés dans lesquelles se retrouvent certains propriétaires, il n'est pas compréhensible que le premier texte de cette majorité consacré au logement vise à lutter contre les situations d'occupation illicite alors qu'il reste tant à faire pour traiter les causes du mal-logement.
Si l'on peut saluer le travail qu'a mené le Sénat pour pondérer certaines mesures et intégrer des dispositifs relatifs à la prévention, conduisant le rapporteur à se déplacer vers la gauche, notamment à l'article 7, les modifications qu'il a apportées ne constituent que des améliorations mineures. L'équilibre général du texte demeure malheureusement sensiblement identique à celui issu de la première lecture. Aussi voterons-nous à nouveau contre la proposition de loi.