Monsieur le ministre, peut-être l'examen de cette proposition de loi, qui témoigne de notre capacité à nous rassembler dans un esprit de justice pour agir au mieux, aura-t-il été un parcours d'entraînement en vue de la discussion du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles ; c'est, en tout cas, le vœu que je forme au nom du groupe Socialistes et apparentés.
Sapin 2, Egalim 1, Egalim 2, Egalim 3 : combien de lois et de tentatives réglementaires faudra-t-il pour garantir un prix juste sur l'ensemble de la chaîne de production ?
Je le redis ici, même si cela concerne vos prédécesseurs, monsieur le ministre : tant que nous n'aurons pas mobilisé l'ensemble des instruments de régulation des marchés qu'offre la politique agricole commune – je pense à la puissance des organisations de producteurs et à leur capacité de négocier les volumes et les prix ensemble – et les régulations extraeuropéennes – je pense aux risques de dérégulation des prix que recèle l'accord avec le Marché commun du Sud (Mercosur), faute de clauses miroirs et d'une exception agriculturelle – et tant que la loi de modernisation de l'économie (LME) ne sera pas véritablement remise en cause, ce que notre líder máximo, Charles de Courson, appelle l'oligarchie financière de la grande distribution continuera d'imposer des rapports léonins à des producteurs et à des industriels par trop dispersés.
En attendant, nous essayons de faire au mieux pour améliorer la situation. Ainsi, la proposition de loi permet – et je veux saluer le travail de Frédéric Descrozaille sur ce point – de lutter contre l'évasion juridique, laquelle a permis à une grande centrale d'achat française qui avait déplacé son siège social en dehors de nos frontières de faire ses courses dans notre pays tout en s'essuyant les pieds sur la loi française. Une telle pratique est d'autant plus honteuse que les mêmes nous donnaient des leçons de civisme sur de pleines pages de publicité dans la presse quotidienne régionale. La proposition de loi remédie à cette situation : merci !
Elle prolonge par ailleurs l'expérimentation du SRP + 10. Une telle prolongation est justifiée car la période du covid et les turbulences géopolitiques ne nous ont pas permis de tirer toutes les leçons du dispositif. Encore fallait-il la soumettre à certaines conditions ; nous y avons veillé.
Grâce à un dispositif très technique sur lequel je ne m'appesantirai pas ici, elle répond à notre principal souci en organisant les relations commerciales entre les industriels de l'agroalimentaire et la grande distribution, de manière à éviter que ne s'instaurent entre eux des rapports léonins, et en préservant les petites et moyennes entreprises (PME) qui n'ont pas la même force de frappe que les grands groupes et leurs marques.
Nous avons veillé à ce que soit reconnue dans la loi la fonction spécifique des grossistes, qui représentent un chaînon important dans le modèle de type Rungis – c'est encore un point technique, mais essentiel.
Le groupe Socialistes et apparentés est également fier d'avoir soutenu – d'abord contre la majorité, que nous avons fini par convaincre – l'idée qu'il fallait absolument un instrument permettant de mesurer les 5 à 600 millions captés par le seuil de revente à perte. Cet instrument de mesure existe désormais, et il nous permettra de constater s'il y a, ou non, ruissellement.
Enfin, l'expérimentation mise en œuvre il y a quatre ans à l'initiative de notre groupe et visant à établir des conventions tripartites, pluriannuelles et territoriales entre producteurs, transformateurs et distributeurs, est désormais définitivement inscrite dans la loi, tout comme y figure en tant que critère de conditionnalité des bonnes pratiques commerciales la faculté de s'appuyer sur les labels du commerce équitable ; c'est une mesure certes facultative mais dont nous espérons qu'elle soit incitative.
En guise de prospective, je conclurai par les deux défis qui se présentent à nous pour ce qui concerne le partage de la valeur. En premier lieu, il s'agit de mesurer réellement cette valeur, dans un environnement où les pratiques de la grande distribution mais aussi, parfois, des industriels, voire de certains producteurs agricoles, aboutissent à mettre en place de véritables écrans de fumée par la multiplication des structures de sous-traitance, de location immobilière, de prêt de matériel, et j'en passe. La fiscalité est devenue malheureusement une machine à optimiser et à dissimuler la véritable valeur produite.
Le second défi, c'est que, dans le monde de demain – François Pureseigle et Bertrand Hervieu, auditionnés par l'Assemblée, nous l'ont rappelé hier –, les ouvriers seront de plus en plus nombreux dans l'agriculture et l'agroalimentaire. Aussi faudra-t-il veiller, au-delà du partage équitable de la valeur entre producteurs, transformateurs et distributeurs, à ce que tous les travailleurs de la terre et de l'agroalimentaire touchent le digne fruit du travail qu'ils accomplissent au service de notre nation et de notre planète.