La proposition de loi qui nous est soumise vise à étendre le champ d'application de la peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité aux violences ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à huit jours et figurant à l'article 222-13 du code pénal, c'est-à-dire essentiellement aux cas de violences conjugales ou intrafamiliales. Il s'agit d'un texte de circonstance, la présidente du groupe Renaissance de l'Assemblée nationale ayant estimé que le retour dans l'hémicycle d'un député d'opposition, condamné à une peine d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violences conjugales, n'avait « rien de normal », et annoncé le dépôt de cette proposition de loi, qui n'a aucune autre raison d'être.
Je m'inquiète et je dénonce ce dévoiement de la production législative au service de l'instantanéité, de l'émotion, si légitime soit-elle. Dans une autre vie, à une époque où il faut reconnaître que ce combat n'était pas vraiment pris au sérieux et encore moins médiatisé, je me suis consacrée durant trente ans, au sein d'associations – notamment le Centre d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de Nîmes, qui fait un travail remarquable –, à la défense des femmes et des enfants victimes de violences intrafamiliales. À l'instar de l'immense majorité de nos concitoyens, je condamne ces dernières avec la plus grande énergie ; ce n'est pas pour autant, je le répète, que nous devons céder à la dictature de l'émotion et renchérir sur la législation en vigueur. Le texte proposé n'apportera rien, bien au contraire !
Il nous faut aller de l'avant, combattre ouvertement les violences infligées aux personnes vulnérables, véritable cancer de notre société, dissuader les conjoints violents, notamment par de lourdes peines de prison ferme. L'inéligibilité doit toutefois rester un complément de la peine principale, une sanction à la discrétion du juge, sans que le pouvoir législatif ne le contraigne à l'appliquer automatiquement, ce qui le décharge du soin d'en apprécier systématiquement la pertinence – au contraire, par une inversion de perspective, il n'est tenu de motiver sa décision que lorsqu'il s'abstient d'appliquer cette peine !
Le droit, en l'occurrence le droit pénal, ne se confond pas avec la morale, laquelle est largement affaire de circonstances et d'appréciation. Du point de vue du droit, les peines complémentaires prolongent au besoin la peine principale et devraient, en vertu du principe constitutionnel de nécessité des peines, avoir un rapport avec l'infraction sanctionnée. C'est le cas lorsque l'inéligibilité est prononcée pour fraude électorale ou détournement de fonds ; c'est nettement moins évident s'agissant des infractions visées par la proposition de loi. En tout état de cause, il n'est pas déraisonnable de penser qu'il revient in fine aux électeurs de décider de ce qu'ils attendent, humainement et moralement, de la représentation nationale, en élisant ou non un candidat condamné pour des faits visés à l'article 222-13 du code pénal : c'est aussi cela, la démocratie représentative. Il revient également aux partis politiques d'investir ou non un tel candidat :