Cela ressemble à s'y méprendre à une fenêtre, mais voir le monde à travers un écran est une façon bien froide de l'appréhender.
La question qui nous occupe, et nous occupera de plus en plus, est bien celle de notre envie de laisser nos enfants découvrir ce monde sans âme qui, en cas d'excès, détériore leur psychisme et leur santé. Comment voir un danger dans un outil aussi banal qu'un écran, dont la présence dans nos vies est devenue absolue, incontournable, tant dans la rue qu'à la maison, dans les transports ou au travail, bref : partout.
Visibles par tous, les écrans sont, dès le plus jeune âge, des outils quotidiens très plaisants pour les enfants : ils diffusent sans cesse des images colorées et distrayantes, les histoires s'enchaînent et n'ont jamais de fin. Lorsqu'ils sont utilisés à des fins pédagogiques, ils permettent de répondre à des quiz ou de cliquer dans un temps imparti sur l'image qui correspond au mot énoncé. Rien de bien problématique en apparence, donc.
Mais, très vite, ils deviennent la norme, au détriment des apprentissages fondamentaux et de la santé des plus petits. Comprenez bien : il ne s'agit pas d'être technophobe et de balayer d'un revers de main l'utilisation de tout support numérique dans la vie des enfants. Mais la balance entre les bénéfices et les risques doit être faite, et vite.
Car si la littérature scientifique française permet d'ores et déjà de mettre en garde les parents contre les conséquences d'une exposition aux écrans sur les enfants, leurs effets à long terme sont encore trop méconnus. À court terme, les risques sont nombreux : ralentissement de l'apprentissage des fondamentaux, troubles cognitifs, relationnels et intellectuels, troubles du sommeil et de la concentration, obésité, problèmes de vue, hypertension artérielle… Bref, c'est tout une hygiène numérique que nous devons inventer.
La vitesse à laquelle les écrans sont entrés dans nos vies ne nous a pas laissé le temps d'intérioriser les bons gestes à adopter. Et, nous le savons, les bonnes pratiques sont plus longues à s'ancrer dans le quotidien que les moins bonnes.
Le texte que nous étudions est, comme vous l'écrivez dans son exposé des motifs, madame la rapporteure, la « première pierre législative » d'un grand plan qui se veut ambitieux, et c'est une bonne chose. Toutefois, comme notre collègue Christine Loir l'a montré dans son rapport d'information sur les jeunes et le numérique, le législateur peine à instaurer une protection suffisante.
L'adoption d'une hygiène numérique prend du temps, et cela dépend moins du législateur que des familles. Il ne s'agit pas d'assurer une police de la bonne conduite au sein des foyers ; nous sommes évidemment très attachés à la liberté d'éducation. Mais il faut que nous ayons le courage de contrebalancer l'ingérence des écrans. Je pense notamment à leur présence dans les classes de maternelle.
Le fait que des enfants de petite, de moyenne et de grande section aient accès à des écrans pose deux problèmes majeurs. Le premier, c'est bien sûr celui de l'acquisition des apprentissages fondamentaux que sont la motricité, le langage, la construction des relations avec la famille et la sphère sociale, la compréhension de l'environnement quotidien… Les neurosciences nous apprennent qu'un enfant qui tape sur le clavier d'une tablette fait le même geste quelle que soit la lettre qui s'imprime sur l'écran, alors que lorsqu'il trace ces lettres sur le papier, des connexions neuronales se font, qui sont très importantes pour la suite de leurs apprentissages.
Si la maternelle ne doit pas compenser ou se substituer au rôle parental, elle permet de développer de nouvelles compétences et d'en renforcer d'autres. De fait, l'enfant découvre un nouveau monde lorsqu'il entre en maternelle : il apprend à se comporter en société auprès d'enfants du même âge et à nouer avec eux des liens affectifs. Il apprend également à se passer de ses parents et à communiquer avec le personnel éducatif, loin de la sphère rassurante du foyer. Ces années sont donc cruciales pour un développement serein de l'enfant lui garantissant des bases solides et suffisantes.
Le second enjeu de la présence des écrans en maternelle est celui de l'égalité des chances – nous avons évoqué cette question en commission. D'après l'Association française de pédiatrie ambulatoire, les enfants âgés de 1 à 6 ans passent en moyenne quatre heures dix par semaine sur internet et 44 % des parents d'enfants de moins de 3 ans leur prêtent leur téléphone afin de les calmer et de les occuper.
À cela s'ajoute la forte présence de la télévision dans les foyers. En juin 2021, une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a mis en évidence qu'à 2 ans, le niveau de langage des enfants toujours exposés à la télévision pendant les repas de famille est plus faible que celui des enfants qui ne le sont jamais. Cela n'a rien d'étonnant, puisque l'enfant et les parents se détournent des conversations humaines au profit de stimulations visuelles et auditives qui brouillent les distinctions phonologiques.
Le temps passé devant un écran, notamment lorsque c'est au détriment des moments passés en famille, dépend bien souvent de la catégorie socio-économique à laquelle appartiennent les parents. L'écran remplace une activité culturelle, ludique, souvent à l'extérieur, en particulier lorsque le parent est seul.
Ces inégalités dans la richesse et la variété des activités, nous ne devons pas les reproduire à l'école. Alors, allons plus loin et supprimons l'écran là où il n'apporte rien mais prive de beaucoup. Si l'enfance est une saison qui ne dure pas, faisons en sorte qu'elle demeure la plus épanouissante possible !