Le constat dressé par le rapporteur est accablant : en quelques années seulement, l'apparition des réseaux sociaux et la généralisation de leur usage ont profondément bouleversé nos vies et, plus singulièrement, celles de nos enfants et des jeunes générations.
Les chiffres sont sans appel : 82 % des enfants de 10 à 14 ans se rendent régulièrement sur internet sans que leurs parents n'en sachent rien, un chiffre qui atteint 95 % pour les jeunes de 15 à 17 ans. Ainsi, 70 % des enfants de tous âges regardent seuls des vidéos sur internet. En moyenne, les enfants entre 7 et 12 ans passent neuf heures par semaine sur le web, un chiffre qui grimpe à près de dix-huit heures pour les adolescents entre 13 et 19 ans. En outre, la Cnil constate que la première inscription sur les réseaux sociaux a lieu, en moyenne, à 8 ans et demi, et que plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans y sont présents. Enfin, doit-on encore rappeler que les enfants de 7 à 10 ans utilisent en moyenne deux réseaux sociaux, contre trois pour ceux de 11 à 14 ans.
S'il est évident que les réseaux sociaux peuvent constituer une porte ouverte sur le monde et être une source d'apprentissage quand ils sont utilisés avec modération, ils sont pourtant devenus pour beaucoup de jeunes un enfer, une véritable drogue entraînant isolement, troubles de la concentration, troubles du sommeil, surpoids, dépression, harcèlement, chute des résultats scolaires, conduites addictives, et même suicide. Les chiffres font frémir : l'association e-Enfance, qui gère la ligne téléphonique 3018 pour les jeunes victimes de cyberharcèlement, fait état d'un nombre très important et toujours croissant de victimes. De janvier à septembre 2022, environ 25 000 cas y ont été traités, soit 6 000 de plus que pour l'ensemble de l'année 2021. Un dernier chiffre : si plus de 82 % des mineurs ont déjà été exposés à du contenu pornographique, cela concernerait, selon le site gouvernemental jeprotegemonenfant.gouv.fr, près d'un enfant sur trois à l'âge de 12 ans.
Instaurer une majorité numérique va donc dans le bon sens, même s'il aurait été préférable de la fixer à 16 ans au lieu de 15, afin de s'aligner sur les règles européennes et de revenir à la position défendue par la France dans le cadre des échanges autour de la création du règlement général sur la protection des données.
Par ailleurs, il est plus que temps que l'interdiction de l'inscription sur les réseaux sociaux avant 13 ans ne soit plus symbolique, mais effective. À cette fin, il serait bon de nous interroger sur le rôle des plateformes dans la protection de leurs utilisateurs : en effet, c'est aussi à elles de définir une éthique en matière de protection et de développer les outils de sa concrétisation.
En outre, la définition des réseaux sociaux doit pouvoir être facilement modifiée, tant sont rapides les évolutions technologiques : à nous, législateurs, d'y veiller.
Mais au-delà de la majorité numérique, c'est le rôle des parents que nous devons interroger. Le contrôle parental est la pierre angulaire de la protection des enfants et des adolescents. Or, trop souvent, les parents ne sont pas conscients des dangers qui menacent leurs enfants, ou manquent d'outils pour les accompagner. Pas moins de 80 % d'entre eux affirment ne pas savoir ce que font leurs enfants sur internet : c'est énorme, et nous ne devons pas cesser de les sensibiliser, d'autant qu'au bout du compte, la décision de l'inscription de leur enfant sur les réseaux sociaux leur revient. Si l'État peut – et doit – avoir un rôle, les parents restent, et doivent rester, les premiers éducateurs de leurs enfants. C'est bien à eux qu'il revient en priorité de contrôler les contenus consultés et le temps passé sur les réseaux sociaux par ceux dont ils doivent assurer l'intégrité morale et physique. Comment les y aider ? C'est à cette question qu'il faudra répondre.
Vous l'aurez compris, je salue donc ce texte et les efforts du rapporteur. Je regrette néanmoins que la proposition de loi visant à garantir le respect du droit de l'image des enfants et la proposition de loi relative à la prévention de l'exposition excessive des enfants aux écrans, qui seront toutes deux discutées lundi prochain, ne soient pas examinées avec celle dont nous débattons aujourd'hui. Je regrette également que, malgré ses annonces, le Gouvernement tarde à trouver des solutions pour que les sites pornographiques soient enfin véritablement et réellement interdits aux mineurs : quand allons-nous développer des moyens techniques pour mettre fin à la violence morale et physique qu'ils font subir aux plus jeunes ? Là encore, nos débats auraient mérité d'être intégrés à une réflexion globale et transpartisane : ils n'en auraient été que plus cohérents et plus efficaces. La santé de nos enfants le vaut bien.