Intervention de Gérard Leseul

Réunion du mercredi 1er février 2023 à 9h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Leseul, rapporteur :

De nouvelles données le montrent chaque jour, l'urgence climatique est de plus en plus pressante.

Selon le programme des Nations unies pour l'environnement, 30 % de la population mondiale est exposée à des vagues de chaleur mortelle plus de vingt jours par an. En France, l'année 2022 a été la plus chaude jamais enregistrée par Météo-France depuis le début des relevés en 1900, et la deuxième année la plus sèche depuis 1959.

Le Fonds mondial pour la nature a relevé que près de 68 % des populations de vertébrés auraient disparu entre 1970 et 2016, un rythme cent à mille fois supérieur au taux naturel d'extinction. Enfin, six des neuf limites planétaires identifiées par l'équipe de scientifiques conduite par le professeur Johan Rockström, auraient d'ores et déjà été franchies.

Nous sommes responsables d'un changement d'état irréversible des écosystèmes mondiaux, mais aussi de graves pollutions, en particulier locales. Les incendies du site Bolloré Logistics et celui de l'usine Lubrizol ont ainsi porté atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement sain.

Le droit de l'environnement fait pourtant l'objet d'une attention importante et approfondie depuis plus d'un demi-siècle. Le développement du droit international et du droit communautaire, la consécration de l'environnement dans le bloc de constitutionnalité par l'intégration de la Charte de l'environnement et le renforcement continu des dispositions du code de l'environnement ont progressivement dessiné les contours d'un édifice juridique toujours plus protecteur.

Cette construction n'est pas achevée et le droit de l'environnement peut toujours être enrichi. L'échec de la révision constitutionnelle tentée en 2021 ou le manque d'ambition de la loi « climat et résilience » nous le rappellent.

Surtout, les pouvoirs publics ne font pas encore suffisamment appliquer le droit de l'environnement. Plusieurs explications peuvent être avancées.

Tout d'abord, au niveau local, l'autorité de police administrative compétente en matière d'environnement, à savoir les préfets, n'intègre pas suffisamment les enjeux environnementaux dans ses décisions. Professeurs de droit et associations de défense de l'environnement s'accordent même à dire qu'ils sont parfois écartés au profit d'autres intérêts, notamment économiques. Sensible aux intérêts économiques locaux, le préfet est victime du phénomène de « capture du régulateur », et les acteurs économiques dont l'activité nuit à l'environnement sont trop peu ou inégalement sanctionnés. Parfois même, ce sont les préfets qui sont sanctionnés lorsqu'ils font respecter le droit de l'environnement – cela aurait valu son éviction à la préfète d'Indre-et-Loire.

La deuxième explication tient à la technicité et à la complexité du droit de l'environnement, qui ne facilitent pas son appropriation par le citoyen. Celui-ci est désavantagé par rapport aux acteurs économiques qui disposent d'un meilleur accès à l'information, comprennent mieux la réglementation et disposent d'une plus grande expertise, ce qui leur permet de faire primer leurs intérêts. La complexité et la lenteur des procédures judiciaires en matière d'environnement éloignent également le citoyen de la justice environnementale.

Enfin, on ne peut que déplorer le caractère encore trop parcellaire de l'évaluation environnementale des politiques publiques. À cet égard, la Commission européenne a récemment relevé que le droit français ne prévoyait pas de garanties suffisantes pour faire en sorte que les autorités accomplissent leurs missions de manière objective. De surcroît, l'évaluation préalable des projets et propositions de textes législatifs reste insuffisante : les développements consacrés aux conséquences environnementales des projets de loi sont trop succincts, tandis que nous ne disposons pas de moyens suffisants pour évaluer les conséquences environnementales de nos propositions de loi.

De cette situation, de nombreux travaux scientifiques et juridiques ont conclu la nécessité de créer une autorité administrative compétente en matière d'environnement.

Plusieurs pays ont d'ores et déjà choisi de confier à une autorité indépendante des compétences en matière de médiation environnementale. En Nouvelle-Zélande, un commissaire parlementaire de l'environnement a été créé en 1986. En Argentine, en Suède, en Espagne, en Ontario, en Belgique ou en Autriche, les compétences des médiateurs ont été étendues au domaine environnemental.

En France, la Convention citoyenne pour le climat avait recommandé de créer un Défenseur de l'environnement. Quelques mois plus tard, le précédent Gouvernement avait confié à Mme Cécile Muschotti, alors députée, le soin de conduire la mission pour préciser les contours de cette nouvelle autorité. J'avais, pour ma part, défendu cette proposition audacieuse dès 2021, lors de l'examen du projet de loi constitutionnelle relatif à la préservation de l'environnement, qui avait malheureusement échoué.

Je vous propose aujourd'hui de créer une nouvelle autorité indépendante en matière d'environnement, sur le modèle du Défenseur des droits, créé en 2008 et institué en 2011, qui est bien ancré dans le paysage institutionnel français et représente une réussite à bien des égards.

Le Défenseur de l'environnement poursuivrait trois objectifs principaux.

Premièrement, il permettrait de mieux prendre en compte l'intérêt général environnemental dans la conduite des politiques publiques, notamment au niveau local. Il jouerait également un rôle de vigie au niveau local, en surveillant l'application du droit de l'environnement par les autorités déconcentrées. À cette fin, il serait doté d'un pouvoir de sanction administrative dont il ferait usage en tant que de besoin pour assurer la protection de l'environnement.

Deuxièmement, il améliorerait la compréhension et l'accessibilité du droit de l'environnement et des procédures associées et remplirait une fonction de « guichet unique environnemental ». Il pourrait être saisi par toute personne estimant que l'environnement est menacé. Il l'orienterait vers les institutions compétentes et accompagnerait le requérant, voire se substituerait à lui, devant les tribunaux.

Il contribuerait aussi à une meilleure lisibilité du paysage institutionnel française en rassemblant en une autorité unique de nombreux services compétents en matière d'environnement, qui sont autant d'interlocuteurs pour le citoyen.

Troisièmement, il contribuerait à une meilleure évaluation environnementale des politiques publiques en rassemblant les moyens des services compétents. Il pourra ainsi rendre des avis sur les conséquences environnementales des textes législatifs.

Son champ de compétences serait large. Il veillerait à la préservation de l'environnement et des biens communs planétaires par les administrations de l'État, les collectivités territoriales, les établissements publics, les organismes investis d'une mission de service public ainsi que par toute autre personne. Il contrôlerait le respect du principe d'amélioration constante, c'est-à-dire de non-régression, par les personnes publiques. Il s'assurerait que les politiques publiques respectent les limites qui conditionnent l'habitabilité de la terre.

S'agissant de son organisation, le Défenseur de l'environnement serait inscrit dans la Constitution, ce qui garantirait sa pérennité. Il serait nommé par le Président de la République, après application de la procédure prévue à l'article 13 de la Constitution – sa nomination devrait être approuvée par les commissions permanentes des deux assemblées.

Il serait créé par fusion de services et d'autorités administratives existantes, charge à la loi de préciser lesquelles.

Il disposerait de garanties d'indépendance. Son mandat serait de six ans, non renouvelable. Ses fonctions seraient incompatibles avec celles de membres du Gouvernement et de membre du Parlement. D'autres incompatibilités et garanties devront être déterminées par la loi organique, comme l'inamovibilité.

Il serait assisté d'un collège et de plusieurs adjoints. J'en profite pour indiquer que nos auditions ont mis en évidence l'importance de la collégialité, du fait de la complexité des questions environnementales. J'y suis sensible. Nous préciserons ce point lors de l'examen de la loi organique.

Quant à ses attributions, le texte prévoit de lui accorder le pouvoir de rendre des avis sur les projets et propositions de loi, de prendre des sanctions administratives et de se saisir d'office.

Le texte renvoie à la loi organique le soin de définir les attributions et les modalités d'intervention du Défenseur de l'environnement, c'est-à-dire son statut juridique et ses pouvoirs. Pourront être envisagés un droit d'information, de recommandation, un pouvoir d'injonction, la possibilité de formuler des observations au cours d'une procédure juridictionnelle, voire d'ester en justice.

La meilleure défense, c'est la défense. Si nous voulons que nos concitoyens puissent défendre leur droit de vivre dans un environnement sain, que les pollutions soient sanctionnées et que nos lois accomplissent systématiquement des avancées en matière de préservation de l'environnement, nous devons instaurer une institution experte, identifiable, protectrice, indépendante et inscrite dans la Constitution : un Défenseur de l'environnement.

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