Je suis honorée et heureuse de me trouver devant votre commission en qualité de candidate proposée par le Président de la République pour siéger au CSM. Ayant répondu dans le détail au questionnaire que m'a adressé Mme la rapporteure, je vous dirai en quoi, il me semble – mais c'est à vous d'en juger –, mon parcours très diversifié, dont la constante est un engagement ferme et déterminé dans toutes les responsabilités que j'ai assumées, peut être utile au CSM. Je dirai aussi comment j'envisage les fonctions de membre du CSM en tant que personnalité qualifiée si vous confirmez la proposition du Président de la République, et ce que je comprends des enjeux à venir pour cette institution dans son organisation actuelle.
Membres de la commission des lois, vous savez que le CSM détient de la Constitution des missions essentielles. Il doit assister le Président de la République, garant de l'indépendance de la justice aux termes de l'article 64 de la Constitution, ce qui implique de veiller au respect de la séparation et de l'équilibre des pouvoirs, fondement de notre État de droit. Il lui appartient aussi de promouvoir la qualité de la justice par la gestion de ses ressources humaines, et la nomination des magistrats ou les avis qu'il donne sur ces nominations est celle de ses missions qui lui prend le plus de temps. La gestion des ressources humaines est d'une importance d'autant plus grande que les moyens humains de la justice vont considérablement augmenter. Elle doit s'adapter aux évolutions de la société et, bien sûr, aux exigences déontologiques. La déontologie a beaucoup évolué lors des précédents mandats du CSM ; son respect demeure une manière de prévenir les manquements au devoir des magistrats et d'éviter les décisions disciplinaires.
Je pense la diversité de mon parcours utile à l'exercice de la fonction à laquelle le Président de la République propose de me nommer. En effet, si le CSM est majoritairement composé de personnalités qualifiées, c'est pour privilégier l'ouverture et éviter l'entre-soi. L'intensité de mes engagements, toujours dans le service public comme vous avez bien voulu le souligner, madame la rapporteure, et aussi dans les organismes à but non lucratif auxquels je participe encore, témoigne de cette ouverture.
J'ai insisté, dans mes réponses à votre questionnaire, sur ma formation de jeune fonctionnaire au ministère de l'économie et des finances. J'ai acquis alors des savoirs et des méthodes qui me servent encore sur le poids croissant de l'économie et de la finance aux plans national, européen et international, l'évolution du droit et de notre système judiciaire, la connaissance des administrations centrales – ce qui peut ne pas être inutile au CSM –, la complexité des relations internationales et l'intérêt pour la France de la construction européenne.
De ces années, j'ai gardé la conviction qu'il est indispensable de former tous nos responsables, au-delà des enseignements théoriques, à la pratique de nos institutions et à la culture de nos organisations. C'est pourquoi j'ai dispensé pendant quinze ans à l'Institut d'études politiques de Paris un enseignement sur « l'Europe dans le monde », et c'est pourquoi aussi j'ai été heureuse d'être conviée, il y a quelques jours, à l'École nationale de la magistrature (ENM), dans le cadre de la formation continue, pour échanger avec des magistrats français et étrangers sur l'exercice de leur mission, qui évolue beaucoup dans le cadre de l'Union européenne.
J'ai découvert le fonctionnement du pouvoir exécutif lorsque j'ai eu le privilège d'entrer dans des cabinets ministériels et présidentiels, d'abord au cabinet de Jacques Delors, alors ministre de l'économie et des finances, puis au secrétariat général de la présidence de la République pour traiter des questions économiques, financières, européennes et internationales. J'ai été frappée par la complexité des choix et des décisions cruciales pour l'avenir de la nation. À l'époque, il s'agissait du choix du système monétaire européen, de la monnaie unique et de l'Union européenne, dans un contexte de bouleversement des équilibres européens et mondiaux : unification de l'Allemagne, effondrement de l'Union soviétique, montée en puissance de la Chine et des pays non alignés, et diminution du poids de l'Union européenne dans le monde. Ce bouleversement mène aujourd'hui à la contestation par les autocraties des grands principes qui fondent l'état de droit international – non seulement la contestation, assez ancienne, des droits individuels ou collectifs, mais aussi celle de principes restés immuables depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, tels que l'intangibilité des frontières, respectée même par Staline, et que l'invasion de la Crimée et l'attaque contre l'Ukraine remettent tragiquement en lumière. Mais la contestation des valeurs démocratiques n'est, hélas, pas le seul fait des autocraties – j'y reviendrai.
Je ne m'attarderai pas sur les cinq années passées au secrétariat général des affaires européennes, sinon pour dire que les questions juridiques étaient omniprésentes dans ce service interministériel dépendant du Premier ministre, que je dirigeais tout en étant conseillère du Président de la République. L'évolution du droit et des institutions européennes par les traités, les directives et les règlements imposait quotidiennement de concilier notre droit national et le droit européen dans tous les secteurs de la vie économique et sociale – agriculture, pêche, transports… Je me souviens, en particulier, d'une bataille homérique sur les pots catalytiques, l'Union européenne n'ayant cessé de développer sa législation en matière de protection de l'environnement. Ensuite, une évolution a eu lieu vers les domaines régaliens, puisque les compétences de l'Union sont désormais très larges en matière de coopération judiciaire.
Au ministère délégué aux affaires européennes, j'ai, pour la première fois, exercé des responsabilités politiques qui m'ont amenée à fréquenter assidûment le Parlement, notamment pour la négociation et la ratification de la convention de Schengen et du traité sur l'Union européenne, dit traité de Maastricht. J'ai mesuré la qualité des travaux des commissions à l'occasion des réformes constitutionnelles préalables à la ratification des traités et de la transposition des directives.
À ce moment, j'ai aussi mené mes premières campagnes électorales, d'abord pour les élections régionales en mars 1992 et, à partir de l'été 1992, au niveau national, pour la ratification du traité sur l'Union européenne. J'ai alors appris à quel point les élus et les structures locales sont essentiels à notre vie démocratique et pour la force de notre nation – ce que je garderai en mémoire si vous confirmez ma nomination au CSM – et combien aussi il est utile d'écouter les citoyens. Je me réjouis que dans la plupart des ressorts des tribunaux, les contacts se développent entre magistrats et élus. À mes yeux, le dialogue entre la magistrature, les administrations nationales et locales et les élus ne peut qu'enrichir les uns et les autres, à condition, bien sûr, qu'il ait lieu dans le respect de l'indépendance des magistrats et des responsabilités des élus et des fonctionnaires. Si vous approuvez ma nomination, j'aurai à cœur de veiller à la prise en compte, par le collège des membres du Conseil, du critère de l'ouverture des magistrats aux représentants des autres pouvoirs, des autres autorités et associations locales et, bien entendu, du Parlement.
J'ai siégé au Parlement européen entre 1994 et 1997, moment où la question du respect des droits et des libertés fondamentales était omniprésente. Nous savions que les pays d'Europe centrale et orientale qui venaient de se libérer de la tutelle soviétique rejoindraient un jour l'Union européenne ; il a donc fallu réviser le préambule des traités et les traités eux-mêmes pour être prêts à les accueillir en réaffirmant les valeurs et les principes fondamentaux de l'État de droit européen. J'ai été aux premières loges, si je puis dire, avec un collègue allemand, le Parlement européen nous ayant élus tous deux pour le représenter dans les négociations du traité d'Amsterdam. J'ai mesuré à quel point notre état de droit était précieux, et envié par les États d'Europe centrale et orientale qui aspiraient, sans exception et avec enthousiasme, à devenir membres du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne.
J'ai alors pris conscience que le respect de l'État de droit, qui paraissait aller de soi en Europe de l'Ouest et dans le monde avec la Charte des Nations unies, pouvait ne pas être acquis pour toujours. C'est pourquoi je pense que la contestation des valeurs démocratiques, de l'État de droit, fondement de la séparation des pouvoirs et de leur équilibre, doit être l'objet de l'attention de toutes nos institutions et, en particulier, du CSM. Nous sommes témoins d'événements tragiques dont nous ne pensions pas qu'ils puissent se produire dans certaines démocraties. Je pense, par exemple, à l'attaque du Capitole, encouragée, hélas, par le président des États-Unis, et qui a sans doute inspiré les partisans de M. Bolsonaro au Brésil, ou encore aux intentions affichées ces dernières semaines par Israël, la seule démocratie du Moyen-Orient, de ne pas respecter l'indépendance de la Cour suprême. Dans l'Union européenne, les positions des gouvernements polonais et hongrois, qui veulent contrôler la justice et limiter la liberté d'expression, sont aussi une évolution qu'il faut pouvoir combattre. En France même, hélas, certains, en remettant en cause la légitimité de notre cour suprême, s'engagent dans cette voie. Cette menace s'amplifie ; c'est pourquoi l'enseignement du droit national, européen et international et des principes et du fonctionnement de nos institutions est essentiel au dialogue entre l'autorité judiciaire et le Parlement.
Je dirai en quoi mon expérience de garde des sceaux m'a été et m'est encore utile. Cette nomination fut un honneur et j'en garde une grande fierté, car j'ai été la première femme – heureusement pas la dernière – nommée à ce poste régalien. D'emblée, j'ai pris l'engagement public de respecter scrupuleusement l'indépendance de l'autorité judiciaire et de ne prendre aucune instruction dans les affaires individuelles ; nous sortions alors d'une époque marquée par des épisodes pour certains rocambolesques, comme l'envoi d'un hélicoptère dans l'Himalaya pour en ramener un procureur. Je me suis aussi engagée à respecter tous les avis du CSM pour les nominations au parquet. J'ai engagé une réforme constitutionnelle qui, approuvée dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat en 1999, est bloquée depuis maintenant vingt-quatre ans.
Ces années m'ont permis de connaître le système judiciaire dans toutes ses composantes et les professionnels de la justice dans leur grande diversité : les magistrats, bien sûr, mais aussi les greffiers – je fus, m'a-t-on dit, la première des ministres de la justice à assister à un congrès de greffiers –, les avocats, les notaires, les huissiers, les personnels pénitentiaires si dévoués dans un travail si ingrat, la protection judiciaire de la jeunesse, les experts, les bénévoles, les médiateurs, les conciliateurs et, bien entendu, les associations de victimes.
J'ai consacré beaucoup de temps, avec bonheur, à travailler avec le Parlement à des réformes que nous avons menées de concert, avec le souci de considérer toujours le double regard des professionnels et des citoyens, qu'il s'agisse des droits fondamentaux, de la présomption d'innocence et des droits des victimes, de l'accès aux droits et à l'aide juridique, ou de réformes de société telles que le pacs et la parité. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la coopération judiciaire européenne, car l'interdépendance croissante fait que, dans le domaine de la délinquance et de la criminalité comme pour les affaires civiles, familiales ou commerciales, les dossiers transfrontières sont de plus en plus nombreux. Nous avons pu mettre au point, après un long travail avec le Parlement, lors du premier Conseil européen consacré à la justice, en 1999, à Tampere, une feuille de route qui a finalement abouti au principe de la reconnaissance mutuelle pour les décisions judiciaires dans les États membres de l'Union européenne, ainsi qu'au mandat européen.
Au ministère des affaires sociales, j'ai eu comme priorité les personnes fragiles, femmes violentées, personnes âgées dépendantes et enfants confiés à l'aide sociale à l'enfance.
J'ai ensuite été élue à l'Assemblée nationale, où j'ai siégé pendant trois législatures. Depuis 2017, je participe à des cercles de réflexion et j'ai des activités uniquement bénévoles dans des organismes à but non lucratif. N'était pas bénévole mon enseignement à l'Institut d'études politiques de Paris, mais il a pris fin l'année dernière.
En quoi tout cela peut-il être utile au CSM ? Dans une collégialité, on peut, même si l'on a des convictions, être amené à changer d'avis. Si, aux termes de la Constitution, les personnalités qualifiées sont majoritaires dans la composition du Conseil, c'est pour porter un autre regard que celui des magistrats sur les nominations, la déontologie et la discipline, pour nourrir les réflexions sur le fonctionnement de la justice, son avenir et son environnement européen et international, pour engager, aussi, un dialogue fécond entre personnes d'origines différentes afin de rapprocher des points de vue initialement opposés ou éloignés. J'ai depuis très longtemps la conviction qu'un dialogue ne produit de compromis constructifs que dans l'écoute, l'honnêteté intellectuelle et le respect mutuel des interlocuteurs. Avoir eu l'honneur de travailler au sein des deux pouvoirs et d'avoir fréquenté assidûment l'autorité judiciaire et les professions de justice a renforcé ma certitude que la séparation des pouvoirs est le socle de la démocratie, et que l'équilibre des pouvoirs exige le respect de l'indépendance de chacun, le dialogue entre eux, ainsi que l'ouverture.
Si votre commission me fait l'honneur de confirmer ma nomination, je m'engage bien sûr à consacrer au Conseil l'assiduité nécessaire, à bénéficier des bienfaits de la collégialité et à pratiquer les vertus d'indépendance, d'impartialité, d'intégrité et de réserve que l'on exige de la magistrature.