Dans la bataille des retraites qui se noue hors de cette enceinte, deux modèles de société s'opposent : diminuer le temps de travail pour mieux partager les richesses, ou travailler au seul bénéfice de l'accumulation indécente du capital. Cette proposition de loi, qui vise à fusionner les filières à responsabilité élargie des producteurs d'emballages ménagers et de papier, est l'occasion de débattre d'un autre antagonisme, au moins aussi important : celui qui oppose la logique d'accumulation du capital – qui va de pair avec la société de consommation, laquelle est au cœur du débat qui nous occupe aujourd'hui – à la préservation des ressources naturelles.
L'écologie scientifique et les sciences de l'environnement – je suis moi-même chercheur – nous enseignent que nous habitons une planète aux ressources naturelles finies. Hélas, le système économique qui régit nos activités ne tire pas les conséquences de ces enseignements. Il nous pousse à produire et à consommer toujours plus pour que certains puissent s'enrichir sans aucune limite, oubliant que dans un monde fini, cette spirale infernale du productivisme et du consumérisme n'est pas durable.
Évidemment, il reste préférable de recycler une partie des déchets produits par cette société de consommation. Nous progressons d'ailleurs en ce sens, puisque 72 % des emballages sont désormais recyclés. Mais le recyclage, lui aussi, produit des gaz à effets de serre et induit une dépense d'énergie.
Les avancées en matière de recyclage ne doivent pas masquer le fait le plus important, que je tiens à souligner : l'absence de baisse du volume des ordures ménagères. En effet, les ménages français produisent 39 millions de tonnes de déchets par an, soit 3 millions de tonnes de plus qu'en 2005. Chacun peut d'ailleurs constater la multiplication des emballages, guidée par une logique de marketing ou de packaging. Les sacs de tri ne désemplissent pas, bien au contraire : le consommateur a plutôt l'impression de remplir sans cesse le tonneau des Danaïdes. On lui demande d'ailleurs de financer le recyclage des emballages, puisque ce coût entraîne en fin de compte une hausse du prix du produit. Pourtant, ces emballages lui sont souvent imposés par la société de consommation et son cortège de publicités.
Pire : pour ceux qui en tirent profit, le déchet devient une marchandise comme les autres. Selon vous, il est urgent de fusionner deux filières de recyclage pour que la moins rentable bénéficie du soutien économique de la plus rentable, en l'occurrence les plastiques – même si vous prétendez le contraire. Mais pour qu'une filière soit rentable, il faut que le flux soit important, c'est-à-dire que le nombre de déchets augmente. La logique du marché pousse donc à augmenter le nombre de déchets recyclables. Ne voyez-vous pas en quoi cette logique est pernicieuse ?
L'idée que nous résoudrons par le marché et par le recyclage le pillage des ressources naturelles et la pollution qu'elle engendre prévaut depuis plus de trente ans. Le principe du pollueur-payeur, qui s'inscrit dans cette logique, montre à présent ses limites. Notre empreinte écologique a même recommencé à augmenter entre 2015 et 2019.
Cette proposition de loi ne permet d'envisager ni la réduction du flux de déchets, ni la remise en cause du modèle de surproduction et de surconsommation. Dès lors que les déchets sont valorisés grâce au recyclage, ils ne constituent plus pour vous un problème écologique, mais une source de profits. Pour notre part, nous estimons urgent de débarrasser la gestion des déchets de la logique du marché.
S'il est vrai que des synergies peuvent exister entre deux filières à REP, l'exposé des motifs démontre mal la pertinence de cette fusion. De nombreux observateurs des filières en question doutent de son utilité. D'ailleurs, un amendement de M. le rapporteur adopté en commission précise que le calcul de l'écocontribution des producteurs d'emballages ménagers restera strictement séparé de celui des producteurs de papier.
Les députés du groupe La France insoumise considèrent que l'enjeu essentiel consiste à réduire la quantité de déchets produits. Le meilleur déchet est en effet celui que nous ne produisons pas. Des solutions existent : par exemple, il est urgent d'interdire les plastiques à usage unique et le suremballage, ou encore de rendre obligatoire le recyclage et le compostage. Le texte ne contient rien qui permette d'avancer dans cette voie.
L'article 2 vise à conserver l'exemption, menacée par la loi Agec, dont bénéficie le secteur de la presse : plutôt que de contribuer financièrement à la filière à REP, il pourra ainsi y contribuer en nature. Il faut évidemment aider les éditeurs de presse, fragilisés par l'augmentation des prix du papier et de l'énergie. Néanmoins, le texte ne résout pas réellement ce problème. En effet, cette exemption ne compense en rien l'augmentation des coûts qui frappe le secteur. Il conviendrait plutôt de revoir la procédure d'attribution des aides, afin de favoriser le pluralisme de la presse en soutenant les médias de proximité. Or le Gouvernement n'en fait pas une priorité, puisque les moyens alloués aux médias de proximité dans le budget pour 2023 diminuent, en euros constants, par rapport à 2022.
Par ailleurs, l'exonération de l'écocontribution créerait un précédent important, susceptible de conduire à une remise en cause plus générale du fonctionnement des REP. Il faut s'abstenir de mélanger les différents sujets. Je sais que le secteur de la presse souhaite obtenir cette exemption, mais il s'agirait selon moi d'une victoire à la Pyrrhus, puisque le Gouvernement, au prétexte qu'il a cédé sur ce point, pourrait alors se dispenser de rechercher de réelles solutions à la crise de la presse.
Pour toutes ces raisons, le groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale votera contre cette proposition de loi dans sa rédaction actuelle.