Vous avez évoqué des critères, dont certains sont interprétatifs, sujets à des décisions qui vont au-delà de l'administration pénitentiaire, puisque vous faites référence à la composition des commissions locales DPS. Vous avez mentionné la présence du corps préfectoral, mais également de celle du juge d'application des peines antiterroristes et du parquet national antiterroriste. Certains critères sont larges, vous l'avez dit vous-même, c'est-à-dire sujets à interprétation. Nous vivons un après-drame dans lequel la différence de personnalité, de trajectoire, de parcours carcéral est évidente.
Yvan Colonna a formulé une demande à plusieurs reprises. Il me semble que l'ensemble des décisions prises par les commissions locales DPS font référence aux mêmes conclusions systématiques, quelle que soit la qualité du temps carcéral. C'est en raison de l'acte qu'il a commis, pour lequel il a eu trois procès, que l'on déduit son appartenance à une mouvance terroriste – encore faut-il prouver, au moment où il formule ces demandes, cette appartenance, ce dont on ne prend pas la peine, les textes étant suffisamment larges pour que ce ne soit pas nécessaire ; et que l'on déduit, s'il est transféré en Corse, qu'il peut certainement s'évader – c'est comme si l'on argumentait ou fondait la légitimité d'une légitime défense préventive. D'un côté, il nous est dit que d'après les renseignements pénitentiaires, le risque d'évasion d'Yvan Colonna est faible ; de l'autre, l'on fonde une décision immuable, en raison de son procès. L'on y adjoint des éléments de sanctions disciplinaires mineures pour conforter cette décision, comme celui qui concerne le baladeur MP3.
J'ai compris la grande largesse des textes, pour jauger ce qui, dans le cas d'Yvan Colonna, est clairement une faillite. Quelques-uns s'en accommoderont, parce que c'est le cadet de leurs soucis, mais lorsque l'on est démocrate, humaniste, attaché au droit, on ne peut pas s'accommoder d'une telle inégalité de traitement en matière d'accès à la famille : il nous est dit que le statut de DPS permet d'accéder à des unités de vie familiale (UVF) et un accueil de relations familiales, en omettant le fait que l'on se trouve à 550 kilomètres de la Corse, et que pour une seule personne, un déplacement coûte plusieurs centaines d'euros. Cela n'est pas le cas de tout détenu de France. Yvan Colonna ne voyait plus sa mère depuis quinze ans, le plus jeune de ses fils depuis trois ans, ni ses autres proches. De notre point de vue, cette situation met les textes en faillite.
Dans les méandres de la largesse des textes et des interprétations, se posent les canevas de la vie humaine et politique. Nous ne pouvons pas parler d'Yvan Colonna et d'autres détenus sans faire référence au traumatisme de l'assassinat du préfet Claude Érignac. Celui-ci a été vécu par beaucoup comme un traumatisme, et légitimement. Avez-vous eu écho directement ou indirectement de discussions, de pressions plus ou moins fortes, particulièrement ciblées sur le devenir des demandes de rapprochement d'Yvan Colonna de la part des pouvoirs publics, de certains corps, voire de parties civiles ? J'ai beaucoup de respect pour la famille Érignac, et cet acte n'aurait jamais dû avoir lieu, mais personne n'a le droit à la vengeance, ni à faire supporter à un individu plus que la peine déterminée à l'issue de son procès.
Aujourd'hui, nous rappelons naturellement qu'Yvan Colonna était sorti de sa peine de sûreté et qu'il avait droit, au-delà du rapprochement, à l'aménagement de sa peine. Or, jamais, dans le débat public, y compris informel, cette éventualité n'a été envisagée par les décideurs, et cela en raison de l'assassinat d'un préfet. Pourtant, c'était le droit. Il est de notre devoir de vous poser la question que je viens de vous poser. C'est un acte de justice et de pédagogie, de recherche de compréhension mutuelle, voire de réconciliation que nous sommes en train de réaliser à travers ces travaux.