Nous avons encore, à ce stade, de grandes interrogations. Ce n'est pas une accusation, mais un constat. Franck Elong Abé a été incarcéré en mai 2014, pris sur théâtre de guerre par les autorités américaines, ce qui n'est pas neutre, puis remis aux autorités françaises. Il passe par cinq prisons, comptabilise vingt-neuf incidents graves avant d'arriver à Arles, dont une prise d'otage et une tentative d'évasion, requalifiée en violence dans un second temps, sujet sur lequel il faudra que nous ayons une explication.
Concernant la demande d'évaluation en QER, les explications que vous donnez n'agréent pas à l'inspection et ne nous agréent pas à nous non plus, d'une part car elles sont contre-intuitives par rapport à ce que dit le code pénal, d'autre part en raison de l'intervention indue – c'est ce que dit l'inspection – du PNAT et du JAPAT sur des prérogatives qui ne sont pas les leurs. Nous avons donc une continuité d'incidents et une nécessité urgente d'évaluation. Il y a là une marche en avant, guidée par des propos très proactifs liés au droit à la réinsertion. Ce n'est pas moi qui dirai qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un discours d'État de droit, mais dans les explications que j'entends depuis quelque temps, l'on est très proactif dans la nécessité de préparer sa sortie, d'évaluer son psychisme, de ne pas forcément mettre en exergue sa dangerosité, de relativiser des faits en affirmant qu'il s'était amélioré statistiquement.
Si je compare ce parcours avec la gestion de la trajectoire d'Yvan Colonna, je constate – de différents propos, pas seulement des vôtres – que son parcours carcéral est correct, voire très correct, qu'il ne provoque pas d'incident mais qu'il est quand même sanctionné par des incidents notés qui lui valent de se voir refuser la levée du statut de DPS – je fais référence à la possession d'un baladeur MP3.
Concernant Yvan Colonna, il existait une demande familiale, individuelle, sociétale, politique autour de la question du rapprochement familial. L'administration centrale le sait. Vous le savez aussi. Cette demande de rapprochement d'Yvan Colonna, notamment pour son jeune fils, a fait l'objet d'un combat judiciaire continu et régulier. En 2021, Yvan Colonna était sorti de sa période de sûreté, qui avait été fixée à dix-huit ans par la Cour de cassation. Sur le papier, il était donc éligible à des demandes d'aménagement de peine. Il n'a pas formulé cette demande, car il estimait qu'on ne lui admettrait pas cette capacité eu égard au contexte de gestion des détenus du commando Érignac.
L'un des premiers contentieux porte sur la contestation du statut de DPS devant les tribunaux. Je rappelle que c'est l'administration pénitentiaire qui signe, au nom du ministre, l'acceptation ou le refus de la levée de ce statut. Le tribunal administratif de Toulon a estimé qu'il y avait eu excès de pouvoir de la part de la garde des Sceaux de l'époque, et annulé la décision de maintien du statut de DPS d'Yvan Colonna. Cette décision est suivie par la cour administrative d'appel de Marseille. Deux juridictions estiment qu'il y a eu abus de pouvoir. Une énergie et une ingénierie juridique importantes ont été déployées par la chancellerie et les services pour contrecarrer cette évolution.
Au tribunal administratif de Toulon, les avocats ont contesté le fait qu'une commission locale DPS avait eu lieu : « Si la ministre de la justice fait valoir en défense que l'instance en question a rendu un avis favorable au maintien de l'inscription le 14 décembre 2011, elle ne produit pour en justifier qu'un document non signé, dépourvu de tout élément d'identification de son auteur, et de toute référence à une réunion de la commission locale rappelant le passé judiciaire de l'intéressé et les motifs d'une proposition de maintien auxquels a été annexé un avis favorable du chef d'établissement pénitentiaire daté du 12 octobre 2011, soit une date antérieure de deux mois à celle de la réunion supposée.
Si la ministre fait valoir que le document en cause constitue la synthèse des avis formulés par les membres de la commission, la teneur comme son caractère anonyme ne permettent pas d'attester d'une réunion préalable effective en vue d'émettre un avis dans les conditions prévues par l'instruction ministérielle. L'avis rendu par la commission nationale du 15 décembre 2011 ne fait d'ailleurs aucune référence à l'avis prétendument rendu la veille par la commission locale, pas plus que la décision litigieuse de la levée DPS du 3 avril par le ministère.
Dans ces conditions, il n'est pas établi que la commission locale se serait effectivement et régulièrement réunie le 14 décembre 2011. »
Cela n'a pas été remis en cause par le Conseil d'État. Ce que dit le tribunal administratif et que reprend la cour d'appel administrative de Marseille fonde le fait qu'il y a eu intention de nuire.
Je prends ce cas précis dans l'histoire des demandes de levée du statut de détenu particulièrement signalé d'Yvan Colonna pour vous demander aujourd'hui votre avis. La seule conséquence du maintien du statut de DPS est une surveillance accrue. En l'espèce, cette surveillance accrue n'a pas eu lieu. Dans cette genèse, nous sommes obligés de constater la différence objectivable de traitement, l'un des deux détenus ayant été accompagné au nom du droit à l'insertion d'un individu. Vous avez fait référence à un « alignement des planètes » concernant l'acte lui-même. L'alignement des planètes existe aussi dans la genèse de l'acte. L'énergie qu'a mis l'administration pénitentiaire à produire de faux documents, de l'aveu du tribunal, révèle une intention de nuire. Nous sommes face à un traitement particulier de la demande d'Yvan Colonna, qui avait l'intention politique de faire appel. J'aimerais avoir votre avis sur ce point, et vous demander si selon vous le traitement d'Yvan Colonna dans le temps a été le même que celui de Franck Elong Abé.