En 2018, nous adoptions la loi Egalim 1 avec pour objectif de rééquilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire. Trois ans plus tard, cette loi n'ayant pas eu les effets escomptés – ce n'est pas moi qui le dis, mais son rapporteur, notre ancien collègue Jean-Baptiste Moreau –, la majorité nous proposait une nouvelle loi : Egalim 2.
Un an et demi s'est écoulé depuis l'adoption de cette seconde loi, mais l'objectif visé n'est toujours pas atteint : la rémunération des agriculteurs reste basse, malgré une progression récente, due non aux lois Egalim, mais à la pénurie alimentaire mondiale liée au conflit russo-ukrainien. Quant aux industriels, ils sont pris en tenaille entre l'inflation de la matière première agricole et une grande distribution qui refuse toujours d'augmenter ses prix d'achat.
Ainsi, la loi Egalim 2 à peine votée, on nous présente une loi Egalim 3, avec la promesse, une nouvelle fois, de corriger les écueils et les lacunes des deux précédentes. La raison des échecs successifs est la suivante : voilà des années que le législateur court derrière les acteurs de la grande distribution – comme d'ailleurs le rapporteur l'a dit lors de l'examen en commission –, sans parvenir à corriger les déséquilibres structurels qui les opposent aux industriels de l'agroalimentaire – directement – et aux agriculteurs – indirectement.
La grande distribution est fortement concentrée : en France, les quatre premiers groupements d'achat, français ou délocalisés, regroupent près de 90 % des parts de marché des produits de grande consommation. Cela lui confère un poids démesuré dans les négociations commerciales. Que peuvent faire les milliers d'exploitants agricoles individuels et les petits industriels, voire les grands, contre ces quatre géants ?
Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires considère que la multiplication des lois Egalim témoigne d'une forme d'impuissance des pouvoirs publics. Il est temps de changer d'approche et de s'attaquer à la racine du problème. Seule une véritable politique de décartellisation parviendra à corriger le rapport de force qui oppose la grande distribution à ses fournisseurs. Seule une adaptation de la politique de la concurrence permettra de déroger à la loi du plus fort qu'impose la grande distribution, et de résoudre le problème. Cette nouvelle loi Egalim passe, elle aussi, à côté de ce point essentiel – même si le rapporteur l'a évoqué lors de l'examen en commission. C'est pourquoi nous proposerons deux amendements visant à lutter contre l'oligopole de la grande distribution.
Néanmoins, s'agissant d'autres aspects, la proposition de loi prévoit des mesures intéressantes. C'est le cas de la création d'une loi de police à l'article 1er . Pour lutter contre l'évasion des centrales d'achat à l'étranger, elle prévoit que les dispositions du code de commerce s'appliqueraient à toute relation contractuelle, dès lors que les produits qu'elle vise doivent être commercialisés en France. Mais cela sera-t-il suffisant et, surtout, efficace ? Pourrons-nous éviter, par exemple, des clauses contractuelles de recours à l'arbitrage à l'étranger ou à un tribunal étranger ?
De même, si nous sommes favorables au plafonnement des pénalités logistiques, nous redoutons les stratégies de contournement. Un industriel de ma circonscription m'a expliqué que la grande distribution lui adresse systématiquement des demandes de pénalités logistiques, alors que la logistique n'a même pas encore été réalisée ! C'est extraordinaire !
Quant à la prolongation jusqu'en 2026 de l'encadrement du seuil de revente à perte, elle nous laisse dubitatifs. Évidemment, nous souhaiterions un meilleur équilibre entre la marge des distributeurs et celle des fournisseurs, afin que ceux-ci puissent à leur tour offrir de meilleures conditions d'achat aux producteurs. Mais le mécanisme de ruissellement n'a toujours pas fait ses preuves.
En outre, nous regrettons que le dispositif d'encadrement des promotions ne s'applique qu'aux produits agroalimentaires. Nous défendrons un amendement visant à l'étendre aux produits d'hygiène et de beauté.
De même, des interrogations subsistent quant aux effets de l'article 3, qui s'attaque à la question légitime du prix applicable à défaut d'accord entre les parties à l'issue de la période légale des négociations commerciales. En commission, monsieur le rapporteur, vous avez fait adopter un amendement afin de préciser qu'après un délai d'un mois, le nouveau prix demandé par le fournisseur s'appliquera automatiquement si le distributeur souhaite continuer à être livré. Mais cette proposition n'est-elle pas porteuse d'un risque inflationniste important ? C'est l'argument de la grande distribution, qui se pose en défenseur du pouvoir d'achat des consommateurs, oubliant que celui-ci dépend de la richesse créée au sein des entreprises. Sa stratégie d'achat, à des prix toujours plus bas au regard des coûts de production, favorise la délocalisation des entreprises industrielles et porte donc atteinte aux revenus des Français. N'oublions pas que 40 % de l'alimentation de nos concitoyens est importée.
Monsieur le rapporteur, vous proposerez tout à l'heure une nouvelle réécriture de cet article – la troisième. Elle semble à première vue de nature à renforcer le pouvoir de négociation des fournisseurs en leur facilitant la rupture commerciale, tout en ménageant la grande distribution, qui verra la convention échue prolongée d'un mois. Mais est-ce suffisant pour rééquilibrer les relations commerciales ?