Ne nous racontons pas d'histoires : cet accord a une portée essentiellement symbolique.
La Cour pénale internationale a été créée en 2002. Elle compte aujourd'hui 123 États parties, dont la France. Elle est la première et unique juridiction pénale à la fois permanente, internationale et à vocation universelle. Elle est compétente pour juger les crimes internationaux les plus graves : génocide, crime contre l'humanité, crime de guerre et, dans certains cas, crime d'agression. Elle a été imaginée pour lutter contre l'impunité et donc contre toute forme d'immunité, ce qui lui permet de juger les principaux responsables de ces crimes, y compris des chefs d'État ou de gouvernement, des ministres et même des parlementaires.
Pour garantir son bon fonctionnement, la conclusion d'accords bilatéraux entre la Cour et ses États membres est essentielle. Parmi ces accords, celui qui nous occupe aujourd'hui permettra la détention de personnes condamnées dans une prison française, afin qu'elles y purgent leur peine, sans avoir besoin de négocier un nouvel accord à chaque fois. Il faut préciser que tous les accords bilatéraux conclus avec la Cour pénale internationale sont d'application volontaire et reposent sur un principe de double consentement : aucune obligation d'accueil d'une personne condamnée ne s'imposera à nous et la France aura l'occasion de se prononcer sur chaque cas précis, en vertu, par exemple, des places disponibles ou d'éventuels liens entre la personne condamnée et la France.
Vous avez évoqué en commission, monsieur le rapporteur, la question de l'efficacité de la CPI, en rappelant qu'il n'y avait eu que cinq condamnations définitives pour trente-huit mandats d'arrêt délivrés. C'est peu, tout le monde en conviendra. On nous répondra que pour être crédible, irréprochable, la justice internationale a besoin de temps. Bien sûr, mais je suis persuadée, convaincue, que cette Cour pénale ne pourra pas tout faire toute seule. Il est indispensable de prévoir, au niveau national, des mesures complémentaires qui permettront de couper court aux soupçons d'inefficacité et d'illégitimité de cette juridiction. Je pense évidemment à l'application du principe de compétence universelle prévu par les conventions de Genève de 1949.
En France, les dispositions qui régissent la compétence universelle sont les articles 689 et suivants du code de procédure pénale. Ils précisent dans quelles conditions les tribunaux français peuvent l'exercer. Malheureusement, la France en a une vision pour le moins restrictive : elle ne peut y recourir que sur le fondement de certaines conventions internationales, contre la torture ou les disparitions forcées notamment. De plus, après avoir fait preuve d'un certain courage en condamnant, en juillet 2005, en application de cette compétence universelle, un capitaine mauritanien à dix ans de réclusion criminelle pour des actes de torture commis à l'encontre de Mauritaniens entre 1990 et 1991, la France a finalement jugé bon d'adapter – je devrais dire de restreindre – la compétence universelle en l'intégrant au droit français par la loi du 9 août 2010, qui assortit sa mise en œuvre de conditions si restrictives que celle-ci devient pratiquement impossible. La loi comporte en effet quatre verrous destinés à limiter l'usage de la compétence universelle afin, notamment, de protéger les militaires français en opération extérieure et d'éviter que la compétence universelle ne rende le passage en France trop périlleux pour les dignitaires étrangers, ce qui rendrait, prétendent nos autorités, encore un peu plus complexe l'exercice de notre diplomatie. L'Allemagne n'a pas ces pudeurs : elle multiplie les procès. Elle a encore condamné, en début d'année, un militaire syrien sur le fondement de la compétence universelle, ce que la France, disons-le, serait bien incapable de faire aujourd'hui.
Alors, approuver cet accord entre la France et la Cour pénale internationale, bien sûr ! Je le voterai, évidemment. Mais notre Gouvernement, s'il veut être crédible dans la lutte contre l'impunité, doit absolument revoir sa copie sur la compétence universelle. Tout le reste n'est qu'affichage et petits arrangements diplomatiques. Lutter contre l'impunité n'est pas qu'une affaire de textes, de postures, de principes ; il faut du caractère, de l'audace, de la suite dans les idées et, c'est vrai, il faut accepter le risque de se fâcher avec d'anciens ou de futurs amis. Mais il est difficile de s'afficher comme le pays des droits de l'homme en faisant preuve d'une prudence pour le moins excessive. Comme toujours, il y a d'un côté les effets de manche et de tribune et, de l'autre, les actes concrets ; ils sont parfois, j'en conviens, très difficiles à accomplir, mais cela s'appelle le courage.