L'occasion est toute désignée pour revenir sur un problème déjà abordé par Jean-Paul Lecoq, lorsqu'il était corapporteur de la commission des affaires étrangères, et par notre ancienne collègue Nicole Ameline. Le président de la commission et plusieurs de mes collègues l'ont rappelé : ce problème, c'est celui de l'adaptation du droit pénal français à la Cour pénale internationale. En effet, le texte d'adaptation limitait très fortement la compétence universelle de la France, en vertu de laquelle un État peut arrêter sur son sol un criminel étranger accusé de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité.
Cette entrave s'est manifestée par l'instauration de quatre critères : l'obligation de prouver la résidence habituelle du suspect en France ; le principe de double incrimination, lequel prescrit qu'on ne peut juger quelqu'un que si la peine encourue est également reconnue dans son pays d'origine ; le monopole des poursuites, en vertu duquel seul le ministère public est habilité à se saisir d'une telle affaire ; l'inversion du principe de complémentarité, impliquant que la France ne peut poursuivre le suspect concerné que si la CPI a décliné sa compétence.
L'ensemble de la commission des affaires étrangères de notre assemblée avait voté contre ces limitations. Chose rare, elle s'était opposée à la commission des lois et au Sénat, qui avaient voté en faveur de l'application de ces critères. Le Gouvernement de l'époque avait quant à lui choisi son camp, celui d'introduire ces quatre verrous dans notre législation. Disons-le clairement : la France est devenue soudainement un paradis pénal, un eldorado pour les criminels de guerre ou les auteurs de crimes contre l'humanité passibles d'un jugement de la Cour pénale internationale.
Mon collègue Jean-Paul Lecoq avait dénoncé ce phénomène devant la commission des affaires étrangères, en janvier dernier, à propos d'un mécanisme juridique portant sur les crimes commis en Syrie. Le débat, très riche, a abouti à l'idée que la commission alerte les ministères concernés afin qu'ils proposent une réforme d'adaptation du droit pénal français à la Cour pénale internationale. Nous croyions avoir été entendus, nous pensions que le Gouvernement allait mettre fin à ces verrous qui font de la France une sorte de safe zone – une zone sûre – pour criminels internationaux.
Monsieur le président de la commission, il semble opportun, avec le mandat qui s'ouvre, de concrétiser cet engagement.
L'utilisation de la Cour pénale internationale doit être la plus ambitieuse et honnête possible. Nous devons nous obliger à une honnêteté politique, de même qu'humanitaire, pour que les crimes sur lesquels la CPI enquête ne soient pas uniquement l'objet de jeux diplomatiques. La Cour doit jouer son rôle et travailler sur les sujets majeurs de violation du droit international humanitaire. Nous saluons d'ailleurs le travail qu'elle a accompli sur les crimes perpétrés par la Russie en Ukraine : bombardements de zones peuplées et de cibles civiles et divers abus commis par les soldats.
Ces crimes ont également été commis au Congo. Nous avons le devoir d'œuvrer promptement à la mise en place d'un tribunal pénal international, tel que le prescrit le rapport Mapping. Ce rapport, que nous vous invitons tous à consulter, décrit 617 crimes de masse en plus de nommer les victimes et les auteurs des violations des droits de l'homme dans l'est du Congo entre 1993 et 2003. Ce rapport ne plaît pas, notamment aux dirigeants rwandais, qui sont les nouveaux appuis de la France en Afrique australe. Il a pourtant émis de précieuses recommandations, mais elles n'ont jamais été mises en œuvre. On se demande pourquoi ! La CPI s'honorerait à aller enquêter là-bas, tout comme elle s'est honorée à diligenter une enquête sur les crimes de guerre commis à Gaza depuis 2014.
Je souhaite, grâce à ces enquêtes et aux futurs procès, que nous puissions surmonter le terrible échec du procès de Laurent Gbagbo, qui a été placé pendant plusieurs années en détention provisoire pour rien, même quelques mois après avoir été acquitté ! C'est indigne d'une institution internationale ; il est temps d'effacer cet échec et aller de l'avant en rendant plus forte la justice internationale.
Martin Luther King disait que la moindre injustice, où qu'elle soit commise, menace l'édifice tout entier. Chers collègues, ne laissons pas notre édifice, notre sens de la justice et de l'humanité s'effondrer. Tout crime commis à l'encontre des Ukrainiens, des Palestiniens ou des Congolais est un crime contre l'humanité tout entière que l'on doit combattre de la même manière.