Le 11 octobre 2021, la Cour pénale internationale et le gouvernement français ont conclu un accord sur l'exécution des peines. J'évoquerai le point particulier de l'accord selon lequel les personnes condamnées par la CPI pourront purger leur peine d'emprisonnement en France si la Cour le décide et si la France l'accepte. Certes, cette coopération renforcera le soutien de la France à l'égard de la CPI.
En outre, acceptant de devenir un État désigné par la CPI pour l'exécution des peines sur son territoire, la France témoigne de son implication dans la promotion de la coopération entre la CPI et les États parties, sans laquelle la Cour ne peut fonctionner. Pourtant, le système pénitentiaire français est loin de satisfaire à l'alinéa b) du paragraphe 3 de l'article 103, qui donne des lignes de conduite pour guider la présidence de la Cour dans ses décisions de placement en détention dans un État hôte. En effet, la surpopulation carcérale place la France dans une position délicate quant aux « règles conventionnelles du droit international généralement acceptées qui régissent le traitement des détenus ».
Les établissements pénitentiaires français comptaient, au mois d'août 2022, 71 819 détenus pour environ 60 000 places opérationnelles, soit une densité carcérale de 118,3 % contre 109,5 % il y a un an. Ce taux atteignait 139 % dans les maisons d'arrêt où sont incarcérés les détenus en attente de jugement et ceux condamnés à de courtes peines. Au total, 48 prisons sont occupées à plus de 150 %, et la surpopulation carcérale contraint 1 827 prisonniers à dormir sur des matelas posés au sol. Le taux de suicide en prison atteint 1,7 pour 1 000 en prison, contre 0,12 pour 1 000 dans la population française.
Pourtant l'Observatoire international des prisons (OIP) avait obtenu, en janvier 2020, la condamnation historique de la France devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) par une décision enjoignant à notre pays de résorber définitivement sa surpopulation carcérale. Ni les lois sur l'encellulement individuel, ni les normes relatives à l'espace vital par personne détenue, telles que recommandées par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ne sont respectées, alors même que, par un arrêt rendu le 30 juillet 2015, le Conseil d'État a jugé que le non-respect du principe de l'encellulement individuel « expose les personnes qui y sont soumises à un traitement inhumain ou dégradant », et qu'il constitue « une atteinte grave à une liberté fondamentale ».
Dans son rapport de juin 2022, l'OIP pointe également la détérioration importante des conditions de prise en charge des personnes détenues, les carences en matière d'offre d'activités et de travail, de préparation à la sortie, de prise en charge sanitaire, et les conséquences sur l'insertion ou la réinsertion. La situation est aggravée par la surpopulation des prisons et deux ans de crise sanitaire dont les effets sont venus bouleverser le quotidien des personnes détenues et de leurs proches.
Les réformes engagées en matière pénale et pénitentiaire avant et après la condamnation de la France par la CEDH ne permettent pas de juguler l'inflation carcérale ; au contraire, elles peuvent même y contribuer. Faute d'une politique volontariste, le nombre de prisonniers n'a cessé de croître dès la fin du premier confinement. Si des réformes ont été engagées, elles passent largement à côté des facteurs à l'origine de l'inflation carcérale.
Dans son rapport, l'OIP énumère les limites des réformes, ainsi que celles de la politique à la fois coûteuse et inefficace qui consiste à accroître de manière continue le nombre de places de prison. Elle déplore également l'impuissance des tribunaux à obtenir de l'administration qu'elle exécute les injonctions qui lui sont faites, alors que se multiplient les décisions de justice constatant l'indignité des conditions de détention et exigeant que soient prises en urgence des mesures pour y mettre un terme.
Ces chiffres et constats témoignent d'une réalité humainement inacceptable. Concrètement, les cellules sont surchargées et contraignent les détenus à la promiscuité. La question des sanitaires met en lumière l'impossibilité de disposer du minimum d'intimité, et de nombreux témoignages font état de la prolifération de nuisibles dans les cellules. Je pense, par exemple, à celui d'un détenu de la maison d'arrêt de Basse-Terre, en 2017, cité par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté : « Nous sommes trois dans une cellule. Je dors au sol dans des locaux vétustes à moins d'un mètre d'une poubelle. La nuit, je suis réveillé par des cafards qui me marchent dessus. »
Dès lors, comment la France pourrait-elle respecter ses engagements relatifs à l'article 5 de l'accord dont on nous demande d'autoriser l'approbation ? Il prévoit « l'inspection périodique et impromptue des conditions de détention et du traitement des personnes condamnées par la Cour », inspection effectuée « par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) » qui « présente un rapport confidentiel fondé sur [ses] constatations ». En effet, à moins de rendre publique une situation carcérale catastrophique, il est improbable que la France laisse cette association, indépendante de tout État, pénétrer dans ses cellules.
Aussi, si on peut naturellement se féliciter de l'investissement et de la coopération de la France à l'égard de la CPI, j'émets de vives inquiétudes concernant les conditions dans lesquelles les peines pourraient être exécutées en France. Le calcul des places et de la capacité des établissements pénitentiaires doit être mis à jour dans une norme de nature réglementaire qui prenne en considération les recommandations des instances du Conseil de l'Europe.