Les amendements que nous venons d'examiner sont une fuite en avant vers la répression de la pauvreté. Pour compenser, je tiens à partager à un discours dans lequel on trouve davantage de générosité et de solidarité : « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l'avait expulsée… Chaque nuit, ils sont plus de 2 000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d'un presque nu. Devant l'horreur, les cités d'urgence, ce n'est même plus assez urgent ! »
Vous l'avez peut-être reconnu ; il s'agit de l'appel de l'abbé Pierre de l'hiver 1954, lequel n'a jamais été autant d'actualité. L'abbé Pierre parle de 2 000 personnes sans toit ; en 2022, en France, ce sont plus de 6 000 personnes qui, chaque soir, appellent le 115 sans se voir proposer aucune solution d'hébergement d'urgence et qui doivent dormir à même les trottoirs de nos villes.
Cette misère sociale, depuis le début de notre discussion, vous refusez de la faire entrer dans le débat, comme si l'on pouvait discuter des procédures d'expulsion sans se poser la question de l'après. Où vont les gens quand on les expulse ? Ils se retrouvent à la rue. Que vont-ils devenir ? L'Abbé Pierre parlait, il y a maintenant plus d'un demi-siècle, d'une femme qui, après avoir été expulsée, était décédée, morte de froid ; je trouve terrible qu'un demi-siècle après, nous en soyons au même débat, aux mêmes preuves d'inhumanité, et que l'Assemblée nationale, plutôt que de réfléchir à la manière de résorber la crise terrible du mal-logement, se demande comment remettre plus vite à la rue des femmes et des hommes dans la misère, provoquant peut-être leur décès.