Publié le 23 mai 2024 par : M. Portier.
L’intitulé du chapitre V bis est supprimé.
Cet amendent vise à refuser que l'on préfère supprimer les malades plutôt que leur souffrance, ce à quoi tend le présent texte de loi.
Peut-on adopter une loi qui créerait une ambiguïté grave dans les rapports intrafamiliaux, sociaux, et surtout avec le corps médical ? Ambigüité car elle ferait porter la responsabilité et le poids de la maladie sur le malade, le questionnant sur sa légitimité à vivre au dépens d'autrui. L'objectif de fraternité affirmé dans l'exposé des motifs n'est pas si évidemment satisfait par la présente loi.
Un malade en fin de vie, fragile et en détresse, appelle à la compassion et à la solidarité. Mais que s'agit-il de mettre derrière ces mots ? Pourquoi proposer de supprimer le patient alors que des moyens existent pour le soulager et ainsi lui permettre de s'éteindre en douceur, entouré et en ayant vécu tout ce qu'il avait à vivre ? A-t-on suffisamment recueilli les expériences vécues au sein et grâce aux soins palliatifs ?
La Conseil constitutionnel a affirmé en 1994 que la dignité de la personne est "une valeur suprême". Or cette dignité n'est pas liée à un état de santé, physique ou psychologique, mais est indissociable de la personne, elle est inconditionnelle jusque dans la plus grande vulnérabilité. Est-ce que l'indignité, que certains malades en fin de vie ressentent véritablement, ne naît pas plutôt d'un système de soins palliatifs défaillant et inégal sur le territoire, de personnels soignants trop peu formés en la matière ?
Un sondage Ifop pour l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) rapportait en 2021 que 93% des Français étaient favorables à ce que "la loi française autorise les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes atteintes de maladies incurables et insupportables si elles le demandent". Mais le suicide assisté et l'euthanasie sont-ils les seuls à apporter une réponse à cela ? C'est oublier les soins palliatifs qui proposent aussi accompagnement et soulagement réel de la souffrance, mais sans supprimer le malade.
L'Etat, défaillant dans sa capacité à pouvoir offrir à tous une offre de qualité de soins palliatifs partout sur le territoire, a-t-il le droit de faire aveu d'impuissance ? Seul le manque d'engagement politique est à déplorer, en réalité.
Cet amendement entend donc plaider pour que soit proposé, avant même que ne se pose la question de l'ouverture du suicide assisté et de l'euthanasie, un texte complet et d'envergure sur les soins palliatifs uniquement. Il est important de noter l'avis du Conseil d'Etat sur ce texte : "des dispositions législatives, voire réglementaires, sont insuffisantes, à elles seules, pour combler le retard constaté, ce d’autant que les dispositions du projet de loi créent une importante obligation de moyens, en particulier humains, à la charge des professions médicales, médico-sociale et sociales". Le Conseil d'Etat lui-même affirme donc que le présent texte n'offre aucune garantie pour un développement effectif, approfondi et efficient des soins palliatifs dans notre pays.
Dans son avis 139 de 2022, le Comité Consultatif National d'Ethique indiquait que toute évolution législative ne pourrait être discutée qu’à la condition sine qua non qu’un certain nombre de prérequis soient d’ores et déjà effectifs, dont « la connaissance, l’application et l’évaluation des nombreux dispositifs législatifs existants ». Or, il apparaît que toutes les dispositions de la loi Claeys-Leonetti de 2016 visant à développer les soins palliatifs n'ont à ce jour pas été effectivement mises en œuvre.
Lors de sa niche parlementaire du 7 décembre 2023, le groupe Les Républicains a fait adopter à l'unanimité une proposition de résolution visant à rendre effectifs les soins palliatifs sur tout le territoire national. Considérant qu'il n'y a pas d'impuissance publique en la matière mais un manque de velléité politique, considérant également que l'adoption unanime de ce texte à l'époque montre qu'il existe un consensus en la matière, cet amendement tend à restaurer l'ordre des priorités en matière législative.
Il s'agirait donc que le premier de nos actes législatifs en matière de fin de vie soit consacré aux soins palliatifs, afin d'éviter tout chamboulement éthique majeur précipité.
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