Publié le 17 novembre 2023 par : M. Peytavie, Mme Rousseau, Mme Garin, M. Fournier, Mme Arrighi, M. Thierry, M. Bayou, Mme Belluco, M. Ben Cheikh, Mme Chatelain, M. Iordanoff, M. Julien-Laferrière, Mme Laernoes, M. Lucas, Mme Pasquini, Mme Pochon, M. Raux, Mme Regol, Mme Sas, Mme Sebaihi, M. Taché, Mme Taillé-Polian.
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’impact de la conjugalisation des aides sociales et de notre modèle fiscal sur les inégalités socio-économiques à l’encontre des femmes, en particulier des mères célibataires.
Il étudie la faisabilité d’une évolution de notre système socio-fiscal vers une individualisation, par défaut, de l’impôt sur le revenu et une déconjugalisation de l’intégralité des aides sociales et de l’opportunité d’un tel dispositif sur l’émancipation financière des femmes, indépendamment de leur situation conjugale.
La présente proposition de loi vise à individualiser l’allocation de soutien familial (ASF) afin de garantir son versement, qu’importe la situation conjugale de la personne bénéficiaire.
Le groupe Écologiste soutient vivement cet objectif. Bien que trop faible encore aujourd’hui, l’allocation de soutien familial (ASF) constitue souvent l’unique soupape de sécurité financière pour les familles monoparentales, composée à 85 % de femmes. Alors que près de 823 000 familles bénéficient de cette allocation, la remise en concubinage entraîne la suppression de cette aide, au motif que le ou la nouvelle conjointe devrait participer aux frais du foyer, y compris des enfants qui ne sont pas les siens. Son conditionnement au célibat est d’une injustice profonde en ce qu’il renforce un état de dépendance financière permanente envers le partenaire.
La déconjugalisation de l’Allocation Adulte Handicapé (AAH) a posé une première pierre sur le nécessaire chantier de l’individualisation des prestations sociales, condition intrinsèque de l’indépendance financière, en particulier ici des femmes en situation de handicap, un public particulièrement vulnérable.
Au même titre que les personnes handicapées, les familles monoparentales sont également parmi les personnes les plus touchées par la précarité. Alors qu’une séparation engendre en moyenne une augmentation des moyens financiers pour les pères, cela occasionne systématiquement un risque drastique pour les mères de tomber dans la précarité. Un tiers des familles monoparentales vit ainsi sous le seuil de pauvreté. Dans un tiers des cas, la personne cheffe de famille n’a pas d’emploi. Leur situation est alors plus précaire : 77 % des enfants de ces familles sont pauvres, contre 23 % quand le parent est en emploi. Les mères célibataires, et leurs enfants, constituent ainsi l’une des premières victimes d’une croissante féminisation de la pauvreté. Elles peinent à satisfaire leurs besoins primaires et sont perdantes sur tous les champs, parce qu’elles sortent du modèle familial traditionnel où l’homme est le principal gagne-pain du ménage.
Alors qu’aujourd’hui un mariage sur deux finit en divorce et que l’institution du mariage n’est plus aussi ancrée dans nos mœurs, notre système socio-fiscal sanctuarise encore le modèle de la famille traditionnelle. Il sanctionne, de fait, toute personne sortant de cette norme : les personnes LGBTQ+, les modèles familiaux non conventionnels et surtout, les mères célibataires. Pour ces dernières, la conjugalisation des aides sociales, qui maintient dans un niveau de pauvreté permanent, vise à ne leur donner que deux options : le travail à tout prix (précaire, souvent à temps partiel et sans aucune option viable pour garder les enfants), ou la mise en couple. Cela revient, de fait, à dépendre à nouveau d’un homme pour pouvoir élever décemment ses enfants.
Ce modèle de solidarité conjugale, qui n’a foncièrement pas évolué depuis les années 60, s’applique encore à l’ASF mais également au RSA, aux APL ou à la prime d’activité ainsi qu’aux dettes contractées par le conjoint. Il constitue, non seulement, une trappe à précarité mais il renforce également les violences financières à l’égard des femmes, l’une des manifestations les plus courantes de violences conjugales.
Le système de prélèvement à la source, qui taxe un foyer sur la base du revenu commun avec un taux d’imposition identique par défaut, privilégie également le plus haut salaire, le plus souvent celui du conjoint, au détriment des femmes. Comme le précise le rapport de la Fondation des Femmes « La dépendance économique des femmes, une affaire d’État ? »,la conjugalisation de l’impôt, mise en place dans l’après-guerre, incite les femmes à ne pas travailler pour s’occuper de leurs enfants. Une augmentation des revenus de la personne qui gagne le moins fait ainsi augmenter l’imposition du foyer. Malgré ces faibles revenus, les femmes ne peuvent pas non plus prétendre à des aides sociales, du fait d’un salaire trop élevé de leur conjoint. Enfin, à cette discrimination économique s’ajoute une forte stigmatisation sexiste, et raciste, encore tenace des mères célibataires, fréquemment targuées de « profiteuses du système ».
Partant de ce constat d’une domination économique sur les femmes les plus précaires directement encouragée par l’État, nous ne parviendrons pas à réduire les inégalités de genre, qui frappent de plein fouet les mères célibataires, si notre système socio-fiscal, encore éminemment patriarcal, les maintient dans un état de dépendance financière permanente. Aller vers une réelle émancipation des femmes, de toutes les femmes, ne peut se résumer à lutter contre le plafond de verre et l’accès des femmes les plus privilégiées à des postes de responsabilité.
Le groupe Écologiste appelle ainsi à entamer cette révolution radicale, nécessaire et féministe, de notre modèle fiscal et social en considérant le passage à l’individualisation de l’impôt et de toutes les aides sociales, afin de permettre à toutes et tous, en particulier les mères célibataires, d’avoir, de plein droit, leurs revenus propres. Cela reviendrait ainsi à affirmer que toute personne a le droit de vivre dignement, indépendamment de ses relations affectives et de sa situation conjugale. C’est donner de la valeur à chacun et chacune pour ce qu’elle est, un membre à part entière de notre société, et non pour qui elle fréquente.
Tel est l’objet du présent amendement.
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