Publié le 22 septembre 2023 par : M. Peytavie, Mme Garin, Mme Rousseau, Mme Arrighi, M. Thierry, M. Bayou, Mme Belluco, M. Ben Cheikh, Mme Chatelain, M. Fournier, M. Iordanoff, M. Julien-Laferrière, Mme Laernoes, M. Lucas, Mme Pasquini, Mme Pochon, M. Raux, Mme Regol, Mme Sas, Mme Sebaihi, M. Taché, Mme Taillé-Polian.
Dans un délai de 18 mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de travail, les droits et la rémunération des personnes handicapées accueillies au sein des établissements et services d’aide par le travail. Ce rapport évalue notamment l’impact de l’exclusion de ces établissements du champ du code du travail sur les droits et la rémunération des travailleurs handicapés. Il étudie la perspective d’une évolution vers un statut hybride de « salarié protégé » pour les travailleurs handicapés.
Par cet amendement, le Groupe Écologiste, partage l’alerte soulevée par le livre Handicap à vendre de Thibault Petit sur les conditions de travail en ESAT. Il appelle le gouvernement à dresser un état des lieux des conditions de travail en ESAT et de l’impact de l’exclusion des ESAT du champ du code du travail sur les droits et la rémunération des travailleurs handicapés. Ce rapport étudie également la perspective d’une évolution vers un statut hybride de « salarié protégé » pour les travailleurs et travailleuses des ESAT.
La France compte 1500 ESAT, accueillant 120 000 personnes. Ces établissements, qui relèvent du médico-social, échappent au code du travail, les travailleurs étant considérés comme « usagers » et non « salariés ». Ils ne peuvent ainsi se pourvoir en prud’hommes, cotiser pour leur retraite ou le chômage ou bénéficier de conventions collectives et sont assujettis à des périodes d’essai pouvant atteindre un an, souvent précédées de stages non rémunérés.
A ce titre, les travailleurs en ESAT touchent une « rémunération garantie » qui équivaut en moyenne à 11% du SMIC, soit 751€ pour 35h de travail, selon le rapport du sénateur Bocquet du 15 avril 2015. Dès son arrivée dans un ESAT, le montant de l'Allocation aux Adultes Handicapés (AAH) dont le travailleur bénéficie baisse automatiquement et se transforme en complément. Après 60 ans, l'Allocation d'aide aux personnes âgées (ASPA) prend le relais, ce qui assure à la personne un revenu inférieur à 1000 euros à vie, en dessous du seuil de pauvreté.
A ces salaires précaires s’ajoutent des conditions de travail souvent harassantes : travail à la chaîne, tâches répétitives, cadences effrénées. Le livre de Thibault Petit enchaîne les témoignages des travailleurs sur les rythmes souvent abrutissants, auxquels s’ajoutent parfois des traitements infantilisants voire insultants de la part du personnel encadrant : « ils nous poussent comme des malades à aller plus vite. On nous parle comme de la pauvre merde. Pas de bonjour, pas de merci, des insultes. L’autre jour, un moniteur leur a fait des doigts d'honneur », « mais est-ce qu’on nous aide ? Moi j’ai pas l’impression d’être dans un service protégé. Des fois ils viennent te chercher aux toilettes».
Bien que considérés comme des établissements médico-sociaux, les ESAT fonctionnent de plus en plus comme des entreprises. Le faible nombre de places disponibles, conjugué à un financement semi-public restreint, favorise une logique de plus en plus tournée sur le rendement. Cela peut ainsi mener à une sélection des éléments les plus « productifs » (ayant parfois des niveaux de productivité similaire à ceux du « milieu ordinaire »), bien que les ESAT sont supposés accueillir « des personnes handicapées ayant une capacité au tiers » de celle des personnes valides, selon l’article R243-1 du Code de l’action sociale et des familles.
Le modèle économique des ESAT s’appuie en effet sur la possibilité pour les entreprises soumises à l’obligation d’emploi d’avoir recours aux services des travailleurs en ESAT, à des rendements défiants toute concurrence, pour échapper à leur obligation d’emploi. Le renforcement du modèle des ESAT par la loi de 1987 s’est d’ailleurs accompagné d’une baisse de la proportion minimale d’embauche de personnes handicapés de 10% à 6%.
La société « Andikado », qui vend des ramettes de papiers produites en ESAT, promet ainsi aux entreprises de réduire leur coût tout en s’achetant une bonne conscience : « économisez près de 11000 euros par travailleur handicapé manquant à votre effectif». L’alinéa 1° A de l’article 8 du présent projet de loi est ainsi à l’image des successives politiques mises en œuvre pour permettre aux entreprises d’échapper à leurs obligations d’emplois en passant par la sous-traitance, ce qui réduit le montant des pénalités en cas de non-conformité à ces obligations.
Le travail en milieu dit « protégé » peut certes permettre de bénéficier d’un accompagnement social et médical et, pour certaines personnes, de créer du lien social. Toutefois, alors que seulement 0.47% à 2% des travailleurs handicapés accèdent un jour au milieu ordinaire et que les témoignages de conditions de travail dégradantes se multiplient, force est de constater que le modèle des ESAT soulève de sérieuses interrogations en matière de travail digne et d’inclusion des personnes en situation de handicap.
Le livre de Thibault Petit, au même titre que celui de Victor Castanet, révèle les dérives de certains établissements médico-sociaux qui, avec l’assentiment de l’Etat, multiplient les abus et génèrent des bénéfices sur le dos de personnes que notre société a volontairement exclues. A ce titre, en tant que législateurs, nous devons cesser de faire l’autruche quant à la situation que vivent les travailleurs en ESAT. Les travailleurs en ESAT ne sont pas des sous-citoyens. Ils doivent bénéficier de la même protection que celle prévue par le Code du travail pour les salariés et d’un salaire décent. Et cela ne peut se réduire à l’acquisition de quelques droits éparses supplémentaires comme le propose cet article.
L’inspection générale des affaires sociales recommandait en 2019 de faire évoluer le statut des travailleurs handicapés. Par cet amendement, nous appelons donc le Gouvernement à évaluer non seulement les conditions de travail en ESAT et l’impact d’un modèle économique toujours plus tourné vers la productivité aux dépens de l’accompagnement social, mais aussi la possibilité d’aller vers un modèle de “salarié hybride”. Ce statut, construit avec les premiers et premières concernées, permettrait ainsi d’aller vers le droit commun tout en conservant un accompagnement médico-social. La mission d’évaluation menée par l’IGAS annoncée par Madame Le Nabour lors de l’examen du présent texte en commission pourrait ainsi intégrer ces dimensions.
Plus largement, le Groupe Écologiste appelle à mener une réflexion sur le sens d’un monde du travail qui subsiste par le clivage entre ceux considérés comme « productifs » et les autres, condamnés à l’exclusion.
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