Publié le 16 juin 2023 par : M. Bernalicis, Mme Abomangoli, M. Alexandre, M. Amard, Mme Amiot, Mme Amrani, M. Arenas, Mme Autain, M. Bex, M. Bilongo, M. Bompard, M. Boumertit, M. Boyard, M. Caron, M. Carrière, M. Chauche, Mme Chikirou, M. Clouet, M. Coquerel, M. Corbière, M. Coulomme, Mme Couturier, M. Davi, M. Delogu, Mme Dufour, Mme Erodi, Mme Etienne, M. Fernandes, Mme Ferrer, Mme Fiat, M. Gaillard, Mme Garrido, Mme Guetté, M. Guiraud, Mme Hignet, Mme Keke, M. Kerbrat, M. Lachaud, M. Laisney, M. Le Gall, Mme Leboucher, Mme Leduc, M. Legavre, Mme Legrain, Mme Lepvraud, M. Léaument, Mme Pascale Martin, Mme Élisa Martin, M. Martinet, M. Mathieu, M. Maudet, Mme Maximi, Mme Manon Meunier, M. Nilor, Mme Obono, Mme Oziol, Mme Panot, M. Pilato, M. Piquemal, M. Portes, M. Prud'homme, M. Quatennens, M. Ratenon, M. Rome, M. Ruffin, M. Saintoul, M. Sala, Mme Simonnet, Mme Soudais, Mme Stambach-Terrenoir, Mme Taurinya, M. Tavel, Mme Trouvé, M. Vannier, M. Walter.
I. – Le titre Ier du livre II du code pénitentiaire est complété par un chapitre III bis ainsi rédigé :
« Chapitre III bis
« Mécanisme de régulation carcérale et de prévention de la surpopulation pénitentiaire
« Art. L. 213‑10. – L’administration pénitentiaire définit un seuil de criticité pour chaque établissement, correspondant à un taux d’occupation à partir duquel les services des établissements ne sont plus en mesure de fonctionner sans affecter durablement la qualité de la prise en charge et les droits fondamentaux des personnes écrouées.
« Le dépassement de ce seuil entraîne la saisine de la commission de l’application des peines, qui doit envisager des mesures de régulation et de prévention.
« Un décret précise les modalités de définition de ce seuil de criticité pour chaque établissement.
« Art. L. 213‑11. – Aucune détention ne peut ni être effectuée, ni mise à exécution dans un établissement pénitentiaire ou dans un quartier le composant, au-delà de la capacité d’accueil.
« Pour permettre l’incarcération immédiate des personnes écrouées lorsqu’elle est ordonnée par l’autorité judiciaire, des places sont réservées dans chaque établissement, afin de mettre en œuvre le mécanisme de régulation carcérale de la surpopulation pénitentiaire prévu au premier alinéa.
« L’incarcération d’une personne condamnée ne peut conduire à la libération d’une personne prévenue et inversement l’incarcération d’une personne prévenue ne peut conduire à la libération d’une personne condamnée.
« Un décret précise les modalités de calcul du nombre de places réservées au sein de chaque établissement pénitentiaire, ce nombre étant fixé en proportion de la capacité d’accueil de celui-ci.
« Lorsque l’arrivée en détention d’une personne écrouée conduit un établissement pénitentiaire à utiliser l’une des places réservées prévues au présent article, une personne détenue condamnée ou prévenue au sein du même établissement doit être libérée selon les procédures prévues aux articles L. 213‑12 et L. 213‑13 dès que le seuil de criticité est atteint.
« Art. L. 213‑12. – Lorsque le mécanisme de libération prévu à l’article L. 213‑11 doit être mis en œuvre au sein d’un établissement pénitentiaire, la libération d’une personne condamnée est décidée, dans le cadre d’une mesure de libération conditionnelle, de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de suspension ou de fractionnement de peine ou d’une libération sous contrainte.
« Lorsqu’il s’agit d’une mesure de libération conditionnelle, de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de suspension ou de fractionnement de peine, le juge de l’application des peines octroie la mesure dans les conditions prévues aux articles 712 6 à 712‑10 du code de procédure pénale.
« Lorsqu’il s’agit d’une libération sous contrainte, le juge de l’application des peines octroie la mesure dans les conditions prévues à l’article 720 du code de procédure pénale.
« La décision prise en application des deuxième et troisième alinéas du présent article doit intervenir dans un délai de quinze jours à compter de la date d’écrou de la personne détenue entrée en surnombre, après avoir recueilli le consentement des intéressés . Elle est mise en œuvre sans délai.
« À défaut de décision du juge de l’application des peines dans le délai de quinze jours, une réduction de peine exceptionnelle d’un quantum égal au reliquat de la peine restant à subir, liée aux circonstances exceptionnelles de surpopulation carcérale, est accordée par le juge de l’application des peines après avis de la commission de l’application des peines, recueilli par tous moyens, à une personne détenue condamnée en exécution d’une ou plusieurs peines privatives de liberté dont le reliquat de peine est inférieur ou égal à six mois. Cette réduction de peine peut être ordonnée sans que soit consultée la commission de l’application des peines en cas d’avis favorable du procureur de la République. À défaut d’un tel avis, le juge peut statuer au vu de l’avis écrit des membres de la commission, recueilli par tout moyen.
« Art. L. 213‑13.– Lorsque le mécanisme de libération prévu à l’article L. 213‑11 doit être mis en œuvre au sein d’un établissement pénitentiaire, la libération d’une personne mise en examen placée en détention provisoire est accordée dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 147 du code de procédure pénale.
« La mise en liberté peut être assortie de mesures de contrôle judiciaire. Elle peut également prendre la forme d’une assignation à résidence avec surveillance électronique en application de l’article 142‑6 du même code.
« La décision de mise en liberté doit intervenir dans un délai de vingt jours à compter de la date d’écrou du détenu entré en surnombre. Elle est mise en œuvre sans délai.
« À défaut de décision du juge d’instruction ou du juge des libertés et de la détention dans le délai de vingt jours, une mise en liberté immédiate, liée aux circonstances exceptionnelles de surpopulation carcérale, est ordonnée par le juge des libertés et de la détention à une personne mise en examen placée en détention provisoire pour des faits relevant des juridictions correctionnelles.
« Art. L. 213‑14. – L’administration pénitentiaire fournit une information hebdomadaire présentant la situation et le taux d’occupation des établissements pénitentiaires à tous les magistrats du ressort et, le cas échéant, des ressorts limitrophes.
« Art. L. 213‑15. – Les modalités d’application du présent chapitre sont fixées par décret en Conseil d’État. »
II. – Les dispositions du I entrent en vigueur six mois après la promulgation de la présente loi.
Cet amendement vise à instaurer un mécanisme de régulation carcérale en cohérence avec le droit pénitentiaire et le droit des peines à destination des personnes condamnées et des personnes mise en examen et placées en détention provisoire.
Bien que la France connaisse depuis des décennies de nombreuses réformes procédurales pour endiguer la surpopulation carcérale, force est de constater qu’elle n’arrive pas à se débarrasser de ce fléau. Pire, la France est condamnée régulièrement pour l’état de ses prisons et cela largement pour les conséquences de cette surpopulation carcérale enkystée. Depuis l'année 2022, la France franchit chaque mois son record d’incarcération. Au 1er avril 2023, elle comptait 73 080 personnes détenues, dont 19 773 prévenus. Le taux d'occupation était de 142,2 % dans les établissements et quartiers courte peine, et il y a avait 2 151 matelas au sol.
Endémique, la surpopulation carcérale est une atteinte à la dignité des personnes détenues et un frein à tout processus de réinsertion et de sortie de la délinquance. La surpopulation carcérale crée des conditions de travail inacceptables pour l’ensemble des personnels intervenant en détention (des surveillants pénitentiaires, aux conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation et autres intervenants en détention).
Comme dans l’ensemble des pays membres du Conseil de l’Europe et plus spécifiquement en France, la dégradation des conditions de détention résultant de la surpopulation carcérale est régulièrement dénoncée. Ainsi au titre des rapports officiels, on peut relever les trois rapports Raimbourg, la conférence de consensus sur la prévention de la récidive initiée par la ministre de la justice et garde des sceaux Christiane Taubira, le rapport du garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas au Parlement sur l’encellulement individuel, le Livre blanc sur l’immobilier pénitentiaire du 4 avril 2017, le rapport thématique de 2018 du Contrôle général des lieux de privation de liberté sur les droits fondamentaux à l’épreuve de la surpopulation carcérale, ou encore le récent avis de mars 2022 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Depuis plus de trente ans, ce sont plus de 10 000 personnes détenues qui occupent des places de prison en surnuméraires. Les seules solutions comme l’instauration éphémère de la contrainte pénale (peine autonome de probation), ou la libération sous contrainte, ont montré leur limite face aux durcissements continuels des politiques pénales, et à la centralité de la prison dans la procédure pénale (détention provisoire, comparution immédiate, ou encore la récente suppression d’une peine de probation autonome).
Toutes les précédentes réformes visant à la limitation de la population carcérale mais se fondant uniquement sur un changement des pratiques des magistrats ont fait la démonstration de leur échec jusqu’à ce jour. De même l’augmentation continuelle du parc pénitentiaire n’a jamais permis de lutter contre la surpopulation carcérale au contraire. Comme l’a constaté le Conseil de l’Europe dans sa recommandation du 30 septembre 1999 : « l’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement ». Outre les faits que la création de place de prison est coûteuse, que l’incarcération elle-même est coûteuse et que les conditions de détention dégradées créées par la surpopulation carcérale sont une source de condamnations répétées de l'État par les juridictions administratives, les créations de places de prison en France au cours des dernières décennies se sont traduites par une augmentation de la population carcérale sans réduction du taux de surpopulation.
Il n’y a cependant aucune fatalité et la crise sanitaire du Covid-19 a donné une illustration concrète qu’une voie est possible, mais qui nécessite à tout le moins une évolution législative. Au cours de cette période particulière, les juges de l'application des peines et les magistrats du parquet ont engagé, dans les conditions que l’on connaît, un énorme travail afin de réduire la surpopulation carcérale, pour éviter que l’épidémie n’explose en détention. C’est ainsi qu’a été réduite la surpopulation carcérale de 72.400 au 1er mars à 61.100 personnes détenues au 23 avril, c’est-à-dire un taux d’occupation à 100%. Cette diminution inédite des incarcérations au début de la crise sanitaire, a très vite laissé place à la dynamique antérieure, mais elle a démontré non seulement que c’était possible, mais surtout que ces sorties n’ont pas entraîné une montée de la délinquance dans le pays.
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