Publié le 4 mai 2023 par : M. Bayou, Mme Chatelain, Mme Arrighi, Mme Belluco, M. Ben Cheikh, M. Fournier, Mme Garin, M. Iordanoff, M. Julien-Laferrière, Mme Laernoes, M. Lucas, Mme Pasquini, M. Peytavie, Mme Pochon, M. Raux, Mme Regol, Mme Rousseau, Mme Sas, Mme Sebaihi, Mme Taillé-Polian, M. Taché, M. Thierry.
Après l’article 6 decies de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article 6 undecies ainsi rédigé :
« Art. 6 undecies. – I. – Il est constitué une délégation parlementaire, commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, chargée de contrôler les exportations d’armements et de biens à double usage. Elle est composée de six députés et de six sénateurs représentant les différentes sensibilités politiques présentes au Parlement.
« Elle exerce le contrôle parlementaire de la politique du Gouvernement en matière d’exportation de matériels de guerre et matériels assimilés, de transfert de produits liés à la défense ainsi que d’exportation et de transfert de biens à double usage, y compris dans le domaine des programmes de coopération au regard des engagements internationaux de la France.
« II. – À cette fin, le Gouvernement transmet à la délégation toutes informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission, concernant notamment la délivrance des autorisations d’exportation et de licences relatives aux matériels de guerre et assimilés ainsi qu’aux biens à double usage, le type et le nombre d’équipements exportés, les destinataires finaux, les utilisateurs finaux, l’utilisation finale déclarée, les notifications de refus, toutes mesures de suspension, modification ou abrogation de licence ainsi que leur justification. Le Gouvernement avertit, sous un délai de quinze jours, la délégation parlementaire des licences accordées.
« III. – La délégation peut auditionner toute personne utile à sa mission, parmi lesquelles les ministres et membres des administrations compétentes en la matière, en particulier la commission interministérielle des biens à double usage, le comité ministériel de contrôle a posteriori des exportations de matériels de guerre, les représentants du personnel et des organisations représentatives des entreprises exportatrices d’armements ainsi que des personnalités qualifiées dans les domaines du droit et de l’économie.
« IV. – Les présidents des commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des affaires étrangères et de la défense et des forces armées sont membres de droit de la délégation parlementaire.
« Outre les membres de droit mentionnés au premier alinéa du présent IV, la délégation est composée de deux députés et de deux sénateurs appartenant à la commission des affaires étrangères et à la commission de la défense nationale et des forces armées. Ils sont désignés de façon à assurer, au sein de chaque assemblée, une représentation proportionnelle des groupes politiques. Les députés sont désignés au début de chaque législature pour la durée de celle‑ci. Les sénateurs sont désignés après chaque renouvellement partiel du Sénat.
« Un président est élu par les membres de la délégation parlementaire après chaque renouvellement.
« V. – Dans le respect des dispositions prévues à l’article 413‑9 du code pénal, les membres de la délégation peuvent se voir communiquer tout document qu’ils estiment nécessaire à leur contrôle. Les membres de la délégation sont autorisés ès qualités à connaître des informations protégés au titre de l’article 413‑9 du code pénal, à l’exclusion des données dont la communication pourrait mettre en péril l’anonymat, la sécurité ou la vie d’une personne relevant ou non des services intéressés.
« Les agents des assemblées parlementaires désignés pour assister les membres de la délégation doivent être habilités, dans les conditions définies pour l’application du même article 413‑9, à connaître des mêmes informations et éléments d’appréciation.
« VI. – Chaque année, la délégation établit un rapport confidentiel sur les exportations d’armement et de biens à double usage de la France qu’il rend au Président de la République et au Premier ministre. Ce rapport adresse des questions, observations et recommandations auxquelles le Gouvernement doit répondre dans un délai de trois mois.
« Chaque année, la délégation établit un rapport d’activité à caractère public dressant le bilan de son activité ainsi que des recommandations sur la politique française d’exportation d’armements et de biens à double usage, qui ne peut faire état d’aucune information ni d’aucun élément d’appréciation protégés par le secret de la défense nationale. Un débat public est organisé au Parlement suite à la publication du rapport d’activité de la délégation.
« VII. – La délégation parlementaire établit son règlement intérieur. Celui-ci est soumis à l’approbation du bureau de chaque assemblée.
« VIII. – Les dépenses afférentes au fonctionnement de la délégation sont financées et exécutées comme dépenses des assemblées parlementaires dans les conditions fixées par l’article 7. »
Cet amendement vise à la création d’une délégation parlementaire bicamérale au contrôle des exportations d’armement et de biens à double usage.
L’amendement s’inscrit dans la droite ligne du rapport d’information sur le contrôle des exportations d’armement présenté par M. Jacques MAIRE et Mme Michèle TABAROT et sa proposition n° 30 « Instituer une délégation parlementaire au contrôle des exportations d’armement et de biens à double usage, bicamérale et en format restreint ». Il s’inscrit également dans de nombreuses propositions de loi déposées tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat par plusieurs groupes politiques (Proposition de loi n° 3253 visant à renforcer le contrôle par le Parlement des exportations d’armes du député Alexis Corbière ; Proposition de loi constitutionnelle n° 3542 instituant une Commission parlementaire de contrôle des exportations d’armements du député Sébastien Nadot, Proposition de loi n° 878 visant à renforcer le contrôle sur le commerce des armes et relative à la violation des embargos de la sénatrice Michelle Gréaume).
La nécessité de renforcer le contrôle parlementaire de l’Assemblée nationale et du Sénat est un constat partagé de manière transpartisane et répond à une double problématique.
Le contrôle actuel est largement insuffisant. Les parlementaires ne disposent que de la diffusion d’un rapport annuel produit par le Gouvernement sur l’exportation d’armements ainsi que, plus récemment, du rapport annuel sur les biens à double usage. Outre les retards observés, les informations délivrées ne sont pas assez détaillées pour effectuer un contrôle robuste et efficace, ce qui a été confirmé par le rapport de Mr Maire et Mme Tabarot (page 108) : « L’information du Parlement se limite à un rapport annuel du Gouvernement sur la politique d’exportation de la France (...) Il ne permet pas une information réelle du Parlement, au-delà d’une approche statistique et des informations générales qu’il contient », ainsi que par des ONG telles qu’Amnesty International. Amnesty International rappelle également que le rapport annuel au Parlement sur les biens à double usage présente aujourd’hui les mêmes manquements, de même qu’il s’avère insuffisant tant sur le processus décisionnel à l’œuvre que sur le cadre juridique en vigueur et ses contours« .
L’absence de contrôle parlementaire est d’autant plus inquiétant que la politique française d’exportation d’armements est caractérisée par un manque de transparence, explicité avec justesse dans le rapport de Mr Maire et Mme Tabarot : « ce système est aujourd’hui interrogé, voire critiqué, compte tenu de son opacité et donc des doutes qu’il génère sur sa capacité à assurer le respect par la France de ses engagements européens et internationaux sur le plan du droit international humanitaire ».
Ainsi, la création d’une délégation parlementaire permettrait de donner au Parlement toute l’étendue nécessaire pour effectuer un réel contrôle a posteriori de la politique d’exportation d’armements et de biens à doubles usage de la France et ainsi d’avoir la matière nécessaire pour s’assurer que les décisions respectent le droit national, ainsi que les obligations européennes et internationales en la matière.
Cette délégation permettrait, de manière plus générale, de renforcer la contrôle démocratique de la politique de la défense française. L’opacité qui y règne est source de vives critiques. Sans remettre en cause les nécessités du secret-défense, le Parlement est mature et en capacité d’exercer ses prérogatives sur des matières sensibles, comme le prouve le travail de la délégation parlementaire au renseignement. Le rapport de Mr Maire et Mme Tabarot le résume parfaitement : « la crainte d’être exposée ne saurait justifier le maintien d’un rôle marginal du Parlement dans ce domaine. Il faut faire le pari que le Parlement saura, par la qualité du contrôle et le dialogue avec la société civile, consolider le consensus national sur la politique d’exportation de la France ».
Sur la recevabilité :
Un amendement portant création d’une délégation parlementaire est recevable au titre de l’examen de la loi de programmation militaire 2024‑2029. Le Conseil d’État a déjà souligné dans plusieurs de ses avis que la coexistence de dispositions de programmation et de dispositions normatives, dans une même loi de programmation pluriannuelle, ne se heurte à aucun obstacle constitutionnel. Au sein de la LPM 2024‑2030, le Gouvernement a présenté de nombreux articles normatifs dont la plupart ont un rapport avec les objectifs et orientations contenus dans la partie programmatique et d’autres relatifs à la défense et à la sécurité nationale, comme l’a souligné le Conseil d’État dans son avis n° 406858. L’amendement portant création d’une délégation parlementaire est un article normatif relevant de la défense et de la sécurité nationale, dans le sens où il organise le contrôle de l’exportation d’armements et de biens à double usage qui relève sans aucune contestation de la défense. En ce sens, la LPM 2024‑2029 est un véhicule législatif adéquat.
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