Intervention de Jean Terlier

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 21h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Terlier :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en 1937, Louis Josserand, éminent théoricien du droit des obligations, écrivait : « Nous vivons de plus en plus contractuellement. » Quatre-vingt ans après avoir été écrite, cette formule demeure pertinente. Surtout si l'on met les choses en perspective : il aura fallu plus d'une décennie pour que le législateur français procède au rafraîchissement de son code napoléonien. Plus de dix ans, donc, pour réformer, pour moderniser notre droit des obligations et des contrats, le droit qui régit la vie quotidienne, chacun de nos actes : acheter, vendre ou louer. Aussi, même si certains regrettent encore le choix fait par le Gouvernement en 2014 de légiférer par voie d'ordonnance pour mener la plus grande réforme du code civil jamais réalisée, cette réforme indispensable a eu lieu et, bien plus, a été globalement bien reçue.

Plus encore : dans la mesure où elle codifie la jurisprudence antérieure, il est certes difficile de dire si l'ordonnance innove ou consacre, mais il est certain, en revanche, que l'objectif affiché, primordial, de traduire en droit constant les décisions jurisprudentielles issues de plus de dix ans de litiges, de réflexions et de réalité des relations contractuelles et quotidiennes conflictuelles est atteint. L'ordonnance modernise notre droit des contrats et des obligations en clarifiant et en adaptant le droit aux évolutions et à la réalité nouvelle. Ses rédacteurs ont atteint leur objectif parce qu'ils l'ont construite concertation après concertation et, surtout, parce qu'ils se sont appuyés sur les travaux et les consultations de personnes éminemment reconnues, dont la maîtrise du sujet était incontestable. Ces personnes étaient habilitées à y travailler parce qu'elles connaissaient des difficultés, des vides, de l'illisibilité, des aberrations et des altérations, simplement parce qu'elles pratiquaient, étaient au fait de la doctrine et de la jurisprudence.

Certes, notre discussion porte seulement sur la ratification de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, mais cette ratification est désormais essentielle, car l'ordonnance a été prise il y a deux ans et est entrée en vigueur il y a déjà plus de dix-sept mois. Ce sont ses dispositions qui régissent au quotidien les échanges et les relations d'affaires ; ce sont elles qui constituent désormais la base des nouveaux enseignements et de la formation des professionnels ; ce sont elles que les professionnels du droit s'efforcent de s'approprier, d'appréhender et d'appliquer. Pourtant, ces nouvelles règles n'ont à ce stade qu'une valeur réglementaire.

Aussi s'agit-il aujourd'hui pour nous d'aller au terme du processus. Il nous faut être effectivement responsables et participer à l'effort de modernisation et d'appréhension de cette ample réforme au-delà des limites du pouvoir législatif des parlementaires, limites que certains surexposent pour refuser d'approuver ce projet de loi de ratification, mais limites rappelées aussi à plusieurs reprises, en 2015 et en 2017, par le Conseil constitutionnel, tenant du principe fondamental selon lequel « la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif ».

Je ne reviendrai pas sur les conclusions du premier rapporteur, qui estimait que le recours à une ordonnance serait source de difficultés plus grandes encore car, en la rediscutant au moment de sa ratification, on risquait de remettre en cause les grands équilibres du texte et les choix qui le déterminent. Je préfère au contraire insister sur la faculté qui nous a été donnée de corriger les imperfections et de relayer les observations naissantes des praticiens et de la jurisprudence pour rendre les dispositions de l'ordonnance plus lisibles, plus claires et plus simples quand cela a été nécessaire.

Nous le savons tous ici, un texte est toujours perfectible. La matière du droit en est le plus parfait exemple ; la loi n'est pas sa seule source, car la doctrine et la jurisprudence la nourrissent, et bien plus encore. D'ailleurs, l'objectif était bien en l'occurrence, comme le soulignait Pierre Catala lors de la présentation de son avant-projet, que « la loi soit, avant la jurisprudence, mère de l'ordre juridique ». Comme le rapporteur a tenu à le rappeler, cet objectif est manifestement atteint, en grande partie parce que les rédacteurs de ce texte gouvernemental ont su se fonder sur le droit positif, à savoir la jurisprudence de la Cour de cassation, et s'inspirer très largement de ceux qui font le droit.

Mes chers collègues, permettez-moi en conclusion, à cette heure tardive, de faire l'éloge des théoriciens dont les écrits ont bercé mes études en faculté de droit, et de les remercier. Je n'en citerai que quelques-uns : Aubry et Rau, Bénabent, Mazeaud et de Juglard, Malaurie et Aynès, Planiol et Ripert, Delebecque et Collart-Dutilleul. Pour les non-initiés, ces auteurs sont au droit des contrats et des obligations un peu ce qu'Éric Di Meco, Basile Boli et Jean-Pierre Papin, de la grande équipe de l'Olympique de Marseille, sont au football.

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