Intervention de Sacha Houlié

Séance en hémicycle du jeudi 15 février 2018 à 21h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSacha Houlié, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers courageux collègues, la liberté et l'égalité, le respect des initiatives individuelles et la préservation de la justice contractuelle : tels sont les deux pôles de la matière contractuelle. Toutefois, ces deux objectifs sont trop souvent opposés, à tort. En effet, comme le souligne le professeur Chénedé, « en droit des contrats comme ailleurs, le juste se situe souvent, si ce n'est toujours, au milieu ».

Aussi, alors que notre assemblée est à nouveau saisie, en deuxième lecture, du projet de loi de ratification de l'ordonnance du 10 février 2016 relative au droit des contrats, je propose que nous nous engagions sur la voie de justes compromis, au plus près de la réalité contractuelle. À l'issue de la deuxième lecture du texte par le Sénat, neuf articles demeurent en discussion.

Le Sénat s'est en effet rallié à l'appréciation de notre assemblée s'agissant du délai de réponse à l'action interrogatoire menée dans le cadre du pacte de préférence ou de la représentation, du champ de la réticence dolosive et des règles relatives à l'appréciation de la qualité de la prestation.

En revanche, il a rétabli plusieurs articles du projet de loi qu'il avait adoptés en première lecture ou en a proposé une nouvelle rédaction. Tel est le cas d'un article fondamental que nous avions réécrit, l'article 2, qui définit le contrat d'adhésion. Je rappelle que nous avions introduit une innovation politique majeure ayant vocation à modifier sensiblement notre modèle contractuel.

Cette reconnaissance se traduira en effet « fatalement [… ] par une extension du domaine de la lutte contre les déséquilibres contractuels », selon la formule du professeur Denis Mazeaud. Il nous incombait d'être très vigilants sur cette innovation, car nous en avons pris l'initiative.

Sur proposition du Gouvernement, le Sénat a modifié les termes de l'article que nous avons rédigé mais en a conservé l'esprit. Il a retenu la définition suivante du contrat d'adhésion : « un ensemble de clauses non négociables déterminées à l'avance par l'une des parties ».

Ce faisant, il a conservé deux critères d'identification essentiels, la non-négociabilité et la prédétermination unilatérale des clauses emportant la qualification du contrat. Il a surtout consacré l'« ensemble de clauses », dont la multiplicité et la reproductibilité permettent d'identifier l'ensemble contractuel. Il a ainsi resserré et recentré la définition du contrat d'adhésion, par opposition au contrat de gré à gré.

Il en résulte la suppression de la référence aux conditions générales et le retrait de la précision selon laquelle l'ensemble contractuel s'applique « à une multitude de contrats ou de personnes », devenues inutiles. À défaut, le champ des contrats d'adhésion aurait été limité aux seuls contrats de masse. Dans le cas présent, on peut identifier ce pour quoi on signe, notamment dans le cas d'un abonnement téléphonique ou d'un accès à internet.

S'agissant de l'abus de dépendance visé à l'article 5 du projet de loi, le Sénat a accepté de se rallier à l'avis de l'Assemblée nationale en supprimant la restriction à la dimension économique qu'il avait introduite. Il a toutefois précisé que l'état de dépendance d'une partie au contrat s'entendait à l'égard de son cocontractant, c'est-à-dire entre les deux parties, ce qui va sans dire mais va naturellement mieux en le disant.

S'agissant du mécanisme de réduction du prix en cas d'exécution imparfaite d'une prestation visé à l'article 9, le Sénat a supprimé la précision que nous avions introduite selon laquelle l'acceptation par le débiteur de l'offre de réduction du prix met un terme à toute contestation. Il ferme donc la voie d'accès au juge.

Comme vous l'avez rappelé, madame la ministre, priver le débiteur de tout recours judiciaire pourrait s'avérer excessif si celui-ci se voyait contraint d'accepter une réduction du prix, notamment en raison de difficultés financières importantes, ce qui emporterait une nouvelle inégalité contractuelle.

Enfin, à l'initiative du Gouvernement, le Sénat a circonscrit les possibilités de paiement en devises prévues à l'article 13 aux opérations à caractère international, aux jugements étrangers, aux produits dérivés et à l'accord entre les parties, à condition qu'il s'agisse de professionnels et que l'usage de la devise soit communément admis pour l'opération concernée.

C'est donc un esprit de compromis qui a présidé à l'examen de ces dispositions, sur lesquelles je vous propose de ne pas revenir, mes chers collègues. Cependant, d'autres me posent problème, ainsi qu'au Gouvernement, si j'en crois les propos que vient de tenir Mme la ministre.

C'est le cas du dispositif relatif aux clauses abusives, qui figure à l'article 7. Le Sénat a rétabli la disposition limitant aux seules clauses non négociables l'application du dispositif des clauses abusives. Autrement dit, pour le Sénat, non seulement il faut définir le contrat d'adhésion, mais il faut de surcroît définir les clauses non négociables du contrat d'adhésion ; et seules ces dernières peuvent, en cas de déséquilibre significatif, être annulées. Nous n'approuvons pas ce dispositif : à notre sens, dès lors que le contrat d'adhésion est reconnu comme tel, toutes ses clauses – sous réserve de déséquilibre significatif – peuvent, à l'appréciation du juge, être annulées. La commission a rétabli la version que nous avions adoptée en première lecture.

C'est également le cas du régime de l'imprévision, c'est-à-dire de la faculté de demander au juge d'intervenir dans un contrat, qui figure à l'article 8. Le Sénat a, de nouveau, supprimé la possibilité de révision du contrat par le juge. Nous l'avons rétablie en commission.

En revanche, la commission n'est pas revenue sur la caducité de l'offre en cas de décès du destinataire. Le Sénat, fidèle à sa première version, l'avait réintroduite. Si cela peut se comprendre lorsque le contrat est conclu intuitu personæ, il n'en va pas de même dans d'autres types de contrats. Je vous proposerai donc un amendement sur ce point.

Ce sera le seul : sous réserve de son adoption, je vous inviterai à voter le texte en l'état. Une commission mixte paritaire se réunira sans doute par la suite ; mais c'est une autre histoire.

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