Intervention de Rémy Ozcan

Réunion du jeudi 22 avril 2021 à 9h30
Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB) :

Ceux qui accusent les cryptoactifs de faciliter le blanchiment d'argent méconnaissent le fonctionnement de la technologie blockchain. Loin de garantir l'anonymat des individus à l'origine des transactions, elle ne leur fournit qu'un pseudonyme permettant de retracer les échanges, de bitcoins par exemple, entre différents portefeuilles. Un faisceau d'indices permet aujourd'hui d'identifier grand nombre de ceux qui utilisent ce type d'actifs.

L'ancien directeur de la CIA a dénoncé une méconnaissance de l'usage de la technologie blockchain et de son fonctionnement. Elle ne contribue que pour une faible part au financement du terrorisme et au blanchiment d'argent. La société Chainalysis, spécialiste de l'investigation dans ces domaines, a publié un rapport révélant un usage bien plus répandu du dollar que des cryptoactifs lors de transactions douteuses.

La cinquième directive de l'Union européenne de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) s'applique à l'ensemble des échanges. Les plateformes de négociation de cryptoactifs sont ainsi soumises à la même réglementation KYC-AML ( Know your customer et anti-money laundering ) que les établissements bancaires tenus de vérifier l'identité de leurs clients.

Enfin, toute technologie est par essence neutre. Il appartient à ses utilisateurs de se montrer responsables. Prenons l'exemple de la Chine, qui, à la différence des autres pays, se sert des nouvelles technologies pour affecter une notation à ses citoyens. N'accusons pas la technologie mais uniquement ceux qui l'utilisent à des fins criminelles. Heureusement, un tel usage demeure extrêmement marginal. Il me paraît important que chacun mène ses propres recherches sur la blockchain pour en cerner le fonctionnement réel. Que penser, par ailleurs, du mandat cash ? Ce service offert par La Poste, une institution aux liens historiquement étroits avec l'État en France, donne lui aussi lieu à des utilisations répréhensibles. Rappelons qu'il est possible d'identifier les individus à l'origine de 99 % des transactions réalisées via une blockchain.

Les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) utilisent les cryptoactifs au même titre que les entreprises souhaitant lancer une ICO (initial coin offering), d'où la nécessité d'harmoniser la définition juridique des actifs numériques et des contrats intelligents. La superposition des définitions actuelles, convoquant par exemple les notions de jeton et de cyberjeton, complexifie inutilement la pratique du droit. Une mise à jour me semblerait la bienvenue.

L'actuelle conception officielle des contrats intelligents par trop réductrice. Ces « automates exécuteurs de clauses » permettent en réalité d'automatiser des transactions sans intervention humaine ni recours à un tiers de confiance. Ils trouvent une application dans le secteur des assurances, où ils déclenchent une indemnisation automatique en cas de sinistre, mais aussi dans le cas d' ICO, puisqu'ils automatisent la création et la distribution de jetons aux investisseurs ainsi que la collecte des fonds. Autrement dit, un contrat intelligent réalise les tâches que propose aujourd'hui la société de financement participatif Kickstarter, à la différence que celle-ci prélève une commission. On comprend dès lors que les PME plébiscitent leur autofinancement via une blockchain.

Revenons au cadre réglementaire applicable aux PSAN, les prestataires de l'un des neuf services sur actifs numériques répertoriés par le code monétaire et financier. Pour opérer, ils doivent, obtenir l'agrément de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ou s'enregistrer auprès d'elle. À l'égard de ces PSAN, le législateur a retenu la même approche qu'en ce qui concerne les prestataires de services sur investissement (PSI), imposant aux uns comme aux autres des obligations des plus contraignantes, comme celle de disposer d'un important capital social, d'une assurance responsabilité civile professionnelle, de ressources humaines à l'expertise avérée et, surtout, d'un système d'identification des clients et de repérage des transactions suspectes en vue de les reporter à Tracfin.

Suite aux demandes du Groupe d'action financière (GAFI), le gouvernement français a renforcé les obligations KYC-AML, en décembre 2020, en imposant à l'ensemble des prestataires de les appliquer dès le premier euro échangé. L'étendue d'un tel dispositif exclut de facto, compte tenu de son coût, un certain nombre d'acteurs du marché. L'approche choisie par la France la classe donc malheureusement parmi les pays les plus contraignants pour les prestataires de services financiers recourant à des blockchains.

Il conviendrait en outre de modifier la supervision et l'accueil réservé à ce type d'entrepreneurs par l'AMF. Sa réglementation des PSAN, aujourd'hui bien trop contraignante, implique de trop longs délais de réponse. Une telle inertie conduit nombre de sociétés françaises à partir vers des pays aux juridictions plus souples, comme la Suisse, Dubaï ou Singapour. L'instruction AMF DOC-2019-06 prévoit un délai de vingt jours ouvrés entre la date de dépôt d'un dossier d' ICO et la délivrance d'un visa. Dans la pratique, l'AMF se livre à une préinstruction des dossiers d'une durée de trois à six mois, alors qu'elle-même avait fixé ce délai de vingt jours par souci de se conformer à l'esprit de la loi Pacte, destinée à garantir la compétitivité de la place financière française. Les acteurs du secteur ne peuvent plus compter que sur les élus de la République pour remédier à la situation. Nous espérons un changement des pratiques de l'autorité française de supervision des marchés financiers.

D'autres aspects du droit pourraient eux aussi évoluer. Quand une entreprise souhaite se lancer dans une ICO, l'AMF lui applique le droit de la consommation. Or ce droit concerne les relations entre consommateurs et vendeurs, deux dénominations ne convenant manifestement pas à un investisseur et à l'entreprise qu'il finance.

La situation paraît d'autant plus injuste que le droit de la consommation ne s'applique pas au financement participatif (ou crowdfunding ), au capital-investissement (ou private equity ), à l'introduction en bourse (IPO) ou encore à l'émission obligataire. Au nom de quoi réserver un traitement à part aux ICO ? L'aberration se manifeste avec encore plus d'éclat quand on songe qu'en vertu de la directive Prospectus, le droit de la consommation ne s'applique pas aux Security token offerings (STO), consistant, selon la définition du code monétaire et financier, à numériser des actifs financiers alors même qu'ils reposent sur la même infrastructure et mobilisent les mêmes outils que l' ICO. Les STO disposent d'un cadre réglementaire adéquat, au même titre que les ICO suite à la loi Pacte.

L'application du droit de la consommation aux ICO entraîne un autre problème. Ce droit prévoit un délai de rétractation de quatorze jours, à l'issue duquel l'intégralité des sommes versées doit être remboursée à la demande du client. Toute transaction via une blockchain donne lieu au prélèvement de frais qui rémunèrent les acteurs chargés de sécuriser et valider les transactions. Un remboursement intégral s'apparente à une double peine pour l'entrepreneur, qui doit assumer lui-même les frais d'utilisation du réseau, alors qu'il n'a finalement pas bénéficié d'un investissement. En résumé, le droit de la consommation s'avère inapte à réguler la technologie de la blockchain, du fait de la nature spécifique des tokens et des modalités de leur offre. Là encore, le législateur doit intervenir pour mettre fin à l'application du droit de la consommation aux ICO.

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