Mission d'information sur le thème « bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 22 avril 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • blockchain
  • registre
  • souveraineté
  • technologie
  • écosystème
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  En Marche    MoDem  

La réunion

Source

Audition, ouverte à la presse, de M. Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

La séance est ouverte à 9 heures 35.

Présidence de M. Philippe Latombe, rapporteur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

M. Rémy Ozcan, vous avez créé, en 2020, en tant que spécialiste de la technologie blockchain et cofondateur de Crypt4All, la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB) avec M. Jean-Michel Mis, député de la Loire et rapporteur, au même titre que Mme Laure de la Raudière, d'une mission d'information sur les usages des bloc-chaînes (ou blockchains ) et autres technologies de certification de registres.

La FFPB rassemble les acteurs de l'écosystème français de la blockchain sous un seul et même étendard, autour de trois mots d'ordre : fédérer, professionnaliser et structurer. Ses membres appartiennent aussi bien au monde de l'entreprise qu'à celui de la formation ou encore de la recherche.

Nous nous réjouissons d'échanger avec vous sur l'état de l'écosystème de la blockchain en France et les moyens pour cette technologie de participer à la construction d'une souveraineté numérique nationale et européenne.

Je commencerai par ma question rituelle. Elle portera sur votre conception de la souveraineté numérique, dont existe une grande diversité de définitions. Comment approchez-vous personnellement cette notion ? En quoi pourrait-elle constituer un levier de souveraineté pour la France et l'Europe ? Je souhaiterais à ce propos que vous nous rappeliez brièvement les principes de la technologie blockchain, ses cas d'usage et son niveau de maturité.

Nous traiterons ensuite du développement en France d'un écosystème blockchain performant, notamment grâce à votre organisation, dont la mission consiste à fédérer et professionnaliser ce secteur en cours de construction. Comment jugez-vous l'action des pouvoirs publics dans ce domaine, alors même que le gouvernement a pris l'initiative, avec les acteurs de votre secteur, d'une stratégie nationale blockchain ? Comment, d'ailleurs, avance cette stratégie ? Qu'en attendez-vous ? Nous accueillerons volontiers toute proposition d'amélioration du cadre réglementaire en place.

Enfin, je souhaite aborder la dimension européenne de la blockchain. Comment la France se positionne-t-elle dans ce domaine par rapport à ses voisins européens ? Que pensez-vous de l'action de l'Union Européenne ? Nous en profiterons pour évoquer l'enjeu juridique de la force probante de la blockchain.

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Je tenais tout d'abord, M. le député, à vous remercier d'avoir instauré une mission d'information sur ce sujet d'une importance cruciale pour l'avenir de notre pays.

La FFPB vise à structurer et professionnaliser l'écosystème français de la blockchain, trop fragmenté jusqu'alors. Consciente que son utilisation dépasse largement la sphère des cryptoactifs, notre fédération a adopté une approche plurisectorielle afin de permettre à toute entreprise, quel que soit son secteur d'activité, d'identifier des cas d'usage concrets de la blockchain, pour en tirer parti.

Malgré sa récente création en juillet 2020, notre fédération regroupe déjà un grand nombre d'entreprises œuvrant dans plus d'une dizaine de secteurs, dont l'énergie, les télécommunications, l'économie circulaire, l'assurance et le luxe – preuve de la diversité des cas d'usage de la blockchain. La présence, parmi les membres de la FFPB, de grandes entreprises, telles qu'EDF, Orange ou Suez, intéressées par cette nouvelle technologie, atteste le dynamisme de notre industrie. Il me semble important d'en identifier les forces et les faiblesses pour proposer des recommandations à même d'accompagner son évolution, en lui assurant le soutien des pouvoirs publics.

L'usage de la blockchain concerne de nombreuses questions, dont celle de la valeur juridique en tant que preuve des informations inscrites dans un registre de blockchain, ou encore celle de la souveraineté numérique. Avant de saisir les spécificités de cette technologie, il apparaît indispensable d'en comprendre la nature, les cas d'usage, et en quoi elle nous offre une formidable opportunité de nous réapproprier notre souveraineté dans l'espace numérique, l'un de ceux où la souveraineté de notre nation doit justement le plus se manifester.

La technologie blockchain correspond à ce que l'on qualifie d'Internet de la valeur. Elle permet d'échanger des actifs d'un usager à un autre, comme Internet permet de transmettre des informations de pair à pair, indépendamment de la localisation géographique de chacun, sans passer par un intermédiaire de confiance. La blockchain autorise une forme de collaboration horizontale, via le partage d'informations en toute sécurité, sans que leur intégrité puisse être remise en cause. Bien que le degré de maturité de cette technologie rende dès aujourd'hui possible son utilisation massive, elle continuera de se développer jusqu'à ce qu'elle puisse se déployer à l'échelle mondiale en 2022. En somme, la blockchain, loin d'être encore contestée, fait aujourd'hui figure d'évidence dans un certain nombre de secteurs, comme nous le rappelle d'ailleurs régulièrement l'actualité.

Par rapport à d'autres technologies existantes, la blockchain présente l'avantage de garantir l'intégrité des données et des informations inscrites dans son registre, du fait de ses composantes intrinsèques : la cryptographie, la signature électronique, la distribution du registre et la décentralisation des validations. La Russie et Israël utilisent essentiellement la blockchain à des fins de cybersécurité.

La seule question qui se pose encore porte donc sur l'usage réservé à la blockchain. Dans quel objectif les entreprises et les pouvoirs publics français s'en saisiront-ils ? Certains pays y recourent par souci de traçabilité, d'autres, comme l'Australie ou les États-Unis, dans le secteur financier. La blockchain apparaît en tout cas comme le moyen le plus rapide, fiable et sécurisé de transférer des actifs ou des données partout dans le monde.

Il me semble essentiel de situer la discussion dans son contexte géopolitique. Depuis l'avènement d'Internet et l'émergence de technologies disruptives, les principales luttes d'influence politique et économique se déroulent dans l'espace numérique, largement dominé par les États-Unis et la Chine. En tant que technologie d'infrastructure, la blockchain offre une formidable opportunité de redistribuer les cartes en réaffirmant la souveraineté de notre nation à travers celle de l'Union européenne.

Nous reviendrons sans doute sur la façon concrète dont la blockchain permet aux entreprises et aux pouvoirs publics de récupérer cette souveraineté érodée au fil des ans, au fur et à mesure des virages technologiques que nous avons manqués, tels celui d'Internet ou du cloud.

Mon optimisme foncier me convainc que nos faillites passées ne nous condamnent pas forcément à un nouvel échec à l'approche du virage de la blockchain. Malgré la rapide mobilisation des pouvoirs publics autour de cette nouvelle technologie, notre écosystème doit encore évoluer, si nous voulons qu'il atteigne son apogée.

J'aimerais évoquer les constats effectués par la FFPB. Nous avons tout d'abord procédé à un état des lieux de l'écosystème de la blockchain afin d'en identifier les forces et les faiblesses. Les conclusions de notre enquête nationale, close en octobre 2019, ont été remises au secrétaire d'État au numérique, M. Cédric O, qui a bien voulu assister à notre première réunion publique, le 29 octobre dernier, dans les locaux de l'Association française de normalisation (AFNOR), partenaire stratégique de la FFPB.

Cette enquête a d'abord mis en évidence l'intérêt prononcé des grands groupes pour la blockchain. Plus de 55 % des sociétés dont la cote entre dans le calcul de l'indice SBF 120 mènent en ce moment même des projets impliquant cette technologie. Récemment, le groupe LVMH a décidé d'y recourir, après trois années d'expérimentation.

Notre enquête a en outre révélé la commercialisation en bonne voie d'un nombre considérable de produits et de services mobilisant la technologie blockchain. Plus de 69 % des acteurs de l'écosystème français de la blockchain ont déjà développé des solutions commercialisables. Le chiffre d'affaires de près de la moitié d'entre eux dépasse les 500 000 euros.

Le marché de la blockchain se présente essentiellement comme un marché interentreprises (ou B to B ). La plupart des sociétés, quand elles répondent par exemple à un appel d'offres, en sollicitent d'autres pour acquérir auprès d'elles des solutions. 90 % des sociétés de notre industrie proposent des services ou des produits à d'autres entreprises. Plus de 60 % de petites et moyennes entreprises (PME) fortes d'une remarquable expertise dans la technologie blockchain ont conclu, avec de grands groupes, un partenariat qui relève pour elles d'une impérieuse nécessité.

Les investisseurs manifestent un intérêt indéniable pour la blockchain. Plus de 53 millions d'euros, en montants cumulés, ont été, entre 2017 et 2019, investis dans les sociétés de notre industrie, en dehors de Ledger qui a collecté, à elle seule, plus de 69 millions d'euros. Entre 2017 et 2019, les investissements dans ce secteur, aux États-Unis, sont passés de 850 millions à plus de 4,5 milliards de dollars. Une telle croissance spectaculaire se poursuit à l'heure où la pandémie prouve, plus que jamais, la nécessite d'accélérer la numérisation de notre économie.

La France doit augmenter ses capacités d'investissement pour soutenir le développement des entreprises de la blockchain. Nous aurions pu penser que le contexte difficile inciterait celles-ci au pessimisme. Au contraire, 90 % d'entre elles jugent favorables leurs perspectives de développement, qu'elles souhaitent poursuivre en France à court terme. Deux tiers ont déclaré vouloir engager des experts de la technologie blockchain, d'où le besoin d'étendre les offres de formation, afin de niveler par le haut les compétences des futures recrues.

66 % des acteurs de la blockchain se sont déclarés favorables à une volonté de privilégier des blockchains françaises, c'est-à-dire à l'architecture mise au point en France, par une entreprise siégeant en France, grâce à des financements français.

En conclusion, la France dispose d'un écosystème blockchain hétérogène et dynamique, en bien meilleure santé que d'autres secteurs rudement éprouvés par la pandémie. C'est aujourd'hui même qu'il faut soutenir les entreprises françaises du secteur et non dans quelques années, quand des puissances étrangères auront investi le marché. Comprenons bien qu'il ne s'agit pas d'un simple marché de niche comme d'aucuns ont pu le croire. Il représentera en effet plus de 25 milliards de dollars en 2025, selon les prévisions du Forum économique mondial en 2018. L'accélération de la numérisation de l'économie due à la pandémie invite d'ailleurs à revoir ce chiffre à la hausse.

Un immense marché s'étend devant nous. Nombre d'entreprises se mobilisent déjà pour saisir les opportunités liées à la blockchain.

Je voudrais attirer votre attention sur un point fondamental qu'il convient de garder à l'esprit. La technologie blockchain permet de proposer, depuis n'importe quel pays, des produits et des services liés à la traçabilité de produits alimentaires et pharmaceutiques, la certification documentaire, l'échange d'actifs, la numérisation d'œuvres d'art ou encore la création, l'émission et l'échange de cryptoactifs. Nous devons répondre à une question simple, quoique fondamentale pour l'avenir de notre industrie en France : pourquoi une entreprise désireuse de proposer des produits et des services basés sur la technologie blockchain s'établirait-elle en France plutôt qu'ailleurs ? Comment donner aux sociétés l'envie de choisir la France ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourriez-vous revenir brièvement sur le principe de fonctionnement de la blockchain et ses usages pratiques, pour éviter de la réduire aux cryptoactifs auxquels certains l'assimilent à tort ? Quelques exemples d'utilisation concrète permettraient à ceux qui nous écoutent de mieux comprendre en quoi elle peut constituer un outil de souveraineté numérique.

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Une bonne part des utilisateurs quotidiens d'Internet ne comprend pas son fonctionnement. Mieux vaudrait donc se demander, face à une nouvelle technologie comme la blockchain, ce qu'elle peut apporter.

D'abord, elle garantit la traçabilité de produits de manière à lutter contre la fraude. Une blockchain attribue à chaque produit une empreinte numérique unique, inscrite dans le registre partagé par tous les membres validateurs du réseau, lequel sollicitera la totalité du registre à chaque inscription d'une nouvelle information. Le stockage des données réparties aux quatre coins du monde rend quasiment impossible l'identification d'un dépositaire du registre original et, partant, l'interception ou la modification des informations qu'il contient. La blockchain apparaît dès lors comme un gage de certification dans des secteurs aussi divers que l'agroalimentaire ou le luxe. L'inscription de données dans le registre d'une blockchain les rend non seulement immuables mais surtout consultables par tous ceux qui disposent d'un accès à ce registre. L'usage de la blockchain a été envisagé pour certifier des diplômes ou encore des factures d'électricité afin de lutter contre la recrudescence de documents frauduleux.

Dans le secteur de l'énergie, la blockchain permet aussi d'automatiser une redistribution de l'électricité plus efficiente dans un quartier donné. Elle autorise en outre la création et l'échange rapide et simple de valeurs sans nécessité de passer par un tiers de confiance. Dans une perspective de souveraineté, elle facilite enfin le stockage de données par leur répartition.

Le récent incendie d'OVH a mis en évidence l'extrême centralisation des données. Qu'elle soit le fait de Google, Amazon, Facebook, Apple ou Microsoft (les GAFAM) ou d'entreprises européennes, le moindre problème dans leur stockage rejaillit dans ces conditions sur l'ensemble des utilisateurs. La blockchain distribue au contraire l'enregistrement des données en les chiffrant pour les sécuriser. Autrement dit, chacun peut contribuer à leur stockage en leur réservant de la mémoire sur un appareil électronique. Une fois découpés, les fichiers se répartissent entre les usagers. Le recours à la cryptographie ôte toute valeur à leurs fragments, pris indépendamment les uns des autres. En réalité, la blockchain agrège plusieurs technologies préexistantes, à l'instar de la cryptographie, d'Internet ou de la signature électronique. Ce n'est pas un hasard si notaires et huissiers, en tant que tiers de confiance, souhaitent l'utiliser pour automatiser leur travail et gagner en efficacité.

Dans la pandémie, certains assureurs n'ont étonnamment pas voulu indemniser une part des entreprises contraintes de déposer le bilan. La mise en place de contrats intelligents via une blockchain aurait pu donner lieu à une indemnisation automatisée des assurés sans que nul ne puisse remettre en cause la validité de leurs contrats.

En résumé, la blockchain, en plus de garantir l'intégrité de données, permet d'automatiser des tâches et d'échanger de la valeur dans n'importe quel secteur d'activité. Grâce à la blockchain, des entreprises se financent par des émissions d'actifs numériques ( Initial coin offering ou ICO ), désormais encadrées par la réglementation française. Ces ICO offrent aux PME une formidable opportunité de numériser leurs actions, dont l'échange, dès lors plus simple et rapide, répond au problème fréquent de liquidité des titres financiers non cotés.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Revenons à la traçabilité des informations inscrites dans une blockchain et à l'utilisation de cette technologie par les notaires et les huissiers. Comment la blockchain s'inscrit-elle aujourd'hui dans notre droit ? Je songe bien sûr à l'enjeu de la force probante. Où nous situons-nous en France par rapport à d'autres pays ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Une ordonnance d'avril 2016 a réglementé pour la première fois cette technologie en lui donnant d'ailleurs une ébauche de définition légale. Cette ordonnance a reconnu la force probante des transactions de minibons, c'est-à-dire de titres financiers non cotés, effectuées via un dispositif électronique d'enregistrement partagé : en l'occurrence, une blockchain.

Ensuite, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi Pacte) a fourni un cadre légal à l'usage de la blockchain en matière de financement, via les ICO. Cette loi garantit une relative sécurité juridique aux investisseurs comme aux entreprises souhaitant se lancer dans de telles opérations.

Le code civil ne comporte aucune disposition expresse relative à la force probante des informations inscrites dans un registre blockchain, même si une réforme de ce code pourrait toutefois la consolider à court terme. Lors des travaux préparatoires de la loi Pacte, M. Jean-Michel Mis a déposé un amendement en ce sens, qui n'a malheureusement pas été adopté. Notre code civil doit évoluer pour rassurer les utilisateurs de cette technologie, quel que soit leur corps de métier ou leur secteur d'activité, les huissiers et les notaires y recourant au même titre que les professionnels de l'immobilier. Rappelons que la blockchain permet de « tokeniser » des actifs liquides, autrement dit de leur substituer un élément équivalent, quoique sans valeur intrinsèque, une fois sorti du système. N'importe qui peut dès lors investir depuis son ordinateur dans un bien immobilier à la propriété fractionnée. Là encore, il faudrait apporter une sécurité juridique aux acteurs, qui le réclament d'ailleurs. Il conviendrait d'inscrire dans le code civil que les informations figurant sur le registre d'une blockchain, publique ou privée, possèdent une force probante. Naturellement, il reste à s'accorder sur la nature de la présomption, irréfragable ou simple, qui en découlerait.

Je vois une opportunité à saisir dans la révision prochaine du Règlement sur l'identification électronique et les services de confiance (electronic IDentification, Authentication and trust Services eIDAS). Elle pourrait déboucher sur une reconnaissance officielle de la fiabilité de la signature électronique et de l'horodatage sur une blockchain, sans nécessité qu'intervienne un tiers certificateur, comme c'est encore le cas actuellement.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

D'autres pays d'Europe ont-ils déjà reconnu la force probante de la blockchain ? Si oui, l'ont-ils fait de manière systématique ou ont-ils créé pour ce faire une profession spécifique ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Certains pays ont avancé sur la question en adoptant une approche de type sandbox, qui permet de commercialiser services et produits pendant un certain nombre d'années, hors de la contrainte d'un cadre juridique. En somme, les entreprises disposent là d'un premier moyen d'embrasser la technologie blockchain.

Nos voisins européens ne se sont pas réellement penchés sur la question de la force probante. En revanche, Dubaï a reconnu la valeur de preuve de la blockchain, notamment pour la mise à jour du cadastre. En Suisse, l'échange de titres financiers via une blockchain fait foi autant qu'une constatation par un huissier ou un notaire. Certains pays hors de l'Union européenne ont donc démontré leur volonté de tirer les bénéfices de la technologie blockchain.

Nous devons selon moi adopter une attitude pionnière en la matière et ne pas nous montrer timorés. Cette technologie ne suscite-t-elle pas l'intérêt de beaucoup de tiers de confiance, y voyant un moyen de gagner en efficacité dans l'exécution de leurs tâches ? Les notaires et les huissiers souhaitent ainsi l'utiliser, convaincus qu'elle leur fournira un outil plus rapide pour user des prérogatives que leur confère la loi.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Toute blockchain, privée ou publique, mérite-t-elle d'acquérir une force probante ? Certaines reposent sur un plus grand nombre d'utilisateurs que d'autres. La réglementation doit-elle prendre en compte les différentes catégories de blockchains ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Le droit ne doit, à mon avis, pas se contenter d'appréhender ce qui lui préexiste, surtout au vu de l'extrême brièveté des cycles technologiques d'évolution de la blockchain. La réglementation ne parviendra jamais à s'adapter à toutes ses formes d'utilisation. Je préconise une approche souple et flexible.

Si nous voulons donner valeur de preuve aux informations d'une blockchain, il faut d'abord s'assurer de la fiabilité de son protocole et de l'impossibilité pratique de modifier les données du registre, ce qui implique de définir des critères d'architecture du protocole, à l'aune des caractéristiques de la technologie blockchain elle-même. Voilà pourquoi il faudrait créer une certification des blockchains attestant de la présence, dans leur architecture, des spécificités garantes de la robustesse du système. Nous en comptabilisons cinq : la cryptographie, la signature électronique, le registre distribué, l'utilisation d'Internet et un système de « tokenisation ». Il suffit que l'un de ces cinq éléments manque pour que rien ne garantisse plus l'incorruptibilité des données.

Le meilleur moyen d'opérer un tri dans les évolutions encore à venir de cette technologie me semble être de créer une certification, délivrée par une autorité légitime, attestant que l'on a bien affaire à un protocole blockchain plutôt qu'à un système d'information se présentant ainsi, à tort.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À quel niveau, national ou européen, faudrait-il mettre en place une telle certification ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Je suggère de s'en occuper d'abord au niveau national et ensuite seulement européen, puisqu'une certification à un échelon supranational prendra plus de temps à établir. Ce processus par étapes garantirait en outre que les entreprises étrangères désireuses d'aborder le marché français respectent un certain nombre de critères de qualité en matière d'infrastructure, sans pour autant préjuger de la qualité du produit ou du service finalement proposé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La France commerce beaucoup avec l'Allemagne. Des liens forts se sont tissés entre les entreprises de part et d'autre de la frontière. Ne vous paraîtrait-il pas utile d'instaurer d'abord une certification supranationale ? Elle faciliterait les échanges avec nos principaux partenaires à l'intérieur de l'espace européen de libre circulation, en évitant une sorte de balkanisation du droit de la blockchain, dont l'harmonisation ultérieure à l'échelle de l'Union européenne présenterait à coup sûr des difficultés.

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Je partage entièrement votre conviction que nous devons concevoir nos ambitions à l'échelle supranationale européenne. Pourquoi, dès lors, ne pas réfléchir à une certification en concertation avec les Allemands ? Je préconise toutefois une approche pragmatique consistant à identifier les secteurs à même de bénéficier au plus vite d'une telle certification. Leur recours généralisé à la blockchain les amènerait ensuite à donner le la aux autres. Un travail pourrait s'effectuer à l'échelle de l'Union européenne, en mobilisant le droit mou, à savoir la normalisation. Rien n'empêche en effet de créer des normes européennes portant sur la souveraineté.

Une bataille se livre en ce moment autour de l' European Telecommunications Standards Institute (ETSI), qui en a profité pour acquérir une position dominante dans l'élaboration de normes numériques à même d'orienter les usages futurs des nouvelles technologies.

Il faut également envisager la souveraineté sous l'angle régalien, en lien avec la gestion de l'identité ou la cybersécurité. Il me semblerait judicieux de se pencher sur ces questions à l'échelle européenne en protégeant notre marché et en donnant confiance aux investisseurs. Nombre d'entre eux, privés, souhaitent investir dans la technologie blockchain. Ils hésitent toutefois, faute de la certitude qu'ils se trouvent bien en présence d'une blockchain. Quoi qu'il en soit, il est indispensable de se saisir de ces questions au plus vite. Nous pourrions rapidement réfléchir à une certification nationale, que nous proposerions ensuite au reste de l'Union européenne.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je ne reviendrai pas sur les débuts de la blockchain. Le rapport de M. Jean-Michel Mis et Mme Laure de la Raudière en a déjà traité. Il me semble que les protocoles blockchain ont au départ beaucoup été utilisés aux États-Unis. Quelle place actuelle la France et l'Union européenne occupent-elles dans leur conception ? Disposons-nous de blockchains d'aussi bonne qualité, voire meilleures, que les plus connues ? Quelles sont nos perspectives de développement technique dans ce domaine ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

L'Union européenne a lancé une initiative à travers la British Standards Institution (BSI) en vue de l'utilisation d'une seule et même infrastructure commune aux pays de l'Union, ce qui leur garantirait une certaine indépendance technologique vis-à-vis de l'étranger. Il faut bien garder à l'esprit la nature open source de la technologie blockchain. Ainsi, n'importe qui peut en réutiliser le code pour concevoir son propre protocole. Bitcoin, la blockchain 1.0, a démontré sa robustesse à travers un premier cas d'usage, le transfert de valeurs. Ethereum a lancé la création d'applications décentralisées et de contrats intelligents dans d'autres secteurs comme la finance, les assurances ou l'industrie traditionnelle, afin d'automatiser des processus.

Malgré le caractère open source de la technologie blockchain, des brevets – et c'est là un point fondamental dont il est trop rarement question – sont déposés, beaucoup plus par des entreprises de Chine ou des États-Unis que d'Europe et, a fortiori, de France. Nous ne nous sommes pas encore lancés dans la course aux brevets. Il n'existe pas, à ce jour, de protocole 100 % français. Faut-il pour autant en développer ? Notre enquête a révélé le souhait d'une grande majorité des acteurs d'utiliser une blockchain française, c'est-à-dire l'architecture mise au point en France, par une entreprise au siège social sis en France, et financée par des investissements français.

Favoriser des liens entre des entreprises disposant d'une expertise de pointe et des instituts de recherche, tels que le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ou l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), présente un intérêt stratégique évident. Le rapport sur les verrous technologiques et techniques de la blockchain, établi à l'issue de la deuxième réunion de la taskforce blockchain, voici deux ans, l'a d'ailleurs mis en évidence. Il faut impliquer les entreprises, en plus des instituts de recherche, pour mettre au point des protocoles dont nous maîtrisons l'entière chaîne de valeur.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'écosystème a paru s'émouvoir des réglementations récemment adoptées au sujet des cryptoactifs. Pourquoi ? Quelles modifications conviendrait-il de leur apporter pour pallier les critiques, et pour quelle raison ? Comment expliquez-vous les réticences que les cryptoactifs suscitent en France et en Europe? Certains, dans les milieux de la finance ou dans l'appareil d'État, craignent qu'ils servent au blanchiment d'argent et s'en méfient, vu qu'il ne s'agit pas de véritables monnaies.

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Ceux qui accusent les cryptoactifs de faciliter le blanchiment d'argent méconnaissent le fonctionnement de la technologie blockchain. Loin de garantir l'anonymat des individus à l'origine des transactions, elle ne leur fournit qu'un pseudonyme permettant de retracer les échanges, de bitcoins par exemple, entre différents portefeuilles. Un faisceau d'indices permet aujourd'hui d'identifier grand nombre de ceux qui utilisent ce type d'actifs.

L'ancien directeur de la CIA a dénoncé une méconnaissance de l'usage de la technologie blockchain et de son fonctionnement. Elle ne contribue que pour une faible part au financement du terrorisme et au blanchiment d'argent. La société Chainalysis, spécialiste de l'investigation dans ces domaines, a publié un rapport révélant un usage bien plus répandu du dollar que des cryptoactifs lors de transactions douteuses.

La cinquième directive de l'Union européenne de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) s'applique à l'ensemble des échanges. Les plateformes de négociation de cryptoactifs sont ainsi soumises à la même réglementation KYC-AML ( Know your customer et anti-money laundering ) que les établissements bancaires tenus de vérifier l'identité de leurs clients.

Enfin, toute technologie est par essence neutre. Il appartient à ses utilisateurs de se montrer responsables. Prenons l'exemple de la Chine, qui, à la différence des autres pays, se sert des nouvelles technologies pour affecter une notation à ses citoyens. N'accusons pas la technologie mais uniquement ceux qui l'utilisent à des fins criminelles. Heureusement, un tel usage demeure extrêmement marginal. Il me paraît important que chacun mène ses propres recherches sur la blockchain pour en cerner le fonctionnement réel. Que penser, par ailleurs, du mandat cash ? Ce service offert par La Poste, une institution aux liens historiquement étroits avec l'État en France, donne lui aussi lieu à des utilisations répréhensibles. Rappelons qu'il est possible d'identifier les individus à l'origine de 99 % des transactions réalisées via une blockchain.

Les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) utilisent les cryptoactifs au même titre que les entreprises souhaitant lancer une ICO (initial coin offering), d'où la nécessité d'harmoniser la définition juridique des actifs numériques et des contrats intelligents. La superposition des définitions actuelles, convoquant par exemple les notions de jeton et de cyberjeton, complexifie inutilement la pratique du droit. Une mise à jour me semblerait la bienvenue.

L'actuelle conception officielle des contrats intelligents par trop réductrice. Ces « automates exécuteurs de clauses » permettent en réalité d'automatiser des transactions sans intervention humaine ni recours à un tiers de confiance. Ils trouvent une application dans le secteur des assurances, où ils déclenchent une indemnisation automatique en cas de sinistre, mais aussi dans le cas d' ICO, puisqu'ils automatisent la création et la distribution de jetons aux investisseurs ainsi que la collecte des fonds. Autrement dit, un contrat intelligent réalise les tâches que propose aujourd'hui la société de financement participatif Kickstarter, à la différence que celle-ci prélève une commission. On comprend dès lors que les PME plébiscitent leur autofinancement via une blockchain.

Revenons au cadre réglementaire applicable aux PSAN, les prestataires de l'un des neuf services sur actifs numériques répertoriés par le code monétaire et financier. Pour opérer, ils doivent, obtenir l'agrément de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ou s'enregistrer auprès d'elle. À l'égard de ces PSAN, le législateur a retenu la même approche qu'en ce qui concerne les prestataires de services sur investissement (PSI), imposant aux uns comme aux autres des obligations des plus contraignantes, comme celle de disposer d'un important capital social, d'une assurance responsabilité civile professionnelle, de ressources humaines à l'expertise avérée et, surtout, d'un système d'identification des clients et de repérage des transactions suspectes en vue de les reporter à Tracfin.

Suite aux demandes du Groupe d'action financière (GAFI), le gouvernement français a renforcé les obligations KYC-AML, en décembre 2020, en imposant à l'ensemble des prestataires de les appliquer dès le premier euro échangé. L'étendue d'un tel dispositif exclut de facto, compte tenu de son coût, un certain nombre d'acteurs du marché. L'approche choisie par la France la classe donc malheureusement parmi les pays les plus contraignants pour les prestataires de services financiers recourant à des blockchains.

Il conviendrait en outre de modifier la supervision et l'accueil réservé à ce type d'entrepreneurs par l'AMF. Sa réglementation des PSAN, aujourd'hui bien trop contraignante, implique de trop longs délais de réponse. Une telle inertie conduit nombre de sociétés françaises à partir vers des pays aux juridictions plus souples, comme la Suisse, Dubaï ou Singapour. L'instruction AMF DOC-2019-06 prévoit un délai de vingt jours ouvrés entre la date de dépôt d'un dossier d' ICO et la délivrance d'un visa. Dans la pratique, l'AMF se livre à une préinstruction des dossiers d'une durée de trois à six mois, alors qu'elle-même avait fixé ce délai de vingt jours par souci de se conformer à l'esprit de la loi Pacte, destinée à garantir la compétitivité de la place financière française. Les acteurs du secteur ne peuvent plus compter que sur les élus de la République pour remédier à la situation. Nous espérons un changement des pratiques de l'autorité française de supervision des marchés financiers.

D'autres aspects du droit pourraient eux aussi évoluer. Quand une entreprise souhaite se lancer dans une ICO, l'AMF lui applique le droit de la consommation. Or ce droit concerne les relations entre consommateurs et vendeurs, deux dénominations ne convenant manifestement pas à un investisseur et à l'entreprise qu'il finance.

La situation paraît d'autant plus injuste que le droit de la consommation ne s'applique pas au financement participatif (ou crowdfunding ), au capital-investissement (ou private equity ), à l'introduction en bourse (IPO) ou encore à l'émission obligataire. Au nom de quoi réserver un traitement à part aux ICO ? L'aberration se manifeste avec encore plus d'éclat quand on songe qu'en vertu de la directive Prospectus, le droit de la consommation ne s'applique pas aux Security token offerings (STO), consistant, selon la définition du code monétaire et financier, à numériser des actifs financiers alors même qu'ils reposent sur la même infrastructure et mobilisent les mêmes outils que l' ICO. Les STO disposent d'un cadre réglementaire adéquat, au même titre que les ICO suite à la loi Pacte.

L'application du droit de la consommation aux ICO entraîne un autre problème. Ce droit prévoit un délai de rétractation de quatorze jours, à l'issue duquel l'intégralité des sommes versées doit être remboursée à la demande du client. Toute transaction via une blockchain donne lieu au prélèvement de frais qui rémunèrent les acteurs chargés de sécuriser et valider les transactions. Un remboursement intégral s'apparente à une double peine pour l'entrepreneur, qui doit assumer lui-même les frais d'utilisation du réseau, alors qu'il n'a finalement pas bénéficié d'un investissement. En résumé, le droit de la consommation s'avère inapte à réguler la technologie de la blockchain, du fait de la nature spécifique des tokens et des modalités de leur offre. Là encore, le législateur doit intervenir pour mettre fin à l'application du droit de la consommation aux ICO.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment établir un lien entre l'utilisation de la blockchain et la souveraineté numérique française ou européenne ? En quoi la blockchain peut-elle devenir un outil de souveraineté ? Comment l'utiliser pour rebâtir notre souveraineté numérique ? Autrement dit : quel potentiel lui voyez-vous et quel usage en préconisez-vous ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

La question de la souveraineté numérique revêt une importance fondamentale pour l'avenir de notre nation et de nos entreprises. La crise sanitaire a mis en lumière notre forte dépendance économique et technologique vis-à-vis des autres pays et des grandes entreprises étrangères. L'avènement d'Internet et des nouvelles technologies a converti l'espace numérique en l'un des principaux terrains de lutte d'influence économique et politique.

La blockchain peut constituer une arme d'émancipation par rapport aux autres puissances mondiales, dans la mesure où elle permet de créer et d'échanger de la valeur à l'échelle internationale en s'affranchissant du système monétaire de Bretton Woods, plaçant le dollar au cœur du système financier mondial. Ces quinze dernières années, les États-Unis ont manifesté la volonté d'utiliser leur devise pour imposer leur propre réglementation hors de leur territoire. L'Union européenne souhaite aujourd'hui s'émanciper autant que possible de la tutelle des États-Unis. Dans le même temps, le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud (les pays BRICS) ont impulsé un mouvement de dédollarisation du système financier mondial.

La Chine a d'ailleurs résolu d'utiliser la technologie blockchain, en tant qu'arme géopolitique, pour accélérer la dédollarisation, qu'elle associe à l'émergence de la Route de la soie. La Russie et la Chine ont en effet établi, à la faveur des changements climatiques, une nouvelle Route de la soie qu'elles souhaitent rendre accessible aux entreprises de toute la planète. Lors du dernier sommet du Groupe des vingt (G20), le dirigeant chinois, Xi Jinping, a estimé nécessaire de soutenir le développement des monnaies numériques de banques centrales (Central bank digital currency : CBDC). Le yuan numérique a dès à présent cours. Les entreprises qui voudront utiliser la route de la soie se verront contraintes d'y recourir en tant que monnaie de règlement des échanges commerciaux internationaux.

Un nouvel ordre financier mondial s'annonce. La technologie blockchain en constituera à n'en pas douter un pilier. Plus de quatre-vingts banques centrales expérimentent actuellement la création de monnaies de banque centrale à l'aide de la technologie blockchain. De telles monnaies présentent l'avantage d'assurer la maîtrise des flux monétaires et de faciliter l'ajustement des politiques monétaires. La simplification de l'échange d'actifs grâce à la technologie blockchain améliore en outre l'efficience économique. Comme cette technologie garantit la traçabilité des transactions, elle contribue enfin à la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent.

Cet été, la Banque centrale européenne (BCE) décidera très probablement de créer un euro numérique, qui devrait voir le jour au plus tard en 2025. La technologie blockchain apparaît donc comme une arme de redistribution des cartes du système monétaire et financier international.

La pandémie a entraîné une numérisation massive et rapide des services et des produits. Les prochaines guerres ne se livreront pas sur un terrain terrestre mais dans l'espace numérique. La blockchain permet de sécuriser les échanges et les données en préservant leur intégrité. Autrement dit, il ne suffit pas de les intercepter pour les exploiter. Il faut encore s'approprier leurs clés de lecture, sans lesquelles elles ne présentent aucune utilité. Certains pays l'ont déjà compris : Israël ou la Russie recourent à la technologie blockchain dans le domaine de la cybersécurité.

À l'échelle de l'Union européenne, je préconise la rapide mise en place d'un euro numérique. Il éviterait que nous soit une fois de plus imposée une monnaie étrangère dans le commerce international. L'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) devrait par ailleurs superviser un recours généralisé à la technologie blockchain pour protéger nos infrastructures et favoriser la commercialisation et le développement de nos produits et services français à l'étranger.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans quel aspect de la technologie blockchain devons-nous aujourd'hui investir pour affirmer notre souveraineté ? Quel usage de cette technologie faut-il promouvoir en urgence ? Par où commencer ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Je recommande une approche pragmatique. La souveraineté peut s'envisager sous plusieurs angles. Sous celui de la gestion des données, nous pourrions créer un cloud décentralisé, bien plus sécurisé qu'une base de données centralisée. Combien d'entreprises ont-elles déjà fait l'objet de cyberattaques ? Combien de brèches de sécurité ont-elles déjà entraîné des fuites de données ? Combien d'exemples de piratages faudra-t-il encore avant que nous admettions notre vulnérabilité ? La blockchain permet de mettre fin à la dépendance vis-à-vis des GAFAM en matière de traitement et de stockage des données. Certaines entreprises l'ont déjà compris.

En matière de gestion de l'identité digitale, la blockchain permet d'attribuer à chaque individu un identifiant unique à l'abri des contrefaçons. Le ministère de l'intérieur a lancé un groupe de travail auquel j'appartiens. Son livre blanc, dont la parution ne saurait tarder, ambitionne de mettre en évidence l'intérêt de la blockchain dans la gestion des identités, notamment en vue des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Face à un afflux massif de personnes sur notre territoire, nous devons disposer de bases de données mondiales pour démasquer les individus usurpant l'identité d'un tiers ou susceptibles de menacer la sécurité de nos concitoyens. De telles informations peuvent s'échanger via une blockchain sans qu'elles soient révélées dans leur intégralité.

En résumé, les bénéfices les plus évidents du recours à la blockchain passent par la création d'un cloud décentralisé et d'une identité digitale sécurisée ainsi que par les échanges d'informations à l'abri des cyberattaques en vue de préserver l'intégrité du territoire et la sécurité de ses ressortissants.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quelle place la blockchain occupe-t-elle actuellement dans notre économie ? Je ne songe pas ici à sa valeur en termes de produit intérieur brut (PIB) mais à ses usages actuels. Quels projets sur le point d'aboutir pourraient apporter une visibilité à cette technologie auprès de nos concitoyens ? Nous avons beaucoup parlé jusqu'ici de l'État et des entreprises, moins, cependant, des apports de la blockchain à nos concitoyens dans leur quotidien. Or il est indispensable de les impliquer dans les enjeux de souveraineté.

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Les pouvoirs publics assument un rôle majeur : ils montrent la voie. Entre autres caractéristiques, la blockchain présente celle de l'immuabilité. Les informations, une fois validées dans le registre, deviennent impossibles à effacer. La blockchain assure un gain de temps et d'efficacité à l'usager comme aux services publics.

Cette technologie permettrait d'accélérer la numérisation de l'administration par la dématérialisation des documents « papier ». Suez, membre de notre fédération, œuvre dans l'économie circulaire et recourt à la blockchain pour assurer un traçage plus efficace des déchets et une meilleure inclusion des acteurs du secteur. Dans le même esprit, la numérisation des bordereaux de suivi des déchets réduirait la charge administrative qui pèse autant sur les pouvoirs publics que sur le secteur privé.

La blockchain faciliterait en outre, en l'automatisant, la mise à jour de registres comme celui du cadastre ou des actionnaires des sociétés non cotées. 85 % de la richesse créée en Europe provient des PME. Pourtant, celles-ci souffrent de difficultés de financement. La blockchain leur apporterait une solution, via la diversification de leurs investisseurs.

La mise en place d'un système de vote traçable et transparent au moyen d'une blockchain favoriserait une meilleure inclusion des citoyens dans les processus démocratiques. Le mouvement des Gilets jaunes a révélé une fracture grandissante entre les élus et ceux qu'ils représentent. La technologie blockchain apparaît comme un formidable outil pour restaurer la confiance. Grâce à elle, chacun pourrait constater, sans nécessité de s'appuyer sur la garantie d'un tiers, que son vote a bien été comptabilisé, ce qui limiterait l'abstention, révélatrice d'un problème démocratique. La mise en place d'un tel système de vote ne prendrait que quelques mois. Notre fédération se montrerait ravie de vous prêter son concours.

Le respect du code des marchés publics se révèle aujourd'hui marginal. Une entreprise répondant à un appel d'offres, pour peu qu'elle sache à qui s'adresser, obtiendra connaissance des offres concurrentes. Nous ne disposons pour l'heure d'aucun moyen de garantir la transparence dans la passation des marchés publics, hormis la blockchain, qui éviterait aux PME de se retrouver défavorisées par rapport aux grandes entreprises au carnet d'adresses mieux garni.

La France pourrait transmettre ces propositions et bien d'autres encore à l'occasion de sa présidence du Conseil de l'Union européenne au premier semestre 2022. La qualité de vie de nos concitoyens s'en trouverait améliorée, de même qu'en sortirait renforcée la confiance dans les élus et les institutions, mise à mal par les crises sanitaire et économique actuelles.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La technologie blockchain et ses usages vous semblent-ils à même de générer un écosystème qui contribue à la souveraineté et inclue, en son sein, des dispositifs, voire une filière de formation ? En somme, cet écosystème doit-il s'intégrer à ceux, déjà en place, des start-up ou des nouvelles technologies ? Constituera-t-il plutôt un écosystème à part ? Dans quel cadre dispenser des formations à la blockchain, au vu de la multiplicité de ses usages ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Nous avons établi le constat, partagé par M. le député Jean-Michel Mis, d'une excessive fragmentation de l'écosystème de la blockchain. Ses usages actuels dépassent largement celui des cryptoactifs, sa première application historique.

Nous avons opté pour une approche plurisectorielle, puisque chaque secteur d'activité dispose de sa propre réglementation et que l'usage de la blockchain varie considérablement de l'un à l'autre. Ceci explique que notre fédération accueille des sociétés œuvrant dans des domaines aussi différents que ceux d'EDF, Suez ou Orange. Le meilleur moyen de favoriser l'utilisation et le développement de la blockchain reste encore de respecter les spécificités de chaque branche pour amener leurs acteurs à saisir en quoi cette technologie peut faciliter l'extension de leurs activités en les aidant à créer des produits et des services à même de leur en apporter les bénéfices.

Il n'existe à ce jour aucune formation certifiante, reconnue par l'État, qui atteste une expertise en matière de technologie blockchain. La Commission européenne a partagé ce constat. Elle a d'ailleurs commandé, par l'intermédiaire d'un consortium baptisé le projet CHAISE, auquel je participe en tant que directeur général de ma société Crypto4All, une étude visant à définir les besoins des acteurs de l'écosystème de la blockchain pour proposer des formations qui y répondent. L'étude menée par notre fédération, achevée en octobre dernier, a montré que près de 65 % des entreprises souhaitent recruter à court terme des experts des blockchains, aussi bien développeurs ou architectes que commerciaux ou analystes.

Il faut donc qu'évoluent les offres de formation des écoles de commerce et des universités afin que ces entreprises disposent d'une main-d'œuvre maîtrisant la technologie blockchain. Celle-ci ne survivra qu'à la condition que des individus continuent à l'utiliser, la comprendre et la commercialiser. Notre fédération associe les universitaires aux entrepreneurs en vue de la conception d'une offre de formation en adéquation avec les besoins du marché.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Faut-il institutionnaliser ces formations dès le départ ? Les entreprises qui en ressentent le besoin ne devraient-elles pas plutôt les organiser elles-mêmes, dans un premier temps, quitte à se regrouper, en préalable à la création d'une filière spécifique ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Je recommande la même approche pragmatique que celle du gouvernement lorsqu'il a modifié les enseignements du primaire, du collège et du lycée en vue d'une meilleure adéquation avec le marché du travail, tel qu'il est appelé à évoluer au cours des dix prochaines années. Le ministère de l'éducation devrait inciter écoles et universités à intégrer dans leur offre de formation des modules blockchains. Les entreprises ne demandent qu'à dispenser leur expertise en la matière dans un tel cadre.

Il conviendrait de délivrer des formations à tous les corps professionnels, aussi bien aux métiers du droit, à l'École nationale de la magistrature (ENM), qu'à ceux de l'immobilier. Comment avocats et juristes pourraient-ils conseiller les entreprises sans comprendre le fonctionnement de la blockchain ? Une approche par corps de métier donnerait lieu à une sensibilisation progressive à l'impact de la technologie blockchain pour chaque secteur. À la seule condition de disséminer et d'augmenter la qualité de l'expertise dans ce domaine, nous réussirons à convertir la France en « blockchain nation ».

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Souhaitez-vous évoquer un point que nous aurions omis d'aborder ? Quelles préconisations du rapport de M. Jean-Michel Mis et Mme Laure de la Raudière n'ayant pas été adoptées, ou du moins pas à temps, ou pas complètement, faudrait-il de nouveau mettre en avant ? J'aimerais en quelque sorte établir un point d'étape pour nous rendre compte de ce qu'il reste à implémenter afin d'aller au bout de la démarche entamée.

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Je conseillerais d'abord de reprendre l'amendement déposé à l'occasion des travaux préparatoires de la loi Pacte, en vue d'établir la force probante des informations inscrites dans une blockchain. Notre fédération se tient à votre disposition pour aider le législateur à déterminer les types de protocoles suffisamment fiables, ou même proposer une définition de la technologie blockchain plus complète que l'actuelle. L'ordonnance du 28 avril 2016 caractérise en effet cette technologie comme un dispositif d'enregistrement électronique partagé, sans prendre en compte l'étendue de ses cas d'usage. Ces deux mesures rassureraient un certain nombre d'acteurs.

Lors de son audition par Mme la députée Typhanie Degois, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances 2021, notre fédération avait en outre demandé à disposer de systèmes de financement dédiés aux acteurs de la blockchain. Leur mise en place indiquerait clairement aux investisseurs comme aux entrepreneurs le soutien des pouvoirs publics à la blockchain, indépendamment de la somme qu'ils lui consacreraient. L'éligibilité des projets blockchain à des dispositifs en faveur de l'innovation tels que le Programme d'investissements d'avenir (PIA) ne suffit pas. La confiance joue un rôle fondamental dans les affaires. Dès lors que les acteurs jugeront la technologie blockchain fiable, ils développeront grâce à elle de nouveaux produits et services favorables à la croissance de l'emploi.

La mise en place des trois éléments que je viens d'indiquer, associée à celle de formations adaptées, marquerait un grand pas en avant vers la professionnalisation de l'industrie de la blockchain.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous accueillerons volontiers vos suggestions quant à la force probante. Nous y reviendrons lors d'autres auditions à venir.

Souhaitez-vous aborder un dernier point ?

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

J'aimerais revenir sur les moyens d'aider les entreprises de la blockchain.

D'abord, nous devons renforcer notre capacité de contribution à leur financement. Ensuite, il faudra instaurer un cadre réglementaire intelligible favorable à l'utilisation de cette technologie. Enfin, il serait bon qu'évoluent les pratiques de place des autorités de supervision. Si celles-ci persistent à ne pas traduire, dans la pratique, l'état d'esprit de la loi, le sentiment viendra qu'une fois de plus, la France ne se sera pas montrée à la hauteur de ses ambitions. Le gouvernement a manifesté à plusieurs reprises sa volonté, partagée par l'ensemble des acteurs, de faire de notre pays une « blockchain nation », ce pour quoi ils se sont mobilisés et structurés autour de la FFPB.

Celle-ci reste à la disposition des pouvoirs publics pour échanger en vue du développement d'un écosystème structuré, en voie de professionnalisation et en adéquation avec l'évolution de notre économie. J'ai indiqué des actions à mener dans l'intérêt des entreprises. Cependant, la question mérite qu'on y réfléchisse du point de vue des particuliers.

Un abattement fiscal de 50 % du montant investi dans une ICO en cas de conservation des actifs pendant une durée de deux ans, le temps, pour une entreprise, de mener à terme un projet puis de le commercialiser, inciterait à investir dans les PME recourant à ce type d'opération pour se financer. Une mesure similaire porte déjà sur les actions émises par les PME.

L'imposition à taux unique des particuliers ayant investi dans les cryptoactifs avoisine les 30 %. Certes, ce taux frôlait auparavant les 50 %, mais il conviendrait que la France s'aligne sur les autres pays. Nos voisins européens s'en tiennent à des taux d'imposition bien plus faibles. Le calcul de la plus-value, d'une grande complexité, repose sur l'établissement de moyennes. Le formulaire n°2086 de déclaration des plus ou moins-values de cessions d'actifs numériques apparaît mal adapté à la réalité des mouvements de cryptoactifs. Il autorise à déclarer cinq opérations seulement, un nombre de transactions qu'il n'est pas rare d'opérer en l'espace d'une journée. Il reste en outre à éclaircir la notion d'activité occasionnelle et à titre habituel. Les plus-values réalisées à l'issue d'investissements dans des cryptoactifs, par le biais d' ICO ou de PSAN établis en France ou à l'étranger, pourraient être exonérées d'impôts à condition qu'elles soient consacrées à l'achat de biens ou de services, sur lesquels l'État prélève 20 % de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Une telle mesure favoriserait l'adoption des cryptoactifs par les commerçants. Rappelons que l'euro numérique verra le jour au plus tard en 2025. L'Allemagne elle-même a opté pour une telle approche pragmatique.

Un cadre réglementaire et fiscal adapté, ajouté à des pratiques de place en adéquation avec nos ambitions, ainsi qu'au soutien des pouvoirs publics et des investisseurs privés, permettrait à la France d'occuper une place majeure dans la compétition internationale déjà bien entamée dans le domaine de la technologie blockchain.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Une collègue ayant dû quitter la réunion s'interrogeait sur l'empreinte carbone et la consommation d'énergie de la technologie blockchain. Existe-t-il des projets pour les limiter ? La technologie blockchain est-elle compatible avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? Nous apprécierions une réponse écrite à ces questions, que le temps nous manque de traiter.

Permalien
Rémy Ozcan, président de la fédération française des professionnels de la blockchain (FFPB)

Je vous rassure, il existe une multiplicité de protocoles parfaitement compatibles avec le souci de l'écologie, à la différence du protocole bitcoin, encore que de récentes études aient démontré une surévaluation de sa consommation énergétique. Notre réponse vous parviendra par écrit ces jours prochains.

La séance est levée à onze heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le thème « Bâtir et promouvoir une souveraineté numérique nationale et européenne »

Réunion du jeudi 22 avril à neuf heures trente cinq

Présents. – Mme Amélia Lakrafi, M. Philippe Latombe

Excusés. – Mme Frédérique Dumas, M. Jean-Michel Mis