Intervention de Geoffroy Roux de Bézieux

Réunion du mercredi 13 janvier 2021 à 14h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi confortant le respect des principes de la république

Geoffroy Roux de Bézieux, président du Mouvement des entreprises de presse (MEDEF) :

Je vais donc essayer d'être synthétique en abordant directement les deux articles qui nous concernent dans le projet de loi.

En premier lieu, l'article 1er, qui étend aux délégataires de service public l'obligation de neutralité, ne nous choque pas. Si une entreprise privée (crèche, cantine scolaire...) est opérée par un prestataire privé, il est légitime de considérer que les contraintes du service public s'y appliquent. Un temps d'adaptation sera néanmoins nécessaire, car certaines habitudes n'ont pas été prises. En revanche, nous avons une interrogation juridique, parce que selon une lecture de nos juristes en interne, cette obligation pourrait être étendue à certains marchés publics. Je comprends que l'esprit de cette loi et de cet article n'est pas de toucher les marchés publics et les fournisseurs des biens et services pour ces derniers, mais bien le service public quand il est délégué à une entreprise privée dont les salariés ne sont pas fonctionnaires et astreints à la neutralité religieuse. Sous cette réserve, et si, dans sa rédaction actuelle ou dans les décrets, l'on exclut bien les marchés publics, l'article nous paraît compréhensible et entendable.

Le deuxième article qui nous concerne est l'article 19, sur la haine en ligne. Nous y sommes favorables : il est nécessaire de modérer les contenus sur internet. Seul un juge peut être amené à le faire. Dans un contexte plus calme, celui des médias traditionnels, cette juridiction a fait ses preuves. L'interdiction de la diffamation et de la haine a constitué une jurisprudence qui a fonctionné. Il faut maintenant prendre position sur les réseaux internet.

Le sujet du monopole de l'information par certains médias et le sujet global du monopole des GAFA et assimilés préoccupe d'ailleurs beaucoup le MEDEF. L'économie de marché est l'économie de la concurrence. L'article 19 a donc tout notre soutien. Il convient de modérer internet et les réseaux sociaux. Le recours à un juge, garant de la liberté d'expression et de ses limites, nous semble être le bon système. La tradition française et européenne n'est pas la tradition américaine. Elle nous semble être la bonne manière de faire. De surcroît, le MEDEF se préoccupe des monopoles mondiaux qui se sont créés depuis dix ans par le numérique, et notamment le monopole de l'information que détient Twitter. Comme certains d'entre vous, nous ne sommes pas supporteurs du président Trump, mais nous nous opposons à ce qu'une entreprise privée, quels qu'en soient les mérites, puisse décider, ou non de la liberté d'expression. Le sujet est encore devant nous.

S'agissant du contexte, depuis l'assassinat de Samuel Paty, nous avons relancé une enquête auprès de nos adhérents avec un groupe de travail pour savoir comment est traité le fait religieux en entreprise. Les derniers événements survenus depuis 2015 ont-ils accéléré les tensions ? Plusieurs études ont été menées, démontrant que la situation s'est quelque peu durcie. Je pense notamment à une étude réalisée par l'Institut Montaigne, mais je n'ai pas encore de telles remontées émanant du terrain. Nos adhérents ne font pas état de problématiques majeures à ce niveau. Dans de nombreux cas, les employeurs trouvent une solution pragmatique, en particulier dans les petites entreprises, pour faire cohabiter la liberté d'expression religieuse, puisque nous ne sommes pas tenus à la neutralité dans l'espace privé d'une entreprise, avec le bon fonctionnement de l'entreprise, et la liberté des autres collaborateurs. Les petits points de friction concernent surtout le comportement vis-à-vis des femmes dans certaines fonctions et dans certains secteurs. Nous n'avons pas encore pu établir un bilan des dispositions de la « loi El Khomri » de 2016, qui permet de renforcer le règlement intérieur, dans l'objectif d'imposer une forme de neutralité. Cette loi ne vise toutefois pas à empiéter sur la liberté de conscience, mais doit être au service de la liberté de chacun.

Avant l'été, nous serons en mesure de dresser un bilan de la situation en entreprise. À ce stade, nous ne sommes pas demandeurs de mesures supplémentaires pour l'entreprise privée, qui arrive à gérer ces problèmes de manière non conflictuelle pour l'essentiel. Quelques entreprises ont pu connaître des dérives communautaires, soit par des recrutements par cooptation, soit par une forme de communautarisme, mais elles restent minoritaires. Les MEDEF territoriaux s'appuient tous sur un correspondant sécurité en lien avec la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour surveiller le communautarisme et la radicalisation dans les entreprises. Or, après vérification auprès du correspondant national, nous n'observons pas de montée des signalements au cours des douze à dix-huit derniers mois. Pour autant que l'on puisse en juger, il n'existe pas de phénomène particulier en entreprise. Cependant, l'entreprise fait partie de la société. Nous restons vigilants sur ces sujets. Ce qui se passe à l'école, dans le service public ou sur les réseaux sociaux n'est pas complètement étranger au monde de l'entreprise.

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