Intervention de Charles de Courson

Réunion du mercredi 5 janvier 2022 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

Le texte que nous examinons nous conduit implicitement à faire, seize années après, le bilan de la privatisation des sociétés concessionnaires d'autoroutes. Cette privatisation, je l'ai combattue du temps du gouvernement Villepin, alors même que j'appartenais à la majorité. Cette opération a-t-elle été profitable ? Pour les trois principaux concessionnaires, la réponse est assurément positive. Mais, pour l'État et les usagers, c'est loin d'être le cas.

La privatisation de 2006 a été mal pilotée, notamment s'agissant du montant : l'État, en cédant son capital, n'a perçu que 16,5 milliards d'euros, et le rapport de la commission d'enquête sénatoriale remis en septembre 2020 estime sa perte à 6,5 milliards. Bref, les parts ont été très mal vendues – à supposer qu'il eût fallu les vendre.

En outre, mon groupe déplore que les sociétés concessionnaires aient constitué de telles rentes. Au-delà de 2022, leurs dividendes cumulés représenteraient environ 40 milliards d'euros, dont 32 milliards d'euros pour les seuls actionnaires de Vinci et d'Eiffage. Ces résultats sont difficiles à accepter alors que les tarifs des péages poursuivent inéluctablement leur augmentation – de 2 % en 2022 –, en application de contrats de concession extrêmement mal négociés.

Faut-il nationaliser dès à présent ou attendre patiemment la fin des dernières concessions historiques, de 2031 à 2036 ? La nationalisation que vous proposez, madame la rapporteure, coûterait à l'État la modeste somme de 40 à 50 milliards d'euros. Il serait absurde de faire peser une telle facture sur nos finances publiques. Vous essayez de contourner cette difficulté en refusant toute indemnisation. Ce raisonnement juridique est quelque peu chancelant étant donné que, depuis 1982, la jurisprudence du Conseil constitutionnel exige explicitement une juste et préalable indemnité, en application de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. » Limiter ce principe, outre le risque d'inconstitutionnalité manifeste, serait de nature à créer une défiance durable des entreprises privées vis-à-vis de l'État. Une nationalisation sans indemnisation n'est donc pas une option raisonnable.

Mon groupe partage tout de même nombre des constats formulés par notre rapporteure. Ne restons pas les bras croisés face à la fin imminente de certaines concessions historiques : il appartient à l'État de se préparer dès maintenant. Nous devons, en application du droit de l'Union européenne, interdire toute prolongation des concessions sans mise en concurrence des entreprises lors de l'attribution des contrats. S'il a été décidé plusieurs fois de prolonger les concessions, c'est parce que l'État, impécunieux, négociait en contrepartie la réalisation de travaux. C'est une pratique absolument contestable, par laquelle l'État a maintenu la rente des concessionnaires.

Bien que nous partagions une partie des critiques formulées par la rapporteure quant à la gestion de ce dossier, nous ne voterons pas le texte.

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