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Xavier Batut
Question N° 7240 au Secrétariat d'état à la biodiversité


Question soumise le 18 avril 2023

M. Xavier Batut interroge M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sur la régulation des grands cormorans sur les eaux libres. L'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection cite le grand cormoran (Phalacrocorax carbo sinensis) parmi les volatiles protégés. Néanmoins, l'article L. 411-2-4 du code de l'environnement prévoit des possibilités de dérogation, permettant la régulation de cette espèce dans certains départements. Ainsi, l'arrêté du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans pour la période 2022-2025, fixe à zéro le plafond attribué pour le département de la Seine-Maritime. Autrement dit, aucune régulation ne peut être faite sur la population de ce volatile qui prospère sur le territoire. Nul ne peut croire que le Gouvernement a cédé aux activistes animalistes et autres prétendues organisations de défense des oiseaux qui déposent régulièrement des recours judiciaires contre les arrêtés préfectoraux pris sur le fondement de la disposition de l'article L. 411-2-4 du code de l'environnement. Il faut prendre conscience que la forte augmentation de la population des grands cormorans est à l'origine d'un véritable carnage dans les écosystèmes aquatiques, menaçant les activités piscicoles et surtout l'équilibre de la faune sauvage. La Seine-Maritime est particulièrement touchée par cette problématique en raison d'un réseau hydrographique important avec la Seine et ses affluents, mais aussi la Manche qui embouche de nombreuses rivières. Les poissons migrateurs, pour lesquels des investissements colossaux en matière d'hydraulique douce sont réalisés pour permettre leur circulation et leur préservation, en sont les premières victimes. La solution du « quota zéro prélèvement » n'est pas tenable et met à mal à la protection de biodiversité dans les cours d'eau du département de la Seine-Maritime. Il souhaite connaître les intentions du Gouvernement pour réguler la population des grands cormorans et protéger les espèces piscicoles et la faune sauvage aquatique contre ce prédateur marin très envahissant en Seine-Maritime.

Réponse émise le 28 novembre 2023

Le grand cormoran est une espèce autochtone protégée au niveau national, qui bénéficie également au niveau européen du régime général de la protection de toutes les espèces d'oiseaux (directive oiseau). Son régime alimentaire est piscivore. La population de la sous-espèce Phalacrocorax carbo sinensis s'était significativement réduite jusque dans les années 1970. Depuis lors, le nombre moyen de grands cormorans a augmenté jusqu'à atteindre un niveau relativement stable depuis 2013 et oscillant autour de 100 000 individus présents. Afin de contrôler l'impact que le grand cormoran occasionne sur les piscicultures, et le cas échéant, sur les poissons sauvages, un système dérogatoire à la protection stricte permet de mener des opérations de régulation dans des conditions fixées par un arrêté ministériel cadre du 26 novembre 2010. Un arrêté pris tous les trois ans fixe les plafonds départementaux dans les limites desquelles les dérogations peuvent être accordées. L'arrêté couvrant la période 2022/2025, a été publié le 1er octobre 2022. Il est lui-même décliné en arrêtés départementaux annuels ou triennaux définissant les personnes habilitées, les périodes et les zones de tir autorisées. L'élaboration de l'arrêté triennal 2022/2025 est intervenue dans le contexte d'annulation d'arrêtés préfectoraux relatifs aux dérogations sur les cours d'eau et plans d'eau, suite à diverses requêtes déposées ces dernières années. Plus d'une quinzaine d'arrêtés ont été annulés et plusieurs contentieux sont en attente de jugement. Les décisions des tribunaux administratifs font état de motivations insuffisantes des arrêtés car ils ne démontrent pas la présence dans les cours d'eau d'espèces de poissons menacées, l'impact du grand cormoran sur les espèces protégées ou la mise en œuvre de solutions alternatives. Dès lors, les conditions de dérogation ne sont pas remplies. En conséquence, lors des travaux préparatoires à l'élaboration de l'arrêté, des réflexions ont été engagées avec l'ensemble des partenaires concernés par le grand cormoran (représentants des pisciculteurs et pêcheurs, associations de protection de la nature, experts, administration) afin de permettre la sécurisation des actes juridiques et d'éviter que les futurs arrêtés préfectoraux ne soient à nouveau annulés. Au terme de la période de consultation, il a été décidé de ne pas établir dans l'arrêté 2022/2025 de plafonds pour les cours d'eau et plans d'eau et de n'y rendre aucune dérogation possible. En effet, en l'état, les éléments disponibles ne permettaient pas de démontrer l'impact du grand cormoran sur les espèces piscicoles menacées et de remplir les conditions de dérogation. L'arrêté du 19 septembre 2022 permet donc que les dérogations soient accordées pour protéger les seules piscicultures, dans 58 départements, avec un plafond annuel de 27 892 individus autorisés à la destruction. Les craintes des pêcheurs et de leurs fédérations de ne plus bénéficier de dérogations, notamment lorsque certaines rivières présentent des enjeux particuliers en raison de la présence de certaines espèces piscicoles patrimoniales et sensibles, ont été signalées. Aussi, si des études étaient produites localement et démontraient l'impact de l'espèce sur l'état de conservation des espèces de poissons protégées ou menacées, l'arrêté 2022/2025 pourrait être complété au cours de la période triennale, afin de mettre en place des plafonds sur les cours d'eau et plans d'eau concernés dans les départements. La justification de cet impact local permettrait en effet de remplir les conditions nécessaires à l'octroi des dérogations. Un protocole-cadre national robuste a été discuté avec la Fédération Nationale de la Pêche en France (FNPF) et quatre départements pilotes ont été retenus pour le mettre en œuvre. Les premiers résultats de ces études sont attendus au cours des prochains mois. Une particularité doit être signalée dans les départements bretons et normands en raison du très fort risque de confusion avec la sous-espèce Phalacrocorax carbo carbo. En effet, cette sous-espèce marine est strictement protégée en France, les effectifs de la population nicheuse étant faibles et en diminution. Dans la mesure où les deux sous-espèces ne peuvent être distinguées par simple observation visuelle, alors même que la sous-espèce Phalacrocorax carbo carbo se déplace également à l'intérieur des terres, l'arrêté triennal n'accorde aucun plafond de régulation pour Phalacrocorax carbo sinensis dans les départements concernés. La fixation de plafonds ne peut effectivement y être sécurisée juridiquement, que ce soit au titre de la protection des piscicultures, ou de celle des cours d'eau et plans d'eau si des plafonds y sont de nouveau accordés à l'avenir. Un tribunal administratif a ainsi déjà annulé un arrêté préfectoral au motif que les dérogations accordées étaient susceptibles de provoquer l'élimination d'individus appartenant à la sous-espèce côtière de grand cormoran et de porter atteinte à son état de conservation, alors qu'elle ne peut légalement faire l'objet de régulation. Enfin, au regard des menaces qui pèsent sur les milieux aquatiques, une vigilance est nécessaire pour que soit mis en œuvre l'ensemble des moyens permettant de restaurer et maintenir leur équilibre. En effet, au-delà de la prédation exercée par le grand cormoran sur les espèces piscicoles, d'autres enjeux importants, tels que la continuité écologique, la lutte contre les pollutions et les espèces exotiques envahissantes, doivent faire l'objet d'une attention particulière.

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