Entrons sans tarder dans le vif du sujet : la nécessité d'assurer la sécurité des navires à passagers traversant la Manche est indiscutable. Il était donc urgent de structurer la coopération sécuritaire entre la France et le Royaume-Uni dans cette zone transfrontalière critique.
La convention présentée aujourd'hui comporte néanmoins plusieurs faiblesses. D'abord, les moyens alloués restent flous. Ensuite, les entreprises privées pourront désormais officier en lieu et place des forces de l'ordre. C'est mettre le doigt dans un dangereux engrenage. Nous nous y opposons : le service public doit, au contraire, l'emporter sur la sous-traitance des missions de sécurité.
Néanmoins, la conclusion de cet accord est une mesure de bon sens, nécessaire pour encadrer des besoins et des pratiques identifiés dès 2016 pour lutter contre le trafic maritime de personnes entre la France et le Royaume-Uni. Pour cette raison, le groupe Écologiste – NUPES votera le projet de loi autorisant son approbation.
Cela étant dit, si cette convention constitue une avancée, elle fait écho à un autre accord qui mobilisera bientôt les forces de l'ordre et qui semble pour le moins problématique. Je fais référence au texte signé lundi 14 novembre par M. le ministre de l'intérieur et son homologue britannique, dans l'objectif affiché de lutter contre les traversées irrégulières de la Manche.
Cet accord est bien éloigné de celui qui nous est proposé aujourd'hui, lequel encadre strictement la présence des forces de l'ordre sur les bateaux à passagers, puisqu'il est question de constituer un véritable arsenal pour mieux surveiller les côtes, à grand renfort d'agents du renseignement, de caméras et même de drones. Nous ne partageons pas cette vision qui fait de la mer une zone de guerre et de la plage un no man's land. À l'heure du grand déménagement du monde, une vision strictement sécuritaire ne saurait être à la hauteur des enjeux : elle reviendrait à ignorer que les raisons qui poussent des populations entières à l'exil sont des phénomènes structurels, qui ne pourront être jugulés par des barbelés. Ce parti pris sécuritaire est une erreur fondamentale, dans laquelle la majorité se perd depuis de trop nombreuses années.
C'est cette même erreur qui a conduit à la mort plus de 200 personnes depuis 2014, ainsi qu'au drame du 24 novembre 2021. En une nuit, vingt-sept migrants perdaient alors la vie dans le naufrage de leur bateau de fortune, au large de Calais. Ce soir-là, de quelle coopération franco-britannique aurions-nous eu besoin, chers collègues ? De celle qui encourage à démanteler les camps de fortune, à intimider les migrants et à les contraindre à prendre la mer de nuit, dans des conditions toujours plus périlleuses, pour échapper à la police ? Ou au contraire, d'une coopération bilatérale entre les services de sauvetage ? L'humanité nous commande bien sûr de choisir la seconde option.
Car c'est bien le manque de coopération qui est mis en cause dans l'enquête judiciaire visant à éclairer les circonstances du drame. C'est bien parce que le Cross – centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage – n'a pas immédiatement porté assistance aux migrants, attendant que ceux-ci rejoignent les eaux territoriales anglaises, que leur embarcation a finalement sombré avant l'arrivée des secours. « S'il vous plaît, je suis dans l'eau », suppliait un naufragé ayant composé le numéro d'urgence. « Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises », lui a-t-on répondu. J'en reste stupéfaite. Le Cross est composé de militaires. Il est placé sous l'autorité du préfet maritime de la Manche et de la mer du Nord. Il relève donc directement des services de l'État. L'enquête menée à son endroit est accablante. Si nous avions réagi plus tôt et si la coordination entre le Cross et les services anglais avait été assurée, ces femmes, ces hommes et ces enfants auraient peut-être été sauvés.
Nous consacrons 255 millions d'euros par an à la sécurisation du littoral. À quoi bon dilapider cette somme colossale dans une coopération sécuritaire incapable d'éviter de tels drames ? Ces 255 millions, auxquels s'ajoutent les 72,2 millions d'euros qui seront versés au titre du nouvel accord passé entre la France et le Royaume-Uni, ne faudrait-il pas plutôt les allouer au sauvetage des vies humaines et à la prise en charge pérenne des naufragés ?
Si le parti conservateur au pouvoir au Royaume-Uni a fait du contrôle de l'immigration une priorité depuis le Brexit, nous, Français, ne devons pas nous corrompre dans cette fuite en avant sécuritaire. Nous ne devons plus confondre les victimes de la pauvreté, de la guerre et du réchauffement climatique, projetées malgré elles sur les routes de l'exil, avec leurs bourreaux, ceux qui portent la voix du populisme et de la xénophobie.