Certains salariés de l'industrie consentent d'énormes sacrifices pour travailler la nuit et le week-end ; certains locataires du parc social font face à des hausses de charges injustifiées. Vous venez, madame la Première ministre, de donner une perspective à ces efforts et un horizon à ces difficultés. Vous avez une méthode – la planification écologique – et une détermination – porter notre économie à un niveau de résilience inédit. Pour rétablir la confiance dans notre système énergétique, vous menez une guerre de souveraineté. Une première bataille a été gagnée, celle de la diversification des approvisionnements en gaz. Deux batailles restent à mener.
La première est celle du nucléaire. Gardons-nous, par passion anti-européenne, de revenir aux doctrines dépassées du monopole d'EDF, du tout-nucléaire et de la fin du marché européen. Au contraire, vous décidez, dans le sillage du discours de Belfort, de nationaliser EDF pour protéger les financements de projets à long terme comme les EPR. De même, le mécanisme des prix européens de l'électricité a été modifié et les effets de l'évolution des coûts de production des énergies fossiles ont été largement amoindris.
L'autre bataille qui reste à mener est celle de l'équipement en solaire et en éolien marin. On sent qu'un pan de l'écologie est passé à la décroissance alors que l'État, lui, déploie une action rationnelle et massive. Partout, les préfectures favorisent la coordination des entreprises de connexion, cartographient les espaces disponibles, mobilisent établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), grandes surfaces et fédérations agricoles. Cette planification des territoires encourage la coproduction agricole et énergétique dans une forme d'autonomie plus modeste et mieux planifiée ; en un mot, résiliente.
Le débat à l'Assemblée doit se poursuivre au même rythme que cet investissement. Nous pourrions anticiper la future programmation énergétique en menant d'ici là deux débats déterminants sur le plan financier.
Tout d'abord, les récents travaux de la commission des finances invitent à anticiper, dans le programme 345 de la mission "Écologie, développement et mobilité durables" , le retour à une situation plus normale des cours de l'énergie. Dans l'hypothèse où la compensation due aux énergéticiens classiques au titre des charges de service public resterait « négative », les ressources qui ne seront plus consacrées au bouclier seront disponibles dès l'an prochain. Alors se dessinera un budget de la production d'énergie, celui des « deux piliers de Belfort » : nous pourrons rattacher au programme 345 les lignes budgétaires correspondant à l'hydrogène, à la recherche nucléaire du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), au financement de la délégation de programme interministérielle au nouveau nucléaire – que nous vous félicitons d'avoir créée –, au soutien aux connexions, et au soutien aux gros consommateurs de courant nucléaire, autrement appelé Arenh.
En matière de raccordement électrique, préparons une double révolution, celle du tarif et celle du mode de planification des décisions locales de raccordement. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) nous en conjurent : nous devons produire un ressaut massif de l'investissement et transformer RTE et Enedis. Une nouvelle mission prioritaire s'annonce pour eux : après avoir raccordé les consommateurs sur tout le territoire, il faut raccorder les producteurs. Après la loi d'accélération nucléaire, pourquoi pas une loi d'accélération des raccordements ? Il est vrai qu'il en sera question lorsque nous nous pencherons sur l'accélération des énergies renouvelables.
Portons notre attention sur des débats concrets et cadencés, des débats de projets. Depuis Belfort, avec cette crise, nous pouvons devenir en 2050 la première économie développée dont la production d'énergie sera intégralement décarbonée. Il serait absurde de renoncer à cette Europe du marché de l'électricité par idéologie protectionniste.
L'Allemagne sortira du charbon en 2030 et la Pologne va retrouver les financements du plan de relance européen pour faire passer 200 000 de ses salariés du charbon au nucléaire. D'ici là, notre avance sera déterminante et constituera un avantage.
Ce qui importe dans le débat énergétique, c'est l'industrie, qu'il s'agisse de la localisation des filières industrielles ou de l'action en faveur de la décarbonation.
Revitalisons d'abord nos industries de base dans les régions depuis longtemps industrielles : c'est de l'industrie existante que sortiront les fondeurs, les chaudronniers, les usineurs et les soudeurs. Il faut aussi nouer des alliances industrielles avec les grandes nations de la mécanique : les États-Unis, l'Italie et les pays de l'Est de l'Europe. Le nucléaire est depuis toujours une industrie qui repose sur la coopération internationale et c'est grâce à elle que nous allons régénérer notre parc nucléaire, qui est le deuxième au monde.
Il importe en outre de décarboner l'industrie. Jusqu'à présent, cet enjeu renvoyait avant tout à des débats bruxellois autour d'instruments européens mais le Président de la République vient de proposer aux dirigeants des cinquante sites industriels français les plus émetteurs de gaz à effet de serre réunis au palais de l'Élysée un pacte de décarbonation reposant sur des aides immédiates de 5 milliards d'euros appelées à être éventuellement doublées dans dix-huit mois. Dans le cadre de cette réunion fondamentale, dont nous avons ressenti l'impact dans tous les territoires, il a aussi rappelé, madame la Première ministre, que vous étiez à l'origine de la notion de programmation écologique.
Sachez que dans nos territoires et dans cet hémicycle, à Bruxelles et auprès de nos industriels, nous redirons aussi que votre action est synonyme de résilience, d'autonomie stratégique et de souveraineté économique.