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Intervention de Laurence Boone

Réunion du jeudi 3 novembre 2022 à 9h30
Commission des affaires européennes

Laurence Boone, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, chargée de l'Europe :

L'audition par votre commission de M. Sannino, secrétaire général du Service européen d'action extérieure (SEAE), à la veille du sommet de Prague vous a permis d'en aborder ses grandes lignes. J'irai donc directement aux conclusions qui peuvent en être tirées.

Cet événement a réuni les chefs d'État et de gouvernement de quarante-quatre pays : les vingt-sept États membres de l'Union européenne, l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, les six pays des Balkans occidentaux, le Royaume-Uni, la Turquie, les quatre pays de l'Association européenne de libre-échange (AELE), l'Arménie et l'Azerbaïdjan. C'était, incontestablement, un signal encourageant.

Un message fort d'unité face à la Russie a été envoyé. C'était le but premier de cet événement, qui a également marqué la détermination des quarante-quatre pays à affronter ensemble leurs défis communs en tant que membres de la famille européenne.

Avec un léger recul, nous pouvons affirmer que ce premier sommet de la Communauté politique européenne a été un succès. La France, qui en a lancé l'initiative il y a moins de six mois et qui a soutenu les efforts de la présidence tchèque pour organiser ce premier rendez-vous, peut être fière d'avoir contribué à ce résultat.

Ce succès s'explique d'abord par un important travail de conviction mené auprès de nos partenaires européens, qui a permis de les rassurer quant à nos intentions. Je remercie ceux qui, ici, l'ont soutenu. S'agissant de l'articulation entre la Communauté politique européenne et l'élargissement de l'Union européenne, il a fallu répéter – et il faudra continuer – que la CPE contribuerait à renforcer l'ancrage européen des pays candidats par des projets concrets, sans attendre l'aboutissement d'un processus qui peut se révéler très long. Il a aussi fallu rassurer concernant la nature institutionnelle de la CPE et le risque de concurrence avec d'autres structures. Nous avons défendu l'idée qu'il s'agirait d'un format intergouvernemental souple, qui associerait les institutions européennes, respecterait l'autonomie décisionnelle de l'Union – c'était important pour que les pays aux frontières nord et sud de l'Europe en soient – et ne dupliquerait pas les organisations européennes existantes.

Cette première réunion a répondu au besoin stratégique de renforcer le dialogue politique à l'échelle du continent et a défini les grandes thématiques étant l'objet de préoccupations partagées : la paix et la stabilité d'une part, l'énergie, le climat et l'économie d'autre part. Les participants se sont accordés quant à la nécessité de poursuivre le soutien à l'Ukraine, afin de renforcer sa résilience et de franchir les prochaines étapes, lesquelles ont été discutées au Conseil européen.

Parallèlement aux discussions plénières, des échanges en format réduit ont abouti à des résultats tangibles. Pour citer ce seul exemple, les échanges entre le président Macron, le président du Conseil européen, Charles Michel, et les chefs d'État d'Arménie et d'Azerbaïdjan ont abouti à un accord sur l'envoi d'une mission européenne d'observation dans la zone de conflit entre les deux pays.

Un autre objectif du sommet visait à se mettre d'accord sur sept champs de coopération : la protection de nos infrastructures essentielles ; la coordination de nos politiques énergétiques, afin de réduire la dépendance et de limiter la hausse des prix ; la lutte contre la cybercriminalité, la propagande et la désinformation ; une approche commune des questions de jeunesse, de manière à renforcer les coopérations entre les universités ainsi que les politiques éducatives européennes ; la gestion intégrée des flux migratoires, avec l'accueil des migrants et la lutte contre les réseaux de passeurs ; des sujets régionaux dans la mer Noire, la mer Baltique et le Caucase.

L'enthousiasme a conduit plusieurs États comme la Moldavie, l'Espagne ou le Royaume-Uni à proposer d'accueillir les prochains sommets.

Nous devons consolider la CPE par des projets concrets, à commencer par un travail de fond sur les coopérations sectorielles, notamment avec les candidats à l'adhésion à l'Union européenne. Deux types de projets peuvent être mentionnés : ceux qui concernent les infrastructures et la connectivité, en particulier dans le contexte d'urgence lié à l'hiver et à la guerre – l'énergie, le climat, le numérique, les connexions de transport et l'agriculture ; et des projets économiques et sociaux plus larges, comme les chaînes d'approvisionnement, les enjeux sanitaires ou le renforcement qualitatif et la mobilité des ressources humaines.

L'enjeu politique est évident et le défi technique, considérable, si l'on veut ne pas dupliquer ce qui existe. Les propositions que vous pourrez nous adresser seront les bienvenues. Nous avons besoin de toutes les bonnes volontés.

Cette première réunion de la CPE et ses suites sont le signal diplomatique et géopolitique que la France continue à être à l'initiative en Europe.

J'en viens aux résultats du Conseil européen des 20 et 21 octobre, préparé par une réunion à Prague le 7 octobre. En premier lieu, le Conseil a continué à condamner avec la plus grande fermeté les récentes attaques de missiles et de drones perpétrées sans discrimination contre des civils, des biens et des infrastructures à Kiev et dans toute l'Ukraine. Lors de sa conférence de presse, le Président de la République a indiqué que cette stratégie russe vise à détruire méthodiquement les capacités de résistance et les infrastructures civiles essentielles pour l'hiver. Nous maintiendrons la pression sur le régime russe, pour l'affaiblir durablement, avec des sanctions dont l'objectif est d'asphyxier l'effort de guerre. Des mesures restrictives ciblent aussi les alliés du Kremlin. Des sanctions ont ainsi été prononcées en réaction au transfert de drones iraniens à la Russie, et nous sommes prêts à prendre de nouvelles mesures à l'encontre de la Biélorussie.

Les chefs d'État et de gouvernement ont réaffirmé leur solidarité et leur unité avec l'Ukraine, ainsi que leur soutien sans faille et dans la durée. Sur le plan humanitaire, l'Union européenne se tiendra aux côtés de l'Ukraine, comme elle l'a toujours fait, en particulier en vue de la préparation de l'hiver. Sur le plan militaire, une mission européenne de formation des soldats ukrainiens a été décidée. La France y prendra toute sa part. A également été acté un nouveau renforcement des mesures d'assistance aux armées ukrainiennes au titre de la facilité européenne pour la paix. Sur le plan financier, les dirigeants européens ont soutenu les efforts permettant la poursuite du décaissement rapide de la deuxième tranche de l'aide macrofinancière pour l'Ukraine, d'un montant de 5 milliards d'euros, et la mise à disposition des 3 milliards restants. Le soutien européen s'exprime aussi sur le plan politique, avec la perspective européenne de l'Ukraine et le succès du premier sommet de la CPE.

L'Union européenne a rappelé sa détermination à soutenir les efforts pour la reconstruction de l'Ukraine en collaboration avec les partenaires internationaux, et à lutter contre la désinformation visant à réduire nos efforts collectifs pour soutenir la souveraineté de l'Ukraine et l'ordre international. À cet égard, Monsieur le président, je salue votre initiative d'avoir organisé au sein de cette commission une table ronde sur les ingérences étrangères dans les processus démocratiques de l'Union européenne. Au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, ce sujet nous tient à cœur.

Le Conseil a également traité de l'insécurité alimentaire mondiale causée par la guerre que la Russie a engagée contre l'Ukraine, en soulignant la responsabilité russe en la matière et en affirmant la nécessité de renforcer les corridors de solidarité, qui ont déjà permis de faire sortir d'Ukraine plus de 10 millions de tonnes de céréales.

En deuxième lieu, le Conseil a évoqué la crise énergétique. Votre commission s'est emparée de ce sujet dès le 22 septembre, notamment en organisant une table ronde sur le sujet. Je vous remercie pour cette initiative, qui montre que nous pouvons tous ici partager les mêmes urgences et faire au mieux pour y remédier. Le Conseil est revenu sur les propositions de la Commission européenne du 18 octobre, qui complètent les règlements déjà adoptés. Nous avons avancé s'agissant du renforcement du stockage de gaz, de la réduction de la consommation d'énergie, de la contribution des entreprises énergétiques et de la diversification des approvisionnements. À la demande des États membres, la Commission complétera ces dispositions par de nouvelles propositions qui permettront de créer une plateforme d'achats conjoints à l'échelle de l'Union et des pays membres de la Communauté de l'énergie. Ce sera décisif pour notre approvisionnement et pour notre pouvoir de négociation en vue de remplir les stocks de gaz dans la perspective de l'hiver. Ces nouvelles propositions faciliteront aussi la conclusion d'accords de solidarité entre États membres et ouvriront la porte à d'autres mesures relatives à la consommation de gaz ou aux prix.

Les conclusions du Conseil accueillent positivement ces perspectives, renforcent le mandat de la Commission pour agir urgemment et de manière ambitieuse, fixent un cap et un calendrier clair, avec des propositions concrètes pour réduire les prix de l'électricité et du gaz à court terme. Concernant ces derniers, plusieurs dispositions sont en cours d'étude, dont l'évolution de l'indice reflétant les prix du gaz, un corridor de prix et le plafonnement des prix du gaz utilisé dans la production d'électricité. Elles ont donné lieu à un premier échange politique lors du conseil « Énergie » du 25 octobre. La présidence tchèque a annoncé que son objectif était d'obtenir leur adoption dès le 24 novembre, à l'occasion d'un nouveau conseil « Énergie ».

S'il a été fait beaucoup en peu de temps, il convient d'aller plus loin. Nous attendons de la Commission qu'elle fasse de nouvelles propositions, notamment en vue du découplage du prix de l'électricité et du gaz. Nous souhaitons surtout une réforme structurelle à moyen terme du marché de l'énergie afin qu'il soit plus cohérent et moins volatil ; nous espérons pouvoir avancer dans cette voie au début 2023.

En troisième lieu, le Conseil européen est revenu sur la situation économique, en particulier sur l'inflation et ses effets sur les personnes et les perspectives de croissance. Grâce aux mesures destinées à soutenir le pouvoir d'achat des Français, adoptées par l'Assemblée, la France s'en sort mieux que ses partenaires européens, puisqu'elle affiche une inflation de 6,2 %, contre plus de 10 % en moyenne dans la zone euro. D'autres dispositifs sont en cours de déploiement : un nouveau chèque énergie pour les foyers les plus modestes d'ici à la fin d'année et le renouvellement du bouclier tarifaire en 2023. Tous nos partenaires européens ont adopté des mesures similaires, avec une ampleur variable. Nous devons veiller à ce que ces mesures nationales ne conduisent pas à des divergences économiques au sein de la zone euro et à un déséquilibre entre les États membres, qui n'ont pas tous la capacité à prendre des mesures aussi généreuses que les nôtres.

Les États membres ont réaffirmé la nécessité d'instaurer un cadre commun assurant une réelle solidarité financière. La Commission a présenté une nouvelle modification de l'encadrement temporaire des mesures d'aide d'État, qui permet de soutenir l'économie après l'agression de la Russie contre l'Ukraine. Elle étudiera, à la demande du Conseil, une action économique commune pour les États membres qui ne disposent pas des mêmes marges de manœuvre que nous. Tel est le sens de la proposition REPowerEU, visant à réduire la dépendance de l'Union en combustibles fossiles importés de Russie, qui est discutée en trilogue avec le Parlement européen. La Commission pourrait émettre de nouvelles propositions afin d'augmenter la part des subventions dans ce paquet financier. Plus largement, les Vingt-Sept lui ont demandé, ainsi qu'aux ministres des finances, de réfléchir à des mécanismes européens de solidarité financière, à l'instar de ce qui avait été fait pour le covid-19.

Le Conseil a traité des relations extérieures de l'Union européenne, notamment avec la Chine. Il a réaffirmé la pertinence du concept de « concurrence, coopération et rivalité systémique » par lequel l'Union définit son approche des relations avec ce pays, sans naïveté quant à l'évolution récente du comportement de la Chine, et avec un glissement graduel vers une rivalité plus affirmée, notamment sur le plan des valeurs. La réponse européenne continuera de s'adapter à ces changements structurels et à leurs manifestations, qu'il s'agisse de la position chinoise sur la guerre en Ukraine ou de la montée des tensions dans le détroit de Taïwan. Si nous ne sommes pas naïfs, nous savons aussi que nous avons besoin de la Chine pour certaines coopérations dans le cadre d'enjeux globaux et multilatéraux, comme la lutte contre le changement climatique. Nous poursuivrons ces coopérations, sans cesser de défendre fermement nos valeurs et les droits de l'homme. La proposition de règlement de la Commission relatif à l'interdiction des produits issus du travail forcé sur le marché de l'Union en témoigne. Nous sommes la première grande zone à faire ce pas.

Enfin, le Conseil est revenu sur la préparation de deux grandes échéances internationales : la COP27, qui commence à la fin de la semaine à Charm el-Cheikh, et le sommet de décembre entre l'Union européenne et l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean). Alors que les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuent d'augmenter, les tensions sur les marchés énergétiques menacent l'intégrité des engagements climatiques internationaux. Les événements météorologiques de cette année ont montré l'urgence de faire face au changement climatique. Lors du conseil « Environnement » du 24 octobre, les ministres de l'environnement ont d'ailleurs adopté à l'unanimité un mandat de négociation très ambitieux pour la COP27. Pour la France, poursuivre une action climatique forte est une priorité. Quant au sommet entre l'Union européenne et l'Asean, il sera l'occasion de mettre en valeur notre stratégie indopacifique et ses réalisations.

L'agenda du Conseil européen était chargé, et il le reste. Partout où nous avançons et où nous le pouvons, nous renforçons la capacité d'action de l'Union européenne.

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