Comme chaque année, l'État intervient pour équilibrer les comptes des régimes spéciaux, qui sont structurellement déficitaires sur le plan démographique, de sorte qu'il y a plus de pensionnés que de cotisants.
En 2023, la subvention que l'État verse à ces régimes au titre de la solidarité nationale stagne par rapport à celle de 2022. De plus, le budget de cette mission ne mentionne pas la réforme voulue par le Gouvernement avant la fin de cette année. Le CAS Pensions, néanmoins, l'évoque ainsi : « Par convention, les prévisions pluriannuelles renseignées dans ce document n'intègrent pas les effets d'une réforme des retraites mais évolueront, le cas échéant, conformément aux dispositions prévues par la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 et la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. » Voilà qui confirme que les régimes spéciaux sont aussi dans le viseur de la vilaine réforme de régression que vous manigancez.
Les arguments sont bien rodés : le prétendu coût de ces régimes et la chasse aux supposés privilèges. Outre que des régimes s'éteignent naturellement, comme celui de la Seita, le manque de cotisants s'explique souvent par des choix politiques comme l'ouverture à la concurrence de secteurs publics – je pense à ceux de la RATP et de la SNCF. La démographie n'explique donc pas tout. La décision de gouvernements successifs de ne pas remplacer certains départs à la retraite et de supprimer des statuts, comme pour les cheminots, affecte le ratio entre cotisants et pensionnés.
De plus, les salariés des régimes spéciaux cotisent plus que ceux du régime général. Les cheminots, par exemple, ont toujours choisi de consacrer une part plus importante de la contrepartie de leur travail à leur protection sociale : 47,22 % de cotisation contre environ 25,47 % au régime général. Si ces régimes sont spéciaux, ils ne sont pas privilégiés : ils fonctionnent simplement sur la base d'une solidarité restreinte à une profession ou à une entreprise prenant en compte une certaine forme de pénibilité : notamment, horaires atypiques, fréquence des astreintes et usure physique.
Ce sont les travailleurs du régime général qui, depuis trop longtemps, sont délaissés au regard de l'évolution des modes de production. J'en veux pour preuve la sous-déclaration croissante des accidents du travail et des maladies professionnelles ou la sinistralité hors norme dans les métiers du soin et du lien qu'a signalée la Cour des comptes le mois dernier.
Les régimes spéciaux étaient, en réalité, précurseurs d'une juste appréhension du travail tout en veillant à maintenir l'équilibre nécessaire entre la vie au travail et la vie à la retraite en bonne santé. En 1945, lorsqu'il a été créé, le régime général avait bien pour objectif d'aligner les retraites générales par le haut et non par le bas.
Au lieu de diviser, il conviendrait donc de s'attacher à améliorer la vie de l'ensemble des salariés, en commençant par accroître l'égalité entre les femmes et les hommes mais, aussi, face à la rémunération : plus de minima de branches en dessous du Smic, des grilles de salaires permettant une évolution salariale et de carrière, un encadrement entre les plus basses et les plus hautes rémunérations. Une égalité salariale plus forte dans le travail permettra de tendre vers une égalité plus forte à la retraite grâce à une assiette de cotisation mieux pensée, à un meilleur partage du temps de travail et à des pensions plus justes.
Des réformes novatrices pourraient permettre d'harmoniser les régimes de retraite vers le haut en élargissant les avancées sociales des régimes spéciaux à l'ensemble des métiers et salariés d'une branche et à l'ensemble des régimes, ce qui améliorerait le montant de la pension minimale, la situation des personnes précaires, des femmes et des familles. Vous, vous préférez allonger la durée du temps de travail ! De surcroît, vous ne disposez pas d'une majorité populaire pour cette réforme inutile, qui constitue une spoliation pour celles et ceux qui travaillent.
L'accès aux droits constitue un vrai problème, d'abord lié au manque de moyens humains. Alors que ce Gouvernement veut répondre aux besoins des secteurs en tension, qui le sont d'abord en raison des conditions de travail – et, parfois, du manque de formation – les régimes spéciaux pourraient nous inspirer, car leur histoire est celle de conquêtes sociales liées aux besoins de développement du pays, à la nécessité de fidéliser et de qualifier les salariés. Nous ne disons pas autre chose lorsque nous affirmons qu'il importe de redonner du sens au travail, de rémunérer correctement les emplois, de reconnaître les qualifications.