Je m'inscris dans le sillon culturel que M. le rapporteur a ouvert pour contribuer au débat par une importante démystification. Généralement, les partisans d'un report de l'âge de départ à la retraite brandissent le prochain doublement du nombre de retraités par rapport à celui des employés comme le signe que nous sommes dans une situation quasiment pré-apocalyptique. Tout cela n'est cependant qu'un jeu de bonneteau comptable, car les employés ne financent pas seulement des retraités, mais aussi des enfants et des inactifs de différents statuts.
Pour bien saisir où va notre société, il faut voir quel est le rapport entre le nombre des personnes employées et non employées, afin de savoir comment mutualiser les solidarités. Ce rapport, dit ratio de dépendance, variable clé de nos débats, n'est pas évoqué ici car, depuis maintenant quinze ans et pour les trente ans qui viennent, il est stable : la courbe est plate. Les employés de notre pays doivent certes financer de plus en plus de retraités, mais de moins en moins d'enfants, d'inactifs et d'invalides. Une focalisation exclusive sur le rapport entre employés et retraités est donc un miroir déformant. Il faudra certes, d'ici à 2050, accroître de 40 % environ les recettes de l'assurance vieillesse, mais uniquement de 10 % l'ensemble des recettes de la protection sociale.
Nous pouvons donc non seulement souffler et aborder un peu plus tranquillement le débat, mais aussi réfléchir à différents types de solutions, comme une hausse modérée des cotisations ou un déplafonnement de la cotisation vieillesse – au-dessus de 3 428 euros, en effet, on ne contribue presque plus à cette dernière –, ou la mise à contribution de plusieurs revenus, comme la prime Macron, qui ne contribue pas à notre protection sociale et à nos régimes de retraite, comme nous l'indiquions en votant contre au mois de juillet.
Cela est d'autant plus vrai que le report que vous envisagez de l'âge de départ à la retraite pose un problème sanitaire très important : alors que le Gouvernement s'est montré incapable d'ouvrir des lits d'hôpitaux face à une épidémie, vous voulez aujourd'hui créer une nouvelle crise sanitaire en maintenant au travail jusqu'à l'âge de 65 ans des personnes qui ont généralement le dos cassé, qui tombent malade et qui sont empoisonnées par les produits qu'elles manipulent. Les chiffres sont assez clairs : après 50 ans, 40 % de nos compatriotes ont connu un épisode long de maladie, d'invalidité ou de chômage.
Quant aux régimes de retraite subventionnés par la mission Régimes sociaux et de retraite, ils sont généralement antérieurs à la construction de la sécurité sociale. Il s'agit, comme vous l'avez rappelé, des régimes des agents de la SNCF et de la RATP, des marins ou des anciens mineurs. On tente cependant aujourd'hui de les disqualifier en les accusant de coûter trop cher, en raison d'abord d'un déséquilibre démographique. C'est vrai, mais si le problème était celui du déséquilibre démographique, on pourrait rouvrir ces régimes, ce qui faciliterait le retour à l'équilibre. À ce titre, vous pourriez aussi nous dire, par exemple, que les congés de maternité coûtent trop cher parce que les bénéficiaires reçoivent plus qu'elles n'ont cotisé, et qu'il faudrait donc dissoudre ce régime.
Un tel raisonnement est problématique. D'abord, dans une société aussi complexe que la nôtre, on ne peut jamais totalement distinguer le travail des uns et celui des autres. Si nous pouvons nous réunir pour ce débat, c'est grâce à la production des micros, des tables et des écrans que nous utilisons. Ainsi, venir en solidarité à d'anciens travailleurs n'est jamais une aumône qu'on leur verse, mais toujours un investissement étalé dans le temps.
En un mot, ce que vous proposez avec cette attaque générale contre les pensions de vieillesse, quels qu'en soient les régimes, c'est une sorte de retraite pour les morts : durant les cinq années de vie comprises entre 60 et 65 ans, en effet, on compte tous les ans 30 000 décès. L'un des enjeux de la discussion que nous ouvrons aujourd'hui est donc le droit de partir à la retraite pour ces 30 000 personnes dont l'existence est menacée et pour lesquelles tout report signifierait qu'il n'y aura ni le moindre mois ni la moindre semaine de repos après une vie d'activité et de travail.
Pour conclure, le travail des personnes à la retraite reste un impensé de nos discussions. Nous débattons des taux de dépendance et de leur financement, mais nous évinçons de ce tableau le fait que des millions de retraités contribuent activement à la société par l'engagement associatif, le bénévolat et le travail domestique qu'ils assument, de telle sorte qu'ils ne sont pas uniquement des bénéficiaires de prestations, mais également des producteurs de valeur.