Au mot de retraite, aujourd'hui en France, toutes les pensées se projettent immédiatement vers le sort très spécial que vous comptez imposer aux retraités et à certains de leurs régimes. Là est le débat de fond, l'actualité, le vrai sujet. Le Président de la République a redit récemment qu'il voulait la retraite à 65 ans, volonté qui n'est jamais que l'exécution docile des attentes de la Commission européenne.
Il veut également – et sa majorité, aussi relative que soumise, le suit – faire main basse sur le trésor des 90 milliards de cotisations et des 60 milliards de réserve de l'Agirc-Arrco, la caisse complémentaire de retraite du secteur privé. L'Agirc-Arrco, ce sont soixante-dix ans d'existence, 50 millions de Français cotisants, 2 millions d'entreprises et 13 millions de retraités – et pas de dettes. C'est une gestion exemplaire et sans heurt social ; c'est un outil qui fonctionne, ce qui n'est plus si courant dans notre pays. Medef et CGT, dans un accord qui montre que le débat n'est pas idéologique, dénoncent votre décision. Pourtant, malgré cette opposition syndicale et malgré, sans doute, celle d'une majorité de parlementaires, sans consulter les Français, une fois de plus, vous passez en force et menacez de recourir à nouveau à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.
Plus généralement, votre réforme annoncée des retraites est celle de la paupérisation, de la précarisation. Imposer le travail jusqu'à 65 ans lorsque l'on mène une politique d'ubérisation économique et sociale, c'est projeter dans la misère des millions de Français. Notre pays a un taux d'emploi des plus de 60 ans parmi les plus faibles des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Or, de 2017 à aujourd'hui, hormis tenir des discours, vous n'avez rien fait pour y remédier.
Fin 2021, 43,9 % des travailleurs âgés de 55 à 64 ans n'occupaient aucun poste. Pour les plus de 60 ans, la statistique est plus terrible encore : les deux tiers n'ont pas de travail et pas encore de retraite. Tout le monde est touché, l'ouvrier comme le cadre supérieur. Début octobre, le ministre du travail annonçait la possibilité qu'un retraité cumule retraite et emploi, et que ce dernier lui ouvre des droits supplémentaires pour sa retraite. Traduction : une retraite ne garantira plus une vie décente – c'est déjà parfois le cas, mais vous allez amplifier le phénomène.
Le rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) de juin 2021 indique que la part des retraites dans le PIB français ne bougera guère jusqu'en 2070 : « Malgré le contexte de la crise sanitaire et le vieillissement progressif de la population française, les évolutions de la part des dépenses de retraite dans le PIB resteraient sur une trajectoire maîtrisée à l'horizon de la projection, c'est-à-dire 2070. C'était un résultat qui prévalait avant la crise sanitaire que nous traversons depuis début 2020. C'est un résultat qui demeure valable après crise. »
Fin 2019, Thierry Breton, ancien ministre de Nicolas Sarkozy nommé par Emmanuel Macron commissaire européen au marché unique, affirmait nécessaire la retraite à 65 ans, arguant de l'évolution de l'espérance de vie. Il est vrai que M. Breton gagne, à 70 ans, 270 000 euros par an, sans parler des 26 millions d'euros bruts de rémunération gagnés dans son ancien poste. Dans ces conditions, en effet, travailler jusqu'à 70 ans, pourquoi pas ?
Vous gérez les retraites comme on manipule une machine, et votre machine est celle de la privatisation, de l'ouverture des marchés et des frontières, de l'ubérisation et de la désindustrialisation. Votre politique est au service des gagnants de la mondialisation.
Pour nous, les retraites, ce sont avant tout des hommes et des femmes. Ce sont aussi une communauté nationale et des citoyens. C'est là toute la différence entre nous.