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Intervention de Jean Castex

Réunion du mercredi 9 novembre 2022 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean Castex :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je vous dois avant tout quelques explications sur le fait que je reviens ici quelques mois seulement après que vous m'avez auditionné pour ma nomination à la tête de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France). C'est que, depuis cette fin du mois de juillet, un événement nouveau et imprévisible est survenu : la démission de la PDG de la RATP. À l'évidence, personne n'imaginait que le poste se trouverait vacant au 1er octobre lorsque la présidence d'Afit France m'a été proposée.

Je veux saluer, comme je l'ai fait hier au Sénat, l'action de Mme Catherine Guillouard, à la tête de cette grande entreprise publique durant cinq ans, mais aussi la décision qu'elle a prise, pour des raisons personnelles qu'il ne m'appartient pas de commenter.

Je vous le dis d'emblée, c'est sans hésitation aucune que je me suis porté candidat à ce poste. Non que je sous-estime les difficultés qui attendent le futur PDG de la RATP – ceux d'entre vous qui me connaissent bien savent qu'elles ne sont pas de nature à m'arrêter – mais parce que je pressentais que je pouvais ainsi me rendre utile à la nation, après être sorti du champ politique en quittant l'hôtel Matignon. La présidence d'Afit France ne recouvre pas les mêmes enjeux : il s'agit d'un poste non exécutif, puisque je travaille avec une déléguée générale, et l'agence n'emploie que cinq salariés, quand la RATP en compte 70 000. Les défis auxquels est confrontée la RATP sont si nombreux qu'il faut à sa tête quelqu'un d'expérimenté, fort d'une vision politique.

C'est une très belle maison, qui représente la France dans de nombreux pays. Peut-être faudra-t-il diriger le mouvement de filialisation et de diversification vers des objectifs prioritaires ? Il n'en reste pas moins que la RATP est un fer de lance, image des savoir-faire français. Les métiers qui s'y exercent sont nombreux – on en dénombre 174 –, parfois très difficiles. Je n'oublie pas, pour avoir été le coordonnateur de la stratégie de déconfinement en 2020, que les transports publics n'ont pas été fermés durant la pandémie, que les salariés de la RATP sont restés sur le pont et qu'au plus fort de la crise, des bus dédiés ont conduit les personnels soignants sur leur lieu de travail.

J'ai l'intime conviction que la RATP est de taille à surmonter les nombreux défis qui l'attendent. Certains sont immédiats. Demain, un mouvement social très important affectera le fonctionnement des transports. La qualité et la continuité du service se dégradent : au mois d'octobre, les difficultés sur le réseau de bus ont été telles que 25 % de l'offre n'a pu être réalisée. Les manques de personnels, qu'ils proviennent du recrutement ou de l'absentéisme, affectent aussi les lignes de métro. Si vous m'accordez votre confiance, je m'emparerai immédiatement de ces problèmes car ils retentissent sur la vie quotidienne de millions de Franciliens et sur le séjour des visiteurs en Île-de-France. Il s'agit d'une urgence absolue.

Cela dit, si la RATP était la seule entreprise en France à connaître des difficultés de recrutement, ça se saurait ! Tout le monde tombe à bras raccourcis sur la RATP, mais des mesures ont été prises et Île-de-France Mobilités (IdFM), de son côté, a consenti de nombreux efforts. Si vous validez ma nomination, Mme Valérie Pécresse sera l'une des premières personnes que je rencontrerai. Il faudra se dépêcher de mettre en œuvre ou de rechercher, ensemble, les solutions ; rien ne serait pire que donner l'impression qu'on se renvoie la balle, sans assumer ses propres responsabilités. Je ferai donc tout pour que les relations avec l'autorité organisatrice de la mobilité (AOM) soient les plus fluides possible.

Acquitter la facture énergétique constitue un autre défi à très court terme. La RATP consomme 2,5 térawhattheures par an, soit 2 % de la consommation d'énergie en Île-de-France. La facture d'électricité s'élevait à 210 millions d'euros en 2021, elle devrait atteindre 235 millions cette année. Son niveau, en 2023, dépendra des décisions gouvernementales et des votes du Parlement, mais il est estimé, dans le budget en préparation, entre 480 et 550 millions d'euros. Il faudra, là encore, rechercher des solutions avec l'AOM et l'État.

Les tensions inflationnistes ont aussi des incidences sur les négociations salariales. La RATP, sous la houlette de Mme Catherine Guillouard, n'est pas restée sans agir. Le dialogue social approfondi a débouché sur une revalorisation des rémunérations, qui ont progressé de 5,2 % en 2022. Je me réjouis qu'un effort tout particulier ait été consenti pour les bas salaires et les métiers les plus difficiles : ainsi la revalorisation des primes de nuit a été actée au mois d'avril dans le cadre d'un accord avec les organisations syndicales. Compte tenu de l'évolution de l'inflation, la fameuse NAO, la négociation annuelle obligatoire de 2023, devrait être anticipée et s'engager dans les jours qui suivront mon éventuelle prise de fonction.

D'autres défis se poseront à horizon un peu plus lointain, mais c'est dès aujourd'hui que la RATP doit s'y préparer : je pense évidemment à la Coupe du monde de rugby de 2023 et aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Nous devons tirer toutes les conséquences de ce qui s'est passé au Stade de France le 28 mai. On attend, lors des Jeux olympiques, jusqu'à 1 million de visiteurs, et autant d'usagers supplémentaires dans les transports. Ces événements sont l'opportunité d'accélérer les plans de modernisation. Je pense notamment à la billettique : l'objectif est de dématérialiser 40 % des billets. Je retrouve là des sujets que j'avais largement explorés lorsque j'étais délégué interministériel aux jeux olympiques et paralympiques.

L'ouverture à la concurrence a déjà débuté, hors le périmètre historique de la RATP, sur le réseau Optile, en grande couronne – la régie a répondu à certains appels d'offres organisés par IdFM. Les échéances principales sont l'ouverture du réseau historique de bus, le 1er janvier 2025, puis celles du réseau des tramways et du réseau métropolitain. Bien sûr, l'ouverture à la concurrence inquiète. Nous pourrions avoir de grands débats sur le principe même, mais le législateur a tranché. Au-delà, il y a les modalités d'exécution. Or je constate que le compte n'y est pas.

Du point de vue normatif et juridique, il faut encore adapter ou prendre des textes. Le cadre social territorialisé (CST), un décret que j'ai signé quand j'étais Premier ministre, a pour objet de définir des règles communes et de mettre tout le monde à armes égales, afin d'éviter que les parts de marché ne soient remportées par les moins-disants sociaux et d'écarter tout risque de dumping. La RATP se prépare depuis 2016 à cette échéance, elle s'est réorganisée et a déjà négocié un certain nombre de sujets. Cependant, sur le cadre social territorialisé, malgré des heures et des heures de négociation, aucun accord n'a été trouvé. Cela a conduit la direction à prendre une décision unilatérale, contestée par les organisations syndicales représentatives. Une médiation, ordonnée par le juge, est en cours. Il reviendra au prochain PDG de reprendre le chemin de la négociation, de clarifier et de rassurer.

Au passage, je souhaite évoquer un point, que l'un de vous soulèvera sans doute : l'avis rendu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Cet avis conclut à la compatibilité de l'activité de PDG de la RATP avec les fonctions gouvernementales que j'ai exercées, sous réserve que je m'abstienne de toute démarche auprès des membres du Gouvernement en exercice qui l'étaient aussi lorsque j'étais Premier ministre, dans le contexte de mise en œuvre de l'ouverture à la concurrence des transports publics en Île-de-France. J'ai demandé au président de la Haute autorité de confirmer que ces réserves ne s'appliquaient qu'à ce contexte et ne portaient pas sur d'autres sujets ; M. Didier Migaud a validé publiquement cette interprétation et je tiens son courrier à votre disposition.

Je me conformerai à l'avis de la HATVP, qui a pour objet, entre autres, d'éviter que les concurrents potentiels de la RATP m'accusent d'avoir excipé de mes anciennes fonctions pour obtenir une décision favorable à la RATP. N'oublions pas, cependant, que l'ouverture à la concurrence n'est pas organisée par le Gouvernement mais par la région Île-de-France, que c'est IdFM qui déterminera les lots et les attribuera aux lauréats. Cela dit, certains sujets peuvent relever de l'État, comme le cadre réglementaire. Il se trouve que le ministre concerné est M. Christophe Béchu, et qu'il n'était pas membre du gouvernement que j'ai eu l'honneur de diriger. Je veillerai donc à ce qu'il soit, sur le sujet de l'ouverture à la concurrence, mon seul point d'entrée au Gouvernement.

Ce chantier considérable – il concernera 19 000 salariés et portera sur 1,5 milliard d'euros – occupera beaucoup le futur PDG de la RATP. Mais d'autres enjeux pèsent tout autant. Je pense évidemment au changement climatique.

La première contribution de l'entreprise consiste à conquérir des parts de marché. Qu'elle en gagne ou en perde lors de l'ouverture à la concurrence est une chose, une autre est qu'elle en remporte au quotidien, à iso-organisation. L'enjeu collectif, c'est que les personnes abandonnent leur voiture pour prendre les transports en commun. Et pour cela, car tout se tient, il faut que ces transports fonctionnent bien. Disons-le à l'envers : nous devons retrouver le niveau d'offre qui préexistait à la covid et aux difficultés de recrutement, et repartir de l'avant par des investissements massifs.

Je suis cohérent. Je n'ai cessé de le dire lorsque j'étais Premier ministre, à propos du plan de relance, je l'ai répété devant vous lorsque j'étais candidat à la présidence d'Afit France : il faut investir de l'argent public dans les transports, en particulier dans les transports collectifs. C'est fondamental.

Les lignes du Grand Paris Express ouvriront bientôt. À la faveur des Jeux olympiques et paralympiques, le prolongement de la ligne 14, au nord jusqu'à Pleyel, au sud jusqu'à l'aéroport d'Orly, sera achevé. Le linéaire du métro augmentera de près de 75 %. L'exploitation des lignes fera l'objet d'un appel d'offres, mais la RATP continuera d'assurer la maintenance et la sécurité de ces lignes. En tant que co-maître d'ouvrage de la partie sud de la ligne 14, elle doit mesurer l'impact des lignes nouvelles sur les lieux de raccordement au réseau existant, où des travaux considérables de modernisation doivent être effectués.

Pour repartir de l'avant, l'investissement est la clé de tout. Je prends souvent l'exemple de l'automatisation de la ligne 1, sur laquelle nous avons déjà du recul, pour dire que ces travaux ont résolu des problèmes d'offre, de ponctualité, de sécurité, de prévention du suicide, d'ergonomie ou d'information du public. C'est la voie à suivre.

Il faudrait d'ailleurs accélérer, ce qui m'amène à la question du financement. Grâce à IdFM, nous renouvellerons plus de la moitié du matériel roulant dans les dix prochaines années, ce qui permettra d'améliorer l'ergonomie et la ponctualité et, grâce à un système de freinage innovant, de réduire la consommation électrique.

Rappelons que le transport représente 31 % des émissions françaises de gaz à effet de serre (GES), et que 94 % de ces émissions proviennent des transports routiers ; à distance égale, on émet 50 fois moins de CO2 en métro, en RER ou en tramway qu'en voiture. L'objectif est donc clair : il faut augmenter la part des transports collectifs en Île-de-France. C'est une priorité stratégique, et collective, que de gagner ces parts de marché. C'est d'ailleurs à cette lumière qu'on peut lire l'ouverture à la concurrence, sur laquelle je n'ai pas de religion arrêtée – j'ai demandé qu'un observatoire soit créé pour analyser ses effets sur les prix ou la qualité du service – : plus les intervenants sont nombreux, plus le marché doit croître. Progresser est donc une impérieuse nécessité, pour l'entreprise, la région et le pays.

On me demande souvent quels seront mes objectifs. Plutôt que de me glorifier à en égrener de nouveaux, j'aimerais atteindre ceux qui ont déjà été fixés. Ainsi, le plan Bus 2025 me semble très intéressant : il s'agit de faire en sorte qu'en 2027, le réseau RATP ne compte plus de bus diesel, que 50 % des bus soient électriques et que les 50 % restants roulent au biométhane. Vous mesurez tous à quel point les effets de ce plan, en termes d'émissions de gaz à effet de serre, sont considérables – à la mesure des investissements devant être réalisés par Île-de-France Mobilités. En dépit de nombreuses difficultés, nous avons déjà atteint 57 % de notre objectif. Il reste cependant du chemin à parcourir, et chacun sait que les derniers kilomètres sont généralement les plus compliqués.

J'en viens à la méthode que je compte utiliser dans mes futures fonctions. Je vais faire ce que je sais faire, sans essayer de me changer : mes grands principes resteront donc l'écoute, la concertation et la proximité avant de prendre une décision. La RATP doit travailler en parfaite harmonie avec Île-de-France Mobilités. Il est normal qu'il y ait des désaccords ou des débats entre une autorité organisatrice et un opérateur, mais la RATP est l'opérateur historique des transports parisiens, et les usagers ne peuvent faire les frais d'aucune sorte de guéguerre. Avec Mme Pécresse, nous serons évidemment d'accord sur l'essentiel, et nous devrons trouver les moyens d'atteindre les objectifs stratégiques que j'ai sommairement rappelés.

Un autre grand opérateur des transports en Île-de-France est la SNCF. Il y aurait beaucoup de choses à dire concernant le RER B, dont je connais toutes les saveurs puisque j'en ai très longtemps été un usager. La partie nord de la ligne est exploitée par la SNCF, tandis que la partie sud relève de la RATP ; les jours de grève, l'interconnexion est interrompue à la gare du Nord, ce qui n'a pas été sans conséquence lors des incidents survenus au Stade de France. Nous devons éviter que les usagers pâtissent de cette organisation historique et que les enjeux de pouvoir cèdent le pas aux soucis d'efficacité et de service public.

La RATP est marquée par une tradition de dialogue social. Le fait que les organisations syndicales y soient fortes ne m'apparaît pas comme une contrainte, car j'ai toujours considéré que le dialogue avec les corps intermédiaires était absolument indispensable. Nous devons nous donner les moyens de maintenir un dialogue social de qualité, ce qui n'est pas simple. La grève de demain s'annonce très suivie, si j'en crois les dirigeants actuels de la RATP. Toutefois, les taux de conflictualité ne sont pas aussi élevés qu'ils ne l'étaient il y a quelques décennies. Surtout, les accords d'entreprise conclus dans de multiples domaines sont vivaces – une bonne dizaine d'accords ont d'ailleurs déjà été conclus depuis le début de l'année 2022. Il faut continuer dans cette voie.

Au terme d'un premier diagnostic, j'essaierai aussi d'approfondir le lien avec les usagers de la RATP, qui sont moins organisés que les syndicats de salariés.

Mme Catherine Guillouard a déjà conduit une réorganisation interne très importante, notamment pour faire face aux défis de l'ouverture à la concurrence. Pour ma part, je suis un grand partisan de la déconcentration des responsabilités. Vous avez devant vous un candidat, qui n'a pas une connaissance intime du groupe qu'il ambitionne de diriger et ne peut donc pas vous présenter des certitudes – il n'est d'ailleurs jamais bon d'en avoir. Cependant, dans une structure de plus de 70 000 salariés, il faut à tout prix que la chaîne hiérarchique soit pleinement investie. À tous les étages, le management doit être valorisé.

Ma priorité, ce sera le cœur de métier de la RATP, qui touche à la vie quotidienne de ses usagers. Je vous ai déjà parlé de la ponctualité, et j'ai longuement développé au Sénat ma façon de voir les choses en matière de sécurité, de propreté, d'information des usagers et de convivialité. J'ai demandé combien de personnes faisaient de l'humain, au sein de la RATP, au-delà des nécessaires contrôles et à côté des machines déployées dans les stations. L'un de mes objectifs est de redéployer les gains de productivité permis par la mutation billettique et numérique, qu'il faut d'ailleurs accélérer, vers la relation humaine avec l'usager. Plusieurs milliers d'agents de la RATP sont déjà présents sur le terrain, dans les gares et les stations : nous devrons réexaminer leur répartition et voir si nous pouvons faire mieux ou davantage.

Je pense avoir une certaine expérience à faire valoir pour relever tous ces défis, qui nécessitent une vision transversale. Avoir fait de la politique ne me paraît pas un handicap – en tout cas, je n'en ai pas honte. Diriger le groupe RATP sera pour moi une autre façon de m'occuper des autres et de servir l'intérêt général. Je suis de ceux qui ont toujours cru que le service public doit rester ce qu'il est, sans craindre la concurrence ni la recherche de l'efficience et de la compétitivité, qui ne sont pas des gros mots tant que ces objectifs ne contreviennent pas à ses missions ou à ses valeurs fondamentales.

Il est vrai que je suis très enthousiaste, mais rassurez-vous, je suis lucide. Je vois bien la somme des difficultés auxquelles je serai confronté – si par hasard il m'arrivait de les oublier, on me les rappellerait tous les jours ! Mais c'est justement parce que la tâche est difficile qu'il faut l'accomplir. En tant qu'ancien Premier ministre, j'aurais pu choisir de rester à la tête de l'Afit France, où je serais moins exposé et où je prendrais moins de coups. Mon devoir est cependant d'aller là où se concentrent les enjeux pour nos concitoyens.

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