Je voudrais tout d'abord vous remercier de votre invitation. L'exercice, un peu inhabituel pour nous, n'est pas totalement inédit puisqu'il s'est déjà produit devant le groupe de travail à l'initiative du Président François de Rugy.
Je me prête à cet exercice avec beaucoup de plaisir et d'enthousiasme car nous avons la certitude que toute politique de développement durable est appelée à rester lettre morte sans réflexion et volonté politique. L'engagement du Collège des Questeurs sur la stratégie énergétique, la stratégie de sobriété et les travaux du groupe de travail constituent un signal très positif. La volonté politique n'est pas suffisante mais, sans elle, il serait compliqué de parvenir à agir.
Dans ce format d'audition, il est fréquent de faire l'inventaire des réussites et d'exposer un bilan extrêmement flatteur. Je pourrais vous dresser la longue liste des actions ayant permis de réduire de 30 % les consommations énergétiques mais je préfère commencer par vous raconter un échec cuisant. En 2021, nous avons tenté d'appliquer de manière stricte les consignes de températures conformes à la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan). Nous avons reçu près de 200 plaintes de la part des occupants de nos différents bâtiments (députés, collaborateurs et personnels) en l'espace de 15 jours. Après ces plaintes et le déploiement de plus de 200 convecteurs — ce qui représente la consommation électrique du bâtiment du 233 boulevard Saint-Germain —, nous avons dû renoncer à toute mesure de régulation au bout de quelques semaines.
L'enseignement à tirer de cet échec n'est certainement pas que nous aurions tort dans l'objectif d'économiser l'énergie, et encore moins dans celui d'appliquer la loi. En revanche, une erreur de méthode a incontestablement été commise.
Je voudrais insister sur ce point en vous exposant l'esprit dans lequel travaille ma direction en faveur du développement durable, autour de trois objectifs, une contrainte et trois outils.
Le premier objectif est d'assurer la continuité du fonctionnement de l'institution. Cette mission se heurte parfois aux mesures de développement durable. Nous devons absolument tenir compte de la spécificité de notre site et de ses modes de fonctionnement. Si, dans une tour de la Défense, il est assez facile de couper la plupart des installations en dehors des heures ouvrables, comment en faire autant à l'Assemblée, qui siège la nuit ? Comment agir dans la zone Colbert, où sont situées la plupart des commissions qui légifèrent, ou dans les bureaux de la séance, où des occupants travaillent en permanence sur les textes (en cours ou à venir), en horaires décalés ou le week-end ? Comment agir dans un immeuble comme le 101 rue de l'Université où les occupants travaillent dans la journée, parfois le soir, et, pour certains, dorment ? La sobriété énergétique est un bel objectif mais couper totalement le chauffage la nuit deviendrait assez rapidement insupportable. L'expérience de 2021 a probablement tourné court parce que ces contraintes n'avaient pas été suffisamment anticipées et que nous n'avions pas fait la différence entre un bureau exposé au nord et un bureau exposé au sud. C'est la raison pour laquelle le plan de sobriété énergétique se fonde sur une gestion fine des installations, un souci de pédagogie et une volonté de convaincre.
Le deuxième objectif est celui de l'efficacité. Nous pourrions considérer que toute mesure concourant au développement durable est bonne à prendre. Or la réalité est beaucoup plus complexe. Il est impossible d'agir sur tous les leviers en même temps pour des raisons de ressources. Je pense par exemple qu'il serait compliqué de gérer simultanément l'amélioration de l'isolation extérieure de tous nos bâtiments. En outre, certaines pistes sont exclusives. Par exemple, deux pistes s'offrent à nous concernant les toits des bâtiments : favoriser la végétalisation ou installer des panneaux photovoltaïques. Nous ne pouvons pas continuer à nous précipiter sur la première piste proposée sans une réflexion de long terme et un choix éclairé.
Le troisième objectif est celui de l'exemplarité. Même si nous recherchons avant tout les mesures les plus efficientes, l'Assemblée nationale ne peut pas — sans pour autant se livrer à la surenchère de mesures d'affichage — rester à l'écart de mesures visibles. Par exemple, l'économie attendue de l'extinction de la colonnade est marginale dans la facture de l'Assemblée. Pour autant, nous comprenons évidemment la réaction du grand public lorsqu'il voit l'Assemblée éclairée la nuit. L'extinction de la colonnade est importante en termes de symbole.
Ces trois objectifs rencontrent une contrainte principale. En tant que directeur des affaires immobilières et du patrimoine, je me dois de rappeler les contraintes qui pèsent sur notre quotidien. Nos immeubles ne sont pas neufs et n'intègrent pas, dès leur conception, des objectifs de développement durable. Nous devons travailler et agir sur les bâtiments existants, généralement anciens, voire historiques pour certains, et soumis aux exigences d'un plan de sauvegarde et de mise en valeur de l'arrondissement particulièrement contraignant. Ce plan aurait d'ailleurs empêché toute végétalisation de la cour d'honneur car nous devons respecter un pourcentage de surface minérale. À titre personnel, j'ai tendance à penser qu'au moment où nous réfléchissons à la création d'îlots de fraicheur, d'espaces verts et d'amélioration du bilan carbone, des règlementations comme celle-ci confinent un peu à l'absurde même si, au-delà de l'immobilier, ma direction s'occupe du patrimoine.
J'ajoute que nos bâtiments sont occupés et que même la période d'interlégislature, qui se traduit par une moindre fréquentation, ne permet pas de procéder facilement à des rénovations lourdes. C'est l'une des raisons nous ayant empêchés, jusqu'à présent, de traiter les deux passoires thermiques que sont le 233 boulevard Saint-Germain et la zone Colbert au sein du Palais Bourbon. Rénover une zone comme la zone Colbert est envisagée, mais constitue un projet très lourd.
Réconcilier ces objectifs et cette contrainte nécessite de mobiliser trois outils.
Le premier outil est la hiérarchisation des objectifs et, notamment, leur hiérarchisation dans le temps. Nous avons désormais les principes d'une stratégie énergétique et nous devrons en décliner les modalités au fil des mois et des années. Nous avons une stratégie de sobriété énergétique, qu'il faudra adapter chaque année et aux périodes de forte chaleur. D'ici la fin de l'année, nous aurons également une programmation immobilière pluriannuelle 2023-2027, qui comprend un effort inédit en matière de développement durable et d'économie d'énergie. La part de nos dépenses d'investissement directement consacrée au développement durable dépasse maintenant 5 % et s'accroit.
Le deuxième outil est l'audit énergétique. La trentaine de pistes structurelles d'économie d'énergie qui a été identifiée doit être soigneusement analysée.
Le troisième outil est l'approche intégrée du développement durable. Depuis des années, les marchés publics comportent systématiquement des clauses en la matière. Elles ne sont pas inutiles puisqu'elles garantissent un niveau minimal d'exigence pour les entreprises qui travaillent à l'Assemblée. En revanche, jusqu'à une période récente, je n'ai jamais vu un marché attribué à une entreprise parce qu'elle serait meilleure sur le plan environnemental. Cette question représentait environ 5 % de la notation. Pour peu que l'entreprise respecte le niveau d'exigence minimal, elle obtenait les points et il nous était impossible d'établir une hiérarchie entre les offres pour favoriser celle qui ferait mieux. Nous avons récemment changé d'approche. En effet, nous intégrons désormais la dimension environnementale dans la notation de la qualité technique de l'offre. Dans le cas d'un marché immobilier qui sera bientôt soumis à l'approbation du Collège des Questeurs, nous avons favorisé l'entreprise qui présentait du mobilier fabriqué avec des essences de bois ne venant pas d'Amazonie ou de pays lointain et qui privilégiait des systèmes de montage et d'assemblage dépourvu de pièces métalliques.
Cette approche intégrée nous conduit, sur les prochaines opérations immobilières importantes, à essayer de parvenir à un objectif de chantier propre (recyclage des déchets, logistique d'acheminement et sélection des matériaux utilisés). L'objectif de chantier propre risque de renchérir un peu le coût de certaines opérations, mais pas forcément dans des proportions considérables. En tout cas, il doit s'agir d'un critère d'appréciation des opérations et d'un investissement à long terme.
Sur un chantier comme celui qui pourrait être mené pour la rénovation de l'accueil du public, le Collège des Questeurs nous a autorisés à faire travailler un programmiste qui, dès le début, s'appuie sur un ingénieur spécialiste en environnement. Cette réflexion est présente dès la conception.
Cette approche intégrée du développement durable et, en particulier, de la question énergétique s'incarne depuis quelques semaines dans la création d'une cellule chargée du pilotage de la stratégie énergétique au sein de ma direction. Le Collège des Questeurs nous a soutenus dans cette démarche, avec l'idée que quelqu'un doit avoir une vision globale, donner une impulsion et assurer le suivi du plan de sobriété énergétique. La première mesure de suivi du plan est l'élaboration, chaque jour, d'un relevé des températures dans un certain nombre de lieux stratégiques (hémicycle, salles de commission, restaurants, libres-services et certains bureaux). Nous constatons en ce moment, lors des relevés de température dans les bureaux, des différences de 4 degrés Celsius entre le nord et le sud. Nous comprenons ainsi pourquoi, avec des températures de consigne à 19 degrés Celsius l'an dernier, certains occupants des bâtiments ont craqué. En effet, à 15 degrés, il devient très compliqué de travailler.
J'ai compris que le groupe de travail s'inscrivait dans une démarche longue. Nous répondrons à toutes les questions que vous pouvez vous poser mais également à toutes les demandes d'information ou de documentation que vous pourriez formuler.
Concernant la réduction de l'empreinte carbone, qui excède le champ de ma seule direction, nous attendons avec beaucoup d'intérêt les conclusions du bilan carbone demandé par le Collège des Questeurs.
S'agissant de la gestion durable des ressources, et notamment de l'eau, je ne vous dresserai pas la liste de toutes les actions menées. Par exemple, nous avons équipé la quasi-totalité de nos robinets de limiteurs de débit et de mousseurs, ce qui réduit la consommation d'eau. Ces installations sont inutiles si elles ne sont pas entretenues. Nous pouvons nous doter de matériel performant et, pour autant, perdre très rapidement en efficacité sans entretien, maintenance et régulation. Agir en faveur du développement durable ne signifie pas seulement signer un chèque mais également y consacrer du temps et des efforts. Nous demandons aux utilisateurs d'être vigilants dans les gestes de tous les jours. En outre, nous attendons que ces équipes et nos prestataires soient soumis à la même exigence dans leur travail quotidien et l'entretien des installations. Un appareil non maintenu perd partiellement, voire totalement, en efficacité au bout de très peu de temps.
Dans le plan de formation de ma direction, j'attache une importance particulière à ce que les équipes soient formées aux écogestes et aux enjeux du développement durable.
Concernant la gestion de l'eau, notre projet le plus prometteur est le raccordement à l'eau de la Seine pour l'arrosage des jardins.
La réduction des déchets et le recyclage constituent l'un des premiers sujets ayant fait l'objet d'une démarche systématique de la part de l'Assemblée. Nous disposons des mêmes outils de tri que les particuliers mais aussi de dispositifs de tri spécifique (piles, appareils électriques, mégots et masques). En outre, nous sommes assez fiers de notre action concernant les biodéchets, menée avec la direction de la logistique. Notre prestataire collecte les biodéchets et les transforme en carburant — ce qui lui permet de faire fonctionner sa flotte de véhicules — et en engrais verts — que nous récupérons pour nos jardins, où nous cultivons notamment les aromates et les agrumes utilisés dans les cuisines de la Présidence.
Nous comptons un certain nombre de réalisations à notre actif sur le thème de la biodiversité, telles que les ruches, la maison des insectes et la recherche permanente d'implantation de nouvelles essences. Nous avons surtout des projets, parfois modestes, comme la création d'une safranière sur le toit du 101 rue de l'Université. Nous espérons surtout, avant la fin de l'année, confier à un professionnel une réflexion globale sur les jardins et sur la végétalisation de nos différents espaces. Cette question dépasse très largement les compétences de mes équipes et nécessite la réflexion d'un professionnel ainsi que des choix politiques.
Concernant l'adaptation au changement climatique, nous rejoignons évidemment largement la stratégie énergétique. Au-delà de mesures ponctuelles comme la réalisation d'une carte des pièces rafraichies accessibles en période de canicule, nous travaillons sur la conception même de nos bâtiments. Plutôt que de multiplier les installations de climatisation, nous avons désormais pris le parti de faire face au réchauffement climatique en privilégiant l'isolation thermique et, dans ces espaces mieux isolés, le rafraichissement de l'air. Nous ne cherchons plus à maintenir une température constante mais à rendre les variations de température supportable pour les occupants. Au choc thermique nous préférons la transition douce. Nous essayons de tenir cet objectif de transition douce mais volontariste pour l'ensemble du développement durable.