L'avis budgétaire que je vous présente cet après-midi porte sur le programme 134 Développement des entreprises et régulation.
La programmation budgétaire pour 2023 propose de porter le montant des crédits de paiement à 2,279 milliards d'euros, soit une augmentation des ressources de 26,95 %.
Le principal déterminant de cette dynamique réside dans le renforcement des crédits d'intervention consacrés à la compensation carbone pour les industries électro-intensives, financée par l'action 23 Industrie et services. En l'occurrence, le dispositif devrait mobiliser 856 millions d'euros. La mesure répond à deux objectifs : d'une part, assurer la compensation des coûts indirects supportés au titre de l'exercice 2022 ; d'autre part, financer le versement d'une avance sur une partie des coûts indirects supportés par les entreprises en 2023. Sur le plan des effectifs, il convient de signaler le relèvement du plafond d'emploi de la direction générale des entreprises (DGE), avec l'apport de dix-neuf équivalents temps plein (ETP).
Le second déterminant de la progression des ressources du programme 134 tient à la revalorisation des dispositifs de soutien à l'export de l'action 07. En l'occurrence, il est prévu une forte hausse de la rémunération de BPIfrance assurance export, au titre des prestations réalisées pour le compte de l'État. On notera aussi le relèvement de la subvention pour charge de service public versée à Business France dans le cadre de la réforme des dispositifs de soutien à l'exportation.
Le niveau des ressources allouées au programme 134 reflète par ailleurs le rythme de croisière atteint par le financement de certaines prestations de La Poste. L'action 04 enregistre le maintien de la dotation budgétaire créée en 2022 au titre de la compensation des charges du service postal universel. L'enveloppe demeure fixée à 520 millions d'euros, conformément aux spécifications de l'avenant au contrat d'entreprises signé entre l'État et La Poste le 16 janvier 2022. La même stabilité prévaut en ce qui concerne les crédits relatifs à la mission d'aménagement du territoire assumée par La Poste. En revanche, la mission de transport et de distribution de la presse fait l'objet d'un abondement notable par rapport à 2022.
En dernier lieu, la programmation pour 2023 assure la préservation de la capacité d'action des organismes de régulation par la consolidation de leurs ressources. Pour ce qui concerne l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et l'Autorité de la concurrence, elle propose en effet une augmentation modérée des crédits de fonctionnement, ainsi qu'un maintien des plafonds d'emplois. S'agissant de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), le PLF pour 2023 accorde des effectifs supplémentaires de l'ordre de quatre-vingt-quatre ETP, dont trente-quatre recrutés à titre temporaire, afin de mener les contrôles nécessaires à l'occasion de l'organisation et du déroulement des Jeux olympiques et paralympiques organisés à Paris en 2024.
De mon point de vue, il s'agit là d'autant de mesures utiles face à une hausse des prix qui bouleverse les repères et pèse sur les ressources des entreprises et des particuliers. J'émettrai donc un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 134.
Pour la partie thématique de mes travaux, j'ai choisi d'examiner l'efficacité du soutien public aux industries électro-intensives. Comme vous le savez, de manière courante, on distingue les électro-intensifs (EI) des hyper électro-intensifs (HEI). Ces deux catégories regroupent au total plus de 500 entreprises et emploient plus de 90 000 personnes. Elles ont ceci en commun de jouer un rôle fondamental dans les chaînes de valeur et d'être fortement exposées à la concurrence internationale. Je pense à des secteurs comme ceux du ciment, des plâtres et de la chaux, des métaux non ferreux, de la sidérurgie, de la chimie, des engrais, du papier carton, de l'aluminium.
Compte tenu de leur positionnement stratégique, elles bénéficient depuis plusieurs décennies d'un soutien de la puissance publique. Je crois cependant que nous ne pouvons plus nous en tenir à des dispositifs conçus pour des temps ordinaires. Au terme de mes travaux, je tiens en effet à formuler deux constats.
Le premier constat porte sur l'efficacité désormais très relative des instruments financiers employés face aux dérèglements d'une conjoncture exceptionnelle. Le soutien public aux EI et HEI fait appel, tout d'abord, à des mesures fiscales destinées à atténuer les charges inhérentes à une consommation importante d'électricité. Je fais référence, en premier lieu, à l'application de taux réduits d'accise sur l'électricité dans le cadre de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) et, en second lieu, à l'abattement sur le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE). D'autre part, le soutien public repose sur la mise en œuvre du dispositif de la compensation carbone. Plus de 300 sites en bénéficient chaque année depuis 2015.
À ces dispositifs qui forment ce que l'on appelle communément la « boîte à outils », s'ajoute depuis juillet 2022 une aide d'urgence destinée à compenser la hausse des coûts d'approvisionnement en électricité, dans le contexte créé par l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Sous réserve de critères relatifs aux achats d'électricité et aux pertes engendrées par la hausse des cours de l'énergie, les entreprises peuvent prétendre à la couverture de 30 à 70 % de certains coûts éligibles. Les montants font l'objet de plafonds s'échelonnant de 2 à 50 millions d'euros.
Mon propos n'est pas de minorer l'intérêt de l'ensemble de ces dispositifs. Suivant un constat partagé, ils auront permis aux entreprises françaises de conserver des prix en rapport avec ceux pratiqués par la concurrence. L'ensemble des filières d'électro-intensifs réclament d'ailleurs le maintien de la boîte à outils. Elles plaident aussi pour un renouvellement rapide du dispositif de compensation carbone.
Les éléments que j'ai pu recueillir ne me portent pas à livrer un autre diagnostic. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, sur ces dispositifs, deux de mes recommandations appellent à des éclaircissements et à des simplifications.
Il en va ainsi de l'aide d'urgence mise en place pour remédier aux répercussions de l'invasion de l'Ukraine. À l'évidence, avec 50 millions d'euros accordés à la mi-septembre 2022, le dispositif peine à trouver son public, malgré les moyens dégagés pour l'accompagnement des demandeurs. C'est pourquoi j'appelle le Gouvernement à poursuivre ses efforts de simplification, en concertation avec la Commission européenne.
Dans un même souci d'efficacité, il conviendra de travailler à l'actualisation rapide de la compensation carbone, dans le cadre fixé par les nouvelles lignes directrices de la Commission européenne pour la période 2022-2030. Leur mise en œuvre a suscité des appréciations divergentes sur des critères essentiels pour le calcul de l'aide versée. L'accord trouvé entre Paris et Bruxelles doit entrer en vigueur mais cela ne nous exonère pas d'une évaluation afin de prévenir toute distorsion de concurrence avec nos partenaires.
En vérité, la protection offerte aux EI et HEI français trouve ses limites face à l'envolée des cours de l'électricité. La conjoncture présente résulte de deux facteurs : d'une part, les répercussions de la forte hausse du prix du gaz sur le marché de l'électricité ; d'autre part, l'indisponibilité d'une partie substantielle du parc nucléaire français. Il en résulte que le prix de l'électricité menace d'atteindre un niveau prohibitif à partir de 2023. D'ores et déjà, des EI et HEI voient la part de l'énergie consommée dans leur chiffre d'affaires atteindre un niveau exorbitant et de nature à grever la marge opérationnelle dans certains secteurs industriels. Suivant la DGE, la part de l'énergie pourrait désormais atteindre 8 à 10 % du chiffre d'affaires. De surcroît, la compétitivité se dégrade et mon rapport fait état de productions en recul, voire d'arrêts d'usine.
De fait, les instruments de la boîte à outils n'exercent plus d'effet modérateur significatif. Pour les EI et les HEI, ce qui pèse désormais, c'est le coût de l'électron et le cours du carbone. D'où mon second constat, sur la nécessité d'un appui au renouvellement des conditions d'approvisionnement et de consommation des industries électro-intensives.
En premier lieu, il importe de concevoir des mécanismes de nature à favoriser une certaine régulation sur le marché de l'électricité. Nous mesurons tous les inconvénients que pouvait comporter l'alignement de l'évolution des prix de l'électricité sur celui du gaz. Les mécanismes de formation des prix ne permettent pas de faire bénéficier les consommateurs des coûts moyens les plus avantageux par rapport au prix du gaz. Ils ne contribuent pas à donner les signaux nécessaires à des investissements de long terme. Je réitère donc la proposition d'une réforme de l'organisation du marché de l'électricité, qui aboutirait à limiter la corrélation des prix avec le cours du gaz. Dans cette optique, je recommande d'évaluer la mesure adoptée par l'Espagne et le Portugal. Le dispositif vise à abaisser les coûts des intrants utilisés dans les centrales électriques alimentées par des combustibles fossiles afin de réduire leur coût de production et, en dernier ressort, le cours de l'électricité sur le marché de gros ibérique.
Il faut également veiller à la sécurité et à la constance de l'approvisionnement en énergie de nos EI et HEI. D'ici à ce que les énergies renouvelables (EnR) atteignent un stade de développement suffisant, cette exigence pose la question des conditions d'exploitation de l'énergie du parc nucléaire.
Vous le savez, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) devrait cesser d'exister à compter du 31 décembre 2025. Or il permet aux électro-intensifs de bénéficier d'un prix de l'électricité qui se rapproche du coût moyen de l'électricité en France. Malgré des aléas inhérents aux procédures d'écrêtement mises en œuvre en cas de demande supérieure à l'offre, l'Arenh fait partie des paramètres de l'activité des électro-intensifs. De fait, l'ensemble des représentants des filières auditionnées a plaidé devant le rapporteur pour un accroissement des volumes fournis.
Cette mesure ne va pas de soi. Elle comporte de multiples implications qui touchent à l'organisation de la fourniture d'électricité et au rôle d'EDF. Toutefois, l'incertitude paraît préjudiciable pour les électro-intensifs et les pouvoirs publics devront offrir une certaine visibilité quant aux options qui pourront être retenues.
En second lieu, il nous faut favoriser le développement des contrats à long terme afin de sécuriser la fourniture d'électricité aux EI et HEI. À ce jour en effet, le consortium Exeltium demeure la seule initiative véritablement significative pour la réflexion sur le développement des contrats à long terme. Le consortium lie aujourd'hui vingt-sept actionnaires-clients à EDF en vue de la fourniture d'électricité à tarif préférentiel sur la période 2011-2034. Ainsi que le montre l'avis, Exeltium a pu pâtir de difficultés de financement, ainsi que de clauses contractuelles ne contribuant pas à une convergence des intérêts. Il suscite des appréciations plus que mitigées du point de vue des tarifs obtenus. L'expérience d'Exeltium ne saurait conduire à dénier tout intérêt à l'établissement de consortiums, pas plus qu'à la conclusion de contrats de long terme.
Si l'on dénombre aussi peu de conventions, ce n'est pas du fait des contraintes juridiques, mais du calcul d'opportunité. S'agissant de l'électricité nucléaire, l'Arenh limite l'intérêt de ce type d'instrument, tant pour les entreprises fortement consommatrices que pour EDF. Dans une certaine mesure, le développement des énergies renouvelables modifie quelque peu les termes de l'équation. Des initiatives émergent par le biais de contrats d'achats d'électricité. Or, la question se pose des garanties qui entourent l'exécution des contrats, du point de vue des contreparties que peuvent offrir les développeurs d'énergies renouvelables en termes de capacités de production. Il existe aussi parfois des interrogations sur la solidité financière de certaines entreprises fortement consommatrices d'électricité. Cette incertitude peut contrarier l'investissement d'EDF, mais également des fournisseurs alternatifs et des développeurs d'ENR
Il nous faut remédier à cette difficulté en sécurisant les dispositifs au plan juridique, mais aussi au plan financier. Je propose donc d'examiner la possibilité pour l'État d'apporter une garantie publique destinée à garantir des défaillances structurelles des entreprises consommatrices à des contrats de long terme en matière d'achat d'électricité.
En dernier lieu, il nous faut appuyer les efforts de sobriété énergétique des industries électro-intensives. Je rappelle que, d'après un scénario de référence élaboré par Réseau de transport d'électricité (RTE), la consommation électrique des EI et des HEI devrait croître de 66 % entre 2019 et 2050. Cette perspective impose deux choses. La première est d'accompagner la modernisation des outils de production, afin de favoriser la décarbonation. L'avenir est à l'électrification de la production et cet investissement a un coût. Je recommande donc de soutenir les investissements contribuant à la décarbonation et à la modernisation des outils de production des industries électro-intensives. La seconde est de mieux rémunérer la participation aux procédures destinées à assurer la pérennité du réseau électrique.
J'émets un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 134.