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Intervention de Aurélien Lopez-Liguori

Réunion du mercredi 12 octobre 2022 à 15h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélien Lopez-Liguori, rapporteur pour avis :

Chers collègues, je me réjouis de vous présenter le résultat des travaux que j'ai conduits en tant que rapporteur pour avis sur les crédits relatifs aux communications électroniques et à l'économie numérique. Nous parlons ici des programmes 134 Développement des entreprises et régulations et 343 Plan France très haut débit (PFTHD). Dans le cadre de cet avis, j'ai procédé à une quinzaine d'auditions, qui m'ont permis d'entendre les principaux acteurs du secteur.

Je me suis assigné deux objectifs : dresser un état des lieux des déploiements fixe et mobile et aborder la question complexe, mais essentielle, de la souveraineté numérique. Cette dernière question est en effet centrale pour notre avenir. Nous devons nous doter des moyens d'être les plus autonomes possible dans le domaine du numérique. Actuellement, force est de constater que le Gouvernement et l'Union européenne en font trop peu sur cette question, pour ne pas dire qu'ils prennent des mesures contre-productives.

S'agissant, en premier lieu, de l'évolution des crédits relatifs aux communications électroniques, la tendance est globalement à la hausse, en particulier pour le programme 134 et les budgets de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) et de l'ANFR (Agence nationale des fréquences). À titre d'exemple, le budget de l'Arcep pour 2023 est en hausse de 1,5 % en autorisations d'engagement (AE) et de 1,4 % en crédits de paiement (CP) par rapport à l'année précédente. Je tiens à souligner que l'Arcep et l'ANFR nous ont fait part de leur satisfaction quant aux crédits qui leur sont alloués. S'agissant du plan France très haut débit, les crédits sont en baisse par rapport à l'année dernière, mais excèdent les chiffres de la loi de finances initiale pour 2021.

Cela étant, je voudrais attirer votre attention sur l'insuffisance du financement des raccordements complexes, lesquels nécessitent le traitement de 2,1 millions de prises, plus difficiles et coûteuses à réaliser, dans le cadre des réseaux d'initiative publique (RIP). Ces raccordements sont une condition d'équité territoriale et de respect de l'engagement du « 100 % Fibre » pris par le Gouvernement. J'ai déposé un amendement qui se situe dans la droite ligne des propositions faites par notre collègue Éric Bothorel l'année dernière et qui vise à faire passer l'enveloppe prévue de 150 à 200 millions d'euros.

Je voudrais à présent dresser un rapide état des lieux des déploiements du réseau fixe et du réseau mobile dans notre pays. Concernant le PFTHD, d'abord, on observe un ralentissement des déploiements après deux années records, en 2020 et en 2021. Ces ralentissements sont particulièrement notables en zone très dense. Il faut à ce sujet faire preuve de fermeté. L'Arcep nous a confirmé qu'elle suivait le dossier de près, en particulier concernant un opérateur qui rencontre des difficultés. Je recommande que soit lancée une réflexion sur les moyens financiers ou légaux permettant de contraindre les opérateurs à reprendre les déploiements.

Au sein de la zone d'initiative publique, la dynamique est relativement bonne, même s'il reste du chemin à parcourir. On constate cependant des situations contrastées d'un territoire à l'autre. Le déploiement est plutôt en avance dans l'Oise, la Loire ou le Val-d'Oise, par exemple, tandis que les échéances sont plus lointaines dans des départements comme la Marne et la Sarthe.

Concernant le mobile, la généralisation de la 4G est effective sur le territoire, mais certains retards persistent. Je souhaite, à cet égard, que l'Arcep continue d'être vigilante, d'autant que les opérateurs ne peuvent plus se cacher derrière la crise de la covid-19 pour justifier les retards.

Enfin, s'agissant de la 5G, je souhaiterais revenir, sous un angle plus politique, sur les enjeux de sécurité de nos infrastructures. La loi du 1er août 2019, dite loi « anti-Huawei », a permis des avancées incontestables en empêchant le déploiement des antennes 5G Huawei dans les sites et les zones sensibles, comme les bases militaires ou les lieux de pouvoir. Toutefois, ce texte n'est pas à la hauteur du moment politique. Comme aux États-Unis, nous devons étendre l'interdiction à l'ensemble du territoire national – et pourquoi pas européen ? Cette interdiction doit également frapper d'autres équipementiers extra-européens, comme Cisco, par exemple. Comment expliquer aux Français qu'on utilise des antennes 5G d'entreprises extra-européennes capables de collecter leurs données, alors même que l'État nourrit des soupçons d'espionnage à leur endroit ? Le risque de backdoor existe : les Français doivent le savoir.

J'ai souhaité aborder, dans le cadre de mon avis, plusieurs sujets d'importance sur le thème de la souveraineté numérique. Quatre points ont particulièrement retenu mon attention : la cybersécurité, la fiscalité, la commande publique et la protection des données.

Concernant la cybersécurité, on observe, tout d'abord, une convergence dans les techniques employées par les groupes cybercriminels et les attaquants travaillant au profit d'intérêts étatiques. Ces groupes sont de plus en plus furtifs, organisés et compétents. On note également des tentatives de prépositionnement de hackers au sein d'infrastructures nationales appartenant à des domaines critiques comme le transport, l'énergie, la santé, etc. Enfin, dernière tendance à l'œuvre : les tentatives croissantes de compromission de cibles de haute valeur.

La stratégie d'accélération cyber du Gouvernement est une bonne initiative, même s'il faut faire encore plus sur ce sujet. Notre écosystème cybertech mérite un soutien à la hauteur de ses besoins. Dans un contexte de menace cyber, le besoin en personnel qualifié est en constante augmentation. Nos auditions ont confirmé que notre système de formation était largement insuffisant. Il nous faut renforcer notre capacité de formation, tant à l'école que dans les entreprises, les administrations et les collectivités. Nous avons tous en tête les exemples d'hôpitaux récemment attaqués à Corbeil-Essonnes, Caen ou encore Arles, qui auraient dû être mieux protégés. Nous devons, parallèlement, inciter les entreprises et les administrations à élever leur niveau de protection face à une menace de plus en plus sophistiquée.

Il faut également que les Français acquièrent une hygiène cyber. Israël a, par exemple, créé des cours de cybersécurité distincts des cours d'informatique dès le primaire pour sensibiliser les enfants à ces enjeux. Le gouvernement israélien considère que chaque citoyen peut avoir à traiter, un jour, des données sensibles.

S'agissant de la fiscalité du numérique, je souhaite faire passer un message simple : il n'est pas acceptable que cette dernière soit une charge si lourde pour les acteurs français et européens, alors que les géants du numérique sont largement avantagés par leurs combines fiscales. La création de la taxe sur les services numériques, dite « taxe Gafam », a démontré qu'il est possible d'agir à l'échelle nationale sur de tels sujets. La France n'a pas attendu une réponse européenne et mondiale – qui arrivera… peut-être – pour créer sa propre règle. Il faut continuer en ce sens et ne pas se limiter. Il faut réfléchir à d'autres sujets sur lesquels on peut créer des règles dans l'attente d'éventuelles normes européennes ou internationales. Tout est question de volonté politique : quand on veut, on peut, et quand on peut, on fait !

Je propose de poursuivre les réflexions engagées sur l'imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (Ifer) mobile et la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (Toce), sujets qui ont été abordés à plusieurs reprises lors de la législature précédente. Ces taxes représentent une charge pour les opérateurs français, d'autant plus qu'ils sont en pleine phase d'investissement.

Nous pourrions aller plus loin et creuser l'idée d'une taxe sur les grandes entreprises qui monopolisent la bande passante. Mettons tout en œuvre pour que les Gafam et les entreprises comme Netflix, pour qui notre pays est un juteux marché, participent proportionnellement à leur utilisation du réseau fourni et payé par les opérateurs français.

J'en viens à deux questions fortement corrélées : la commande publique et la protection des données.

La commande publique est fondamentale pour soutenir nos acteurs. Pourtant, en la matière, nous sommes contraints par l'Union européenne. Deux puissances, les États-Unis et la Chine, ont des champions du numérique, ; elles ont en commun d'avoir utilisé l'outil de la commande publique pour faire émerger leurs champions, qui se sont imposés au reste du monde.

L'Europe en a été incapable, trop occupée qu'elle est à assurer une pseudo-concurrence libre et parfaite, qui n'existera jamais. Nous en voyons le résultat : nos acteurs sont excellents et compétitifs, mais nous n'avons aucun géant ; pas un seul Google européen, pas un seul AliBaba français ! Pire : si un acteur émerge, il est immédiatement racheté par des acteurs extra-européens : hier PriceMinister, aujourd'hui Excelya, demain à qui le tour ? Les règles européennes de la concurrence nous empêchent d'orienter la commande publique et les aides d'État vers nos propres entreprises.

Par ailleurs, la distribution de fonds dans le cadre des projets importants d'intérêt européen commun (Piiec) n'est pas assez efficace. La plupart des opérateurs que nous avons auditionnés estiment que la Commission européenne prend trop de temps pour instruire les dossiers, alors même qu'une réactivité accrue est nécessaire. Le résultat est regrettable. Les entreprises innovantes en pâtissent et ne peuvent se développer aussi vite qu'elles le souhaitent. Cela n'est pas acceptable, ce n'est pas ainsi que nous ferons fructifier l'écosystème français et européen ni que nous imposerons nos règles en la matière.

S'agissant de la protection des données, nous avons auditionné plusieurs acteurs français des plateformes de données de santé, notamment le Health Data Hub. Nous avons constaté à quel point la question de la souveraineté numérique est secondaire aujourd'hui en France, nonobstant les annonces. Le choix de Microsoft pour un cloud de données de santé est choquant, d'autant que l'écosystème de la French Tech dispose de mille et une idées et pépites, susceptibles de concurrencer le géant du numérique.

Le Gouvernement doit prendre conscience du tournant qu'il doit opérer s'il veut protéger la souveraineté numérique française. Il doit promouvoir une obligation de localisation des données sur le sol européen. Cette promesse, jadis formulée par Thierry Breton, s'est volatilisée dans les projets de règlement européen Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA), à notre grand regret.

J'en viens aux délestages, dont les effets sur les infrastructures préoccupent les opérateurs. En dépit des travaux entamés en juin dernier, rien n'est clair et rien n'est prêt. Tous les opérateurs ont exprimé leur désarroi à ce sujet.

Notre seule crainte est que l'impréparation du Gouvernement nous amène à une situation dramatique, par exemple en cas de coupure des communications d'urgence dans le cadre d'opérations de délestage. À l'heure actuelle, le retrait des antennes 5G des zones de délestage n'est pas prévu. J'appelle à faire preuve de clarté à ce sujet : nous attendons un plan permettant d'éviter que les antennes mobiles soient concernées par les plans de délestage.

Il y a trois jours, M. Jean-Noël Barrot a évoqué la possibilité de couper les box internet des Français, avant de se reprendre en précisant qu'il s'agissait de les mettre en veille la nuit. Il oublie que tout le monde ne travaille pas le jour, que les urgences fonctionnent aussi la nuit et que les libertés individuelles de chacun ne peuvent être remises en cause d'un claquement de doigts. Les Français ne doivent pas payer les frais de l'imprévoyance du Gouvernement. Cette phrase pourrait résumer l'ensemble de mon propos.

Compte tenu des observations qui précèdent, nous émettons un avis favorable à l'augmentation des crédits nécessaires à l'approfondissement du déploiement fixe et mobile, ainsi qu'à une prise de conscience tardive des enjeux de souveraineté numérique. Partisans d'un dialogue constructif, nous voterons les crédits du programme Communications électroniques et économie numérique.

Le rapport n'en démontre pas moins que l'engagement du Gouvernement en la matière est insuffisant. Certaines annonces sont positives, certains crédits augmentent, mais il faut aller plus loin. Les Français attendent beaucoup plus.

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