Intervention de Virginie Duby-Muller

Réunion du mercredi 12 octobre 2022 à 15h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVirginie Duby-Muller, rapporteure pour avis (Tourisme) :

J'ai le plaisir de vous présenter les crédits consacrés au tourisme, ainsi que mes travaux sur la thématique que j'ai choisie : les enjeux de la désaisonnalisation du tourisme. J'ai auditionné dix-neuf acteurs et reçu des contributions écrites, ce qui m'a permis d'avoir un panorama complet de cet écosystème.

Je souhaite commencer par un point de conjoncture. On peut se réjouir de bonnes nouvelles pour le secteur. Après deux années moroses liées à la pandémie de covid-19, le tourisme a retrouvé des couleurs cet été : 35 millions de Français ont pu partir en vacances ; les ventes de billets de train ont progressé de 10 % par rapport à 2019 ; la recette moyenne par chambre d'hôtel a progressé de 22 % environ sur la même période.

Les acteurs du tourisme que j'ai auditionnés ont salué le soutien du Gouvernement à la filière pendant la crise. Ce soutien financier a représenté, au total, 38 milliards d'euros environ. Ces bonnes nouvelles ne doivent cependant pas occulter les difficultés auxquelles la filière touristique est confrontée.

D'abord, les entreprises du secteur sont inquiètes pour le remboursement de leurs prêts garantis par l'État (PGE), alors qu'elles doivent dans le même temps investir pour répondre aux grands enjeux du tourisme de demain, au premier rang desquels figurent la transition écologique et la numérisation.

Ensuite, au même titre que l'ensemble des entreprises et des ménages, les acteurs du tourisme sont frappés par l'inflation, particulièrement par la hausse des prix de l'énergie. Ce sujet est de première importance pour la saison d'hiver. Le Gouvernement se mobilise pour aider les entreprises, et le secteur s'engage au travers du plan de sobriété énergétique. Mais il faudra rester très attentif à la situation pour assurer que les mesures décidées soient en adéquation avec les besoins des entreprises.

Enfin, la pénurie de main-d'œuvre est importante chez les saisonniers. Chacun a pu le constater cet été : certains hébergements ont dû revoir leurs prestations à la baisse. Le Gouvernement a lancé en septembre une campagne de promotion des métiers du tourisme ; je souhaite qu'elle puisse rapidement porter ses fruits.

J'en viens à la présentation de la première partie de mon avis budgétaire, relative à l'examen des crédits proprement dits.

Nombre de rapporteurs spéciaux et de rapporteurs pour avis ont déploré, par le passé, l'éparpillement des crédits relatifs au tourisme dans les projets de budget. Ces crédits étaient pour la plupart partagés entre Bercy et le ministère des affaires étrangères.

Désormais, l'essentiel des crédits ayant trait au tourisme est rassemblé au sein du programme 134 Développement des entreprises et régulation de la mission Économie, ce qui est un point positif. Cela apporte davantage de lisibilité et va de pair avec la nomination à Bercy de Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée, entre autres, du portefeuille du tourisme. Je souhaite que ce regroupement puisse s'accompagner de la reconstitution rapide du comité interministériel du tourisme et du comité de filière du tourisme, deux instances essentielles pour assurer la coordination et l'écoute de tous les acteurs.

Le tourisme pèse 7 % de notre PIB, avec 2 millions d'emplois directs et indirects associés. La rationalisation des crédits au sein du projet de budget doit être l'occasion d'assurer que toutes les potentialités économiques du secteur sont bien exploitées. Pour aller plus loin, on pourrait souhaiter le retour d'une action intégralement consacrée au tourisme au sein du programme 134. Pour l'heure, les crédits du tourisme sont rattachés à l'action 23 Industrie et services.

Atout France, l'opérateur de l'État en matière de tourisme, recevra une subvention pour charges de service public de 28,7 millions d'euros. Ce montant est stable par rapport à l'année dernière, de même que le nombre d'emplois associés, qui s'établit à 338 équivalents temps plein. L'année 2023 sera une étape cruciale pour Atout France, avec le renouvellement de son contrat d'objectifs et de performance. En plus de cette subvention, l'opérateur est rémunéré par une partie des recettes issue des droits de visas, ainsi que par des partenariats conclus avec des tiers.

S'agissant des dépenses d'intervention, environ 8 millions d'euros en autorisations d'engagement et 10 millions en crédits de paiement sont prévus pour le tourisme dans le programme 134. Ces crédits doivent financer des mesures du plan Destination France. Annoncé en novembre 2021, ce plan est la feuille de route de l'État en matière touristique à dix ans et prévoit un budget total de 1,9 milliard. Il s'articule autour de cinq axes : conquérir et reconquérir les talents ; renforcer la résilience du secteur et la montée en qualité de l'offre ; valoriser et développer les atouts touristiques ; répondre aux enjeux de transformation du secteur ; promouvoir la destination France.

Dans le projet de budget, 6 millions d'euros sont notamment fléchés pour le soutien à l'ingénierie des territoires, dispositif particulièrement plébiscité par les acteurs locaux – par exemple dans le cadre du plan Avenir Montagnes.

Enfin, environ 5 milliards d'euros de dépenses fiscales contribuent au soutien du secteur touristique. Ces mesures consistent pour l'essentiel en des taux de TVA réduits sur certains services de logement et de restauration.

En tant que rapporteure pour avis, je prends acte de la stabilité des dépenses consacrées au tourisme dans le projet de loi de finances pour 2023, tout en notant un effort de rationalisation du pilotage de ce budget au sein de la mission Économie. Concernant le vote de ces crédits, je m'en remets à la sagesse de la commission. Ces efforts doivent à présent se traduire en actes, afin de redonner au tourisme toute la place qu'il mérite au sein de notre économie.

J'en viens à la deuxième partie, dite thématique, de mon rapport, qui porte sur les enjeux relatifs à la désaisonnalisation du tourisme. Le but de ce travail a été de comprendre en quoi il peut être intéressant d'atténuer la saisonnalité du tourisme et comment procéder.

Le tourisme est une activité saisonnière. Sans rappeler tous les facteurs qui l'expliquent, on constate évidemment que les départs en vacances, particulièrement des familles, sont très dépendants du calendrier scolaire. Or cette saisonnalité a des conséquences sur l'environnement et sur l'expérience touristique. La concentration de l'activité touristique sur certaines périodes de l'année conduit à des pics de fréquentation, qui nuisent parfois à la qualité des séjours. En outre, les milieux naturels sont dégradés par cette pression accrue.

En parallèle, l'urgence climatique et de nouvelles pratiques de la part des clients plaident pour le développement d'une fréquentation touristique mieux répartie tout au long de l'année. Les conséquences du réchauffement climatique sont particulièrement visibles dans les zones géographiques qui accueillent les touristes en haute saison. À la montagne, l'enneigement devient à la fois plus réduit et plus variable. Quant au littoral, il est frappé, entre autres, par la montée des eaux, le réchauffement des océans et l'érosion. Chacun a aussi en tête les terribles incendies de cet été. Ainsi, le réchauffement climatique a des conséquences sur l'activité touristique – et réciproquement, puisque le tourisme est aussi une activité émettrice de gaz à effet de serre, particulièrement son volet transports.

Par ailleurs, la demande évolue dans le sens d'un tourisme moins focalisé sur les saisons « classiques ». De nombreux touristes sont en quête d'un tourisme plus responsable. Cela signifie souvent la recherche de lieux moins fréquentés, avec des activités qui mettent en valeur les atouts des différents territoires, tout en partant moins loin de chez soi.

Certains publics sont davantage susceptibles d'être attirés par un tourisme hors saison. On peut aisément penser à la clientèle étrangère, à la clientèle senior, aux jeunes et aux couples sans enfant, qui sont moins dépendants du calendrier scolaire. En outre, le développement récent du télétravail ou du staycation – pratique consistant à faire du tourisme tout en restant sur son lieu de résidence – offre de nouvelles possibilités. Le tourisme d'affaires et l'événementiel sont, quant à eux, déjà désaisonnalisés et constituent un levier économique majeur. Enfin, le tourisme social et les classes de découverte peuvent aussi être développés sur le hors-saison, tout en permettant de promouvoir les vacances pour tous.

Face à ces constats, la désaisonnalisation apparaît comme un bon moyen de réguler les flux touristiques dans l'espace et dans le temps. Il existe déjà des évolutions en ce sens. Cela se voit à la montagne, dont le succès à la période estivale n'est plus à démontrer, mais les progrès se constatent aussi dans d'autres territoires. Lors des auditions, de nombreux acteurs ont témoigné de la progression du chiffre d'affaires réalisé hors saison.

Les offres et les activités s'adaptent en conséquence. L'offre de logements est un facteur déterminant lors de l'établissement d'un projet de vacances. Il existe souvent des réductions tarifaires pour les séjours hors saison. Il serait possible d'aller plus loin, en relevant par exemple le quota d'habitations légères de loisirs autorisées dans les campings, ce qui permettrait de venir toute l'année dans ces structures.

Certaines activités se prêtent davantage au tourisme hors saison. Le vélotourisme est une pratique dont il faut encourager le développement, car elle peut se pratiquer aisément à l'automne ou au printemps. De même, le thermalisme est une activité qui vit à l'année et qui permet de valoriser les territoires ruraux et de montagne. Son volet bien-être peut encore être renforcé.

De nombreuses autres activités peuvent être pratiquées à l'année : l'agrotourisme, le tourisme de savoir-faire, la découverte du patrimoine – la liste n'est pas exhaustive. Pour permettre au public de s'y retrouver, il convient d'assurer que l'offre soit lisible et facilement réservable. La filière touristique a encore des efforts à fournir en matière de numérisation, mais des initiatives émergent. Par exemple, la plateforme Alentour, développée par la Banque des territoires et lancée il y a un an, recense déjà plus de 10 000 activités réservables en ligne.

En outre, nous ne devons pas rater les occasions offertes par les grands événements sportifs. Il y a bien évidemment les Jeux olympiques et paralympiques en 2024, mais aussi, dès l'année prochaine, la coupe du monde de rugby, qui se tiendra en septembre et en octobre dans neuf villes différentes.

Parallèlement, afin de soutenir la création d'une offre touristique désaisonnalisée, les dispositifs de promotion et de communication ainsi que les soutiens publics s'adaptent.

Les différents acteurs de la promotion touristique misent désormais davantage sur une communication tournée vers le hors saison. De même, les différents labels existants peuvent orienter les choix du public vers des destinations responsables. On peut citer ici le label Flocon vert, développé par l'association Mountain Riders, qui distingue les stations de ski engagées dans une démarche durable. S'agissant du vélo, la marque Accueil vélo permet d'assurer une bonne structuration de l'offre de services à proximité des itinéraires cyclables.

Parmi les plans de soutien public en faveur du tourisme, certaines mesures vont dans le même sens, aussi bien au niveau national qu'au niveau local. Je souhaite insister ici sur les apports positifs en la matière du plan Avenir Montagnes, qui était résolument tourné vers la diversification, tout en reconnaissant les spécificités propres à chaque territoire. Il est essentiel de maintenir un tel dispositif de soutien à la transition écologique pour les massifs montagneux, notamment en matière d'ingénierie.

Enfin, pour fonctionner, le tourisme hors saison doit trouver son juste modèle économique. Il doit créer de la valeur pour les acteurs de l'offre touristique et des territoires concernés.

C'est évidemment un sujet complexe. On ne peut pas nier la réalité : il existe des territoires touristiques encore très dépendants d'une seule activité – je pense ici au ski. Dans ce cas, il faut que les revenus associés financent les investissements en faveur de la désaisonnalisation. Mais il y a aussi du potentiel dans d'autres activités. Le vélo et le thermalisme, que j'ai évoqués tout à l'heure, possèdent un effet de levier non négligeable. Le thermalisme dispose de fortes capacités d'investissement. Pour ce qui est du vélo, France vélo tourisme fait observer qu'un touriste dépense 68 euros en moyenne par jour lorsqu'il est à vélo, contre 55 euros pour un touriste classique.

De plus, une politique touristique ne peut réussir que si tous les acteurs sont réellement impliqués, qu'ils soient publics ou privés. Le tourisme est une compétence partagée entre tous les échelons de collectivités. Cela doit permettre de s'adapter aux spécificités de chaque territoire, tout en essayant d'assurer une harmonisation de l'offre dès que c'est possible, en proposant par exemple des circuits clé en main sur le hors-saison.

Tout cela ne doit pas faire oublier qu'une stratégie touristique doit se concevoir en tenant compte des problématiques propres à la vie des résidents à l'année. Les services proposés, en particulier, doivent bénéficier à tous. Une telle stratégie doit s'inscrire dans une politique globale d'attractivité des territoires.

À cet égard, de grands chantiers demeurent non résolus s'agissant de l'emploi et du logement. Marie-Noëlle Battistel et Laurence Gayte l'avaient déjà relevé dans leur rapport d'information sur le tourisme de montagne, établi dans le cadre de cette commission sous la précédente législature. Il y a encore de nombreux défis à relever en ce qui concerne le statut de saisonnier. Quant à la problématique du logement, elle est connue de tous : des prix élevés, un foncier saturé, un nombre toujours trop élevé de « lits froids » dans les stations de montagne.

En définitive, je suis convaincue que la désaisonnalisation peut véritablement contribuer à une politique touristique plus respectueuse de notre environnement et adaptée au développement de nouvelles attentes. Mais cette politique doit également s'adapter à la réalité économique et au potentiel de chaque territoire, sans oublier les problèmes structurels propres à la saisonnalité du tourisme, laquelle reste évidemment une réalité.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion