S'agissant du rapport portant sur l'intimité dans les lieux de privation de liberté en général – et non uniquement des prisons – je confirme la mise à mal de cette dernière. Nous n'avons jamais prétendu que la prison devait être un lieu de villégiature et d'ailleurs nous en sommes très loin. J'ai par conséquent été fort étonnée et fort inquiète lorsque j'ai entendu des élus, suite à l'affaire du karting à Fresnes, évoquer une « prison quatre étoiles » ou la comparer au Club Med. Je ne vois pas qui d'entre nous supporterait de vivre à trois dans une même cellule et dans de telles conditions. Quels que soient les délits commis, pour réparer une société, il ne me semble pas opportun d'entasser les gens de cette façon. La privation de liberté doit se suffire à elle-même en tant que punition. L'autre grand objectif du système pénitentiaire, comme cela a été dit de façon très pertinente, est la réinsertion, qui passe par l'apprentissage. À ce titre, le chiffre de 20 % d'illettrés en prison est préoccupant.
Nous sommes parfaitement d'accord sur l'importance de la sécurité des surveillants. Vous pourrez lire dans nos rapports que nous nous entretenons systématiquement avec tous les surveillants que nous rencontrons, gradés ou non, jusqu'à la direction. Tous nous affirment que continuer sur cette voie n'est plus possible. Comme nous l'ont expliqué eux-mêmes les détenus de Gradignan, « les surveillants sont violents, on s'en prend plein la figure, mais il faut les comprendre : on est trop, ils deviennent dingues, ils pètent les plombs, comme nous ». Je n'avais jamais entendu de tels propos dans la bouche de détenus. Ceux-ci sont souvent des hommes très jeunes, pleins de vie, et rester enfermé dans une cellule pour s'énerver ensemble s'avère contre-productif. J'ai vu par ailleurs des surveillants courir dans les coursives pour accompagner qui au parloir, qui en promenade, qui à la douche, tout en se trompant et courant de plus belle pour rattraper leurs erreurs. Le rythme est infernal et ne peut qu'entraîner heurts et violence qui, elle-même, ne concourt pas à la réinsertion.
Je crois avoir répondu à la question du coût de 110 euros par jour et par détenu. Les ratés évoqués sont tout à fait regrettables. Heureusement, on observe aussi de beaux exemples, à l'image de Berthet One, ancien braqueur qui, grâce à l'insistance d'un surveillant, est devenu auteur de bandes dessinées, a signé un contrat avec Le Journal de Mickey et crée des BD sensationnelles sur l'univers carcéral. Nous devons être capables de dépasser le stade de la simple punition pour enseigner à ces personnes et les remettre « sur les rails » de la société. Dans la mesure où de toute façon ils sortiront, c'est un très mauvais calcul que de ne pas investir massivement dans leur réinsertion.
Je suis absolument d'accord avec le fait de favoriser les placements à l'extérieur, qui s'élèvent seulement à 900 par an en France. Les lieux de placement à l'extérieur peuvent être des fermes d'Emmaüs, qui accueillent les sortants de prison ayant des reliquats de peine à effectuer et dans lesquelles ils apprennent un métier et la vie en société. S'ils partent, ils sont considérés comme évadés et retournent en prison. Le nombre si bas de placements à l'extérieur est lié au fait que ces structures de placement, mal financées par l'État, ont du mal à survivre. En effet, si les chambres ne sont pas remplies, elles ne sont pas financées. J'ai visité une ferme de l'espoir dans l'Essonne, endroit formidable accueillant des personnes condamnées à des travaux d'intérêt général (TIG) ; il manque à cette ferme 100 000 euros pour terminer l'année. Il est navrant de visiter des endroits qui fonctionnent et qui périclitent faute de moyens.
Nous nous sommes rendus à La Talaudière en raison du nombre important de courriers de signalement que nous avions reçus. Les constats n'étant pas définitifs, je ne les partagerai pas ici, mais je peux affirmer que la situation y est compliquée. Certains professeurs affirment ne plus pouvoir faire cours à cause des travaux de rénovation, particulièrement assourdissants, mais évidemment les travaux seront utiles in fine. Quoi qu'il en soit, les travaux de rénovation des prisons ne pourront être parfaitement réalisés tant que le taux d'occupation sera aussi important, car il faut être en mesure de vider les lieux.
Je ne sais que vous répondre au sujet de la suppression de l'INHESJ et de l'ONDRP. Il me paraît normal que des instituts puissent produire de l'intelligence et des statistiques. Il serait par exemple très intéressant de disposer d'études portant sur les enfants issus de l'ASE qui sont ensuite accueillis en CEF et que l'on retrouve plus tard sur le banc des comparutions immédiates. Donnons leur chance à ces enfants qui n'en ont pas eu au départ ! La lecture des constats établis sur les foyers de l'enfance est glaçante et aucun de nous n'y enverrait ses enfants. De la même manière, personne ne laisserait ses enfants être défendus dans les conditions de la comparution immédiate, pour laquelle nous prônons également une réforme. En effet, non seulement leur nombre ne cesse d'augmenter, mais elles représentent aussi des procédures extrêmement pourvoyeuses de peines d'emprisonnement, à travers lesquelles il est courant d'écoper d'une peine longue, décidée en peu de temps, sans véritable instruction du dossier.
Concernant le coût de la rétention administrative, je vous invite à consulter le rapport de la Cour des comptes, qui m'a fait sursauter, car il estime le coût journalier à 690 euros, chiffre confirmé ultérieurement par les deux conseillères à l'origine du rapport. Cela pose un problème majeur, qui doit nous conduire à revenir sur la question de l'assignation à résidence et du bracelet électronique. J'espère que vous ferez bon usage de cette information en tant que membres de la représentation nationale.
Vous avez évoqué la lenteur des évolutions à Fresnes. Je peux vous citer un exemple tout aussi choquant. Il y a vingt ans, paraissait le rapport intitulé « Prisons : une humiliation pour la République ». Depuis, les problèmes de surpopulation restent identiques. Malgré tout, on relève de timides évolutions. Mais elles restent à la marge et sont insatisfaisantes.
S'agissant de la question des suicides en prison, j'ai personnellement tenu le standard du Contrôle général et ne peux qu'attester de la détresse des détenus qui nous appellent. On n'a d'autres choix dans ce cas que d'appeler la prison au plus vite pour demander un contrôle de ce qui se passe en cellule. Malheureusement, dans certains établissements comme Gradignan, on ne compte qu'un surveillant par coursive –quand il y en a un. Quand les requêtes de soins, de changement de cellule ou autres ne sont pas entendues, au bout d'un moment on se sent complètement abandonné par l'État. Il faut reconnaître que l'on trouve en prison une proportion de personnes fragiles plus élevée qu'à l'extérieur, mais on déplore une forme d'abandon qui ne pousse pas à l'optimisme.