Intervention de Dominique Simonnot

Réunion du mercredi 26 octobre 2022 à 10h10
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

De nombreux efforts sont effectivement réalisés quant au budget et à la création de nouvelles places de prison. J'aimerais cependant que l'on m'explique ce que sont ces 15 000 places de prison promises d'une mandature présidentielle à l'autre. Dans les faits, cet objectif de 15 000 places ne sera jamais atteint. La prison de Lutterbach, ouverte il y a un peu moins d'un an, avait été annoncée en 2008 ou 2009, ce qui démontre l'importance des délais avant qu'une prison ne sorte de terre. Ce n'est donc pas vers la création de places qu'il faut se tourner si l'on cherche des solutions rapides. J'ai été quelque peu choquée de la réponse du ministre de la Justice sur nos constats à la prison de Gradignan, surpeuplée à 245 %, pour qui le problème sera résolu dans deux, puis quatre ans, grâce à la construction de deux nouvelles prisons, alors qu'il faudrait agir immédiatement. Il est à noter également que de nombreux élus prônant la création de places de prison sont défavorables à la construction d'une prison dans leur propre circonscription.

La réinsertion et les formations en détention sont d'une importance capitale. Le mécanisme de régulation carcérale a pour but de faciliter l'accès à la formation. Je rejoins totalement Mme Abadie dans sa conception de la prison, qui marche sur deux jambes : l'une qui punit et l'autre qui réinsère. Et c'est sur ce second point que nous devons porter nos efforts. Cette vision des choses n'est pas gauchiste, mais réaliste.

Je profite des reproches qui m'ont été adressés à ce sujet pour évoquer la question de mon salaire, qui s'élève à 10 000 euros, somme très importante, mais qui est liée au travail conséquent que je fournis.

Mme Diaz, vous évoquez la prolifération des portables en prison. Certes, ce phénomène existe, de même que la prolifération de la drogue. Toutefois, cela contribue au calme dans les établissements. Il faut regarder la réalité en face.

On peut envisager les mécanismes de régulation carcérale de différentes façons. On peut agir selon le modèle des ordonnances appliquées pendant la crise de la covid-19 pour un résultat rapide et satisfaisant. Il existe également la solution du numerus clausus.

J'ai trouvé la polémique du karting à Fresnes singulièrement triste. Mon constat personnel est le suivant : exceptionnellement, les détenus et les surveillants ont partagé l'espace d'un instant des activités moins banales que d'ordinaire, avant de regagner pour les uns leurs coursives pourries et pour les autres leurs cellules pourries.

Le téléphone améliore les conditions de vie, quand les câbles ne sont pas rongés par les cafards, insectes qui, au demeurant, s'avèrent très dangereux pour la santé. Toutefois, malgré la prolifération des téléphones, l'accès à internet est impossible, ce qui dénote une certaine hypocrisie.

Les centres de rétention nous coûtent extrêmement cher. La Cour des comptes évoque un coût à la journée que je ne sais comment interpréter, tant il me paraît hors du commun. Le bracelet électronique représente une solution très intelligente – et infiniment moins chère – de même que l'assignation à résidence, pour des personnes dont le retour dans leur pays d'origine, nous le savons tous, n'a, bien souvent, jamais lieu et dépend d'enjeux diplomatiques. La rétention des enfants est indigne et effrayante.

Il faut se souvenir que la prison représente un coût non négligeable et que l'argent public dépensé ne doit pas l'être en pure perte. Si une personne est privée de liberté pendant plusieurs mois et qu'elle en ressort dans le même état, sa peine, dont l'exécution aura pourtant coûté 110 euros par jour au contribuable, n'aura servi à rien. Il faudrait sortir de ce système ancestral qui tourne en rond.

Le sujet du travail est extrêmement compliqué. Le commerce du luxe est souvent impliqué et les marques concernées veillent à ce que ça ne se sache pas. Quoi qu'il en soit, plus les contraintes augmentent, plus ces entreprises menacent de quitter les ateliers des prisons, en particulier quand se présente la question de l'augmentation des salaires. J'ignore comment fait l'Allemagne pour parvenir à 70 % de détenus qui travaillent, les 30 % restants ne le désirant ou ne le pouvant pas. Chez nous, le ratio est exactement inverse, malgré une légère tendance à la hausse.

La situation est épouvantable dans les outre-mer et nous nous rendrons prochainement à Mayotte. Malheureusement, notre constat sera le même que le vôtre et j'ignore quelles mesures pourront être prises. Les enjeux tiennent certainement à la pauvreté du Sri Lanka, au chaos politique qui y règne et à l'accueil des réfugiés politiques.

La mort horrible d'Yvan Colonna fait l'objet de plusieurs enquêtes : une enquête interne, une enquête judiciaire et une enquête de l'Inspection générale de la justice. On nous a réclamé une enquête également, mais je doute de l'utilité de la démarche. Nous avions considéré comme une avancée le fait qu'un détenu particulièrement signalé (DPS) puisse accéder à un travail et circuler dans l'établissement. Il s'agit d'un drame épouvantable. Le détenu se trouvait-il à un endroit non-autorisé ? Il y aurait eu des défaillances dans le système de vidéosurveillance. À vrai dire, Yvan Colonna et son meurtrier s'entendaient assez bien et il est possible que le surveillant ait manqué de vigilance. J'attends les conclusions de l'enquête pour en savoir davantage.

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